Ce qu'écrivait Ziegler en 1976 était beaucoup moins amusant et moins émouvant que Pain et Chocolat de Franco Brusati sorti deux ans auparavant. Ni rire, ni larmes: Ziegler s'indignait, et de sa sulfateuse marxiste-léniniste tenue à bout de bras il envoyait du concept de gros calibre sur les multinationales et les institutions suisses. Ce qui m'a consterné le plus aujourd'hui dans cette lecture, c'est moi-même : je suis incapable de dire si son chapitre sur les multinationales et la diplomatie suisse est encore vrai ou si, concurrencée par les FMN chinoises et les inévitables GAFAM, la Suisse a perdu son influence, la Chine et les Etats-Unis ayant fait main basse sur tout. Ou si au contraire, notre obnubilation du numérique a servi d'écran de fumée aux multinationales old school - matières premières, pharma, banques, agroalimentaire - qui ont continué leur business politico-économique as usual, en plus peinard. le chapitre sur la politique, où il dénonce la colonisation du parlement par les intérêts des grandes sociétés, fait étrangement écho au discours d'aujourd'hui sur l'oligarchie en France, mais je ne partage pas tout à fait son analyse. En marxiste, Ziegler cherche la détermination des idées par l'infrastructure, la domination de classe, les pots de vin et les jetons de présence aux conseils d'administration. Un weberien écrirait que les idées des parlementaires sont structurées par leur éthique (majoritairement protestante aile dure Zwingli/Calvin) et qu'il n'est pas besoin de les corrompre pour qu'ils adoptent le point de vue du capital. Enfin le livre était écrit alors que la Suisse venait juste d'adopter la convention des droits de l'homme (125 ans après), et d'accorder le droit de vote aux femmes, condition sine qua non de la ratification de la convention européenne et de l'accès au grand marché. Or de ces deux grandes avancées de l'histoire suisse, le livre de Ziegler ne se réjouissait guère. Quand en 2018 le peuple suisse fut consulté pour savoir s'il souhaitait tourner le dos aux droits de l'homme, lors du vote sur l'initiative « le droit suisse au lieu des juges étrangers », le rejet fut massif, aucun canton ne se prononçant pour. Y a du progrès.
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Ziegler est un provocateur patenté. Dans cet essai de 1976 il saute à pieds joints dans les lacs tranquilles de sa Suisse natale: il passe tout à la moulinette (plutôt à la Kalach car il est marxiste ) les banquiers-rois, la neutralité,la démocratie suisse. C'est assez réjouissant et , pour une bonne part, encore assez vrai.
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Livre extrêmement réaliste sur la Suisse et qui dis des vérité
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L'histoire nous surprend là où nous sommes nés. Je suis venu au monde en Suisse. Dans "les rendez-vous manqués", Régis Debray parle de cet "imaginaire de convocation", qui rassemble dans un projet mobilisateur unique toutes les consciences critiques, toutes les volontés révolutionnaires d'un peuple et d'une époque.
Je ne crois pas qu'il existe aujourd'hui d' "imaginaire de convocation" en Suisse.
Ni qu'il y ait ce qu'on appelle, au sens courant du terme, d'Histoire.
Ou, plus précisément, cet imaginaire, cette histoire sont résiduels, balbutiés, pensés et toujours manqués, rêvés à travers les événements d'ailleurs.
Tout au long de ce livre, il me faudra les débusquer, les faire surgir de dessous l'opacité aliénante, asphyxiante, productrice de silence et d'uniformité consentante, du discours dominant...
(extrait de l'introduction du volume paru aux éditions "Points" en 1977)
La classe dirigeante produit des explications qui donnent de sa pratique une représentation fausse ,destinée à lui permettre de continuer à l'exercer tout en la légitiment comme logique ,innocente ,naturelle , inévitable,au service de la nation et de la collectivité.
Entretien chez Thinkerview :
Jean Ziegler : Pourquoi faut-il détruire le capitalisme ?