Dans ma jeunesse, au tournant des années 90 et 2000, le catalogue des éditions Pocket, c'était déjà vraiment quelque chose ! On y trouvait tous les grands auteurs de SF, Fantastique et Fantasy de l'époque, d'
Asimov, en passant par Herbert et Simmons, ou encore
Lovecraft mais aussi K. Dick, Boulle, Anderson,
Eddings et j'en oublie. Mais les femmes aussi avait une grande place et j'y avais découvert avec bonheur les plumes et univers de
Katherine Kurtz (Les Derynis),
Mercedes Lackey,
Anne McCaffrey (La Ballade de Pern), Margaret Weis (Les portes de la mort), sans oublier la grande
Ursula le Guin et bien sûr
Marion Zimmer Bradley dont je vais parler ici !
Cette dernière m'ayant fait forte impression à l'époque par la poésie et la dramaturgie de sa plume et ses ambiances, j'ai eu envie dans ma quête de relecture des oeuvres phares de ma bibliothèque de replonger dans ses univers. Pour cela, j'ai entrepris la relecture, dans l'ordre chronologique des histoires, de son cycle d'Avalon dont
La Chute d'Atlantis est le premier tome mais qui se poursuit aussi avec les célèbres Dames du Lac. de longues heures et mois de lectures et relectures m'attendent puisque j'avais lu cela dans le désordre et de manière incomplète à l'époque !
La surprise fut quasiment totale au cours de cette relecture, car découvert lors de sa sortie poche en 1998, donc lu à l'âge de 12 ans, je n'en avais que peu de souvenirs si ce n'est l'ambiance générale, l'importance des histoires d'amour et des drames qui en avaient découlé, et la musique que j'écoutais alors : la B.O. de Buffy ! Bien que mes attentes aient changé, que mon expérience de lectrice n'est plus la même et que je vais donc me montrer plus critique, je suis fière que l'ado que j'étais alors ait lu et tant aimé cette histoire.
Mon premier plaisir lors de cette relecture fut de découvrir que la traductrice était
Elisabeth Vonarburg dont j'ai lu et beaucoup apprécié depuis les propres romans :
le silence de la cité et
Chroniques du pays des mères. En apprenant cela beaucoup de choses se sont éclaircies comme la poésie que j'ai ressenti dans cette traduction et l'intimité prégnante ressentie avec ces femmes dont j'allais suivre le destin qui m'a tant rappelé les univers d'Ursula le Guin, inspirations que je retrouve aussi dans les romans de la traductrice. La filiation était faite et je ne peux que saluer ce choix de traduction pour cela.
La Chute d'Atlantis est cependant un texte résistant, complexe à apprécier, qui offre de multiples barrières au lecteur qui ne serait pas sensible aux choix très marqués de l'autrice. Contrairement à ce que le titre indique tout d'abord, on ne suit pas les Atlantes et la chute de leur royaume, mais plutôt le récit de la décrépitude d'une civilisation bien plus vaste rongée depuis longtemps par un mal insidieux qu'elle porte en elle et qui aura des conséquences bien plus vaste. Ensuite, l'autrice nous plonge pour cela dans un univers en vase clos très intime et presque claustrophobe où l'on suit un petit groupe d'individus qui vit entre eux dans des temples et autres lieux religieux. L'ambiance est donc assez lente, pesante, mystique avec très peu de politique, très peu d'intrigue mais plutôt une exploration des relations humaines, de leur beauté et leurs dérives. C'est très singulier.
J'ai beaucoup aimé la poésie et la lenteur de la plume de l'autrice et de la traductrice. C'était pour moi immersif, profond, intime, nous entraînant à réfléchir sur notre rapport à l'ordre, la foi mais aussi la famille et les sentiments. Pas de magie ici, plutôt des prophéties et des malédictions qui pèseront lourds sur les âmes de chacun. Nous suivons une société refermée sur elle-même qui vit en endogamie avec des règles qui peuvent sembler lâches mais se révèlent très contraignantes et c'est en voyant le destin de deux soeurs au coeur de ce système qu'on va se rendre compte de la fausse utopie qu'il représente. le voyage pour cela est long, lent, répétitif parfois, un peu mou aussi, on peut avoir l'impression que rien ou presque ne se passe dans cette sinistrose ambiante mais la dénonciation de l'enfermement des femmes dans un rôle de compagnes et de procréatrice est puissant et on sent un vrai parallèle avec la montée et implosion des fois et mythes de ce drôle de royaume.
Les deux soeurs : la belle rousse Domaris et la fougeuse brune Déoris, vont nous tordre le coeur et l'âme pendant près de 500 pages et 4 parties au rythme des relations qu'elles vont tisser avec les hommes que le destin va mettre sur leur route et qui vont tordre et tendre le lien fragile qui les réunit. J'ai beaucoup aimé l'enfermement dans lequel leur naissance les fait vivre et découvrir cette société mystique très masculine où elles grandissent et évoluent. L'autrice développe une mythologie complexe autour de cette société mystique où les prêtres et prêtresses sont serviteurs et magiciens, où ils peuvent être "libres" avant le mariage imposé et décidé par leur caste, qui va jusqu'à choisir leur compagne/compagnon mais leur laisse l'opportunité d'avoir des enfants avant, reconnus ou non par le père légitime ou un autre pour leur éviter le rejet. Ce temple qui semble si vaste en étendue mais si étouffant à vivre regorge de camps et clans, et un ordre de prêtres gris, très proche de l'obscurité, va semer le trouble. Nos héroïnes vont s'y retrouver en plein coeur, l'une d'elle se retrouvant séduite par son leader à cause de la peine qu'elle éprouve face à l'éloignement de sa soeur qui a trouvé le grand amour. Nous allons alors assister insidieusement aux préparatifs de cet ordre qui souhaite tout bouleverser.
Le lecteur vivra de puissantes histoires d'amour ravageuses, celle de Domaris tout d'abord qui semble belle et poétique, pleine de romantisme mais qui laissera irrémédiablement sa marque sur elle et la changera à vie ; puis celle de Déoris que je ne suis pas sûre de pouvoir qualifier d'amour tant elle est la marque d'une emprise. Avec elles, l'amour sera aussi beau que cruel, les hommes aussi source d'élévation que de rabaissement. L'autrice va marquer le lecteur avec leur destin tellement malmené par la vie qui va les éloigner et les rapprocher tour à tour en les tourmentant. C'est puissant, beau et humain mais tellement douloureux. J'ai aimé le discours sous-jacent de l'autrice sur la condition de la femme, le mariage, la maternité et le désir d'enfant, la professionnalisation, etc. C'est très riche sous ces nombreux vers mystiques.
Cependant, je ne peux nier que ce romantisme sombre et âpre qui m'a tant plu, fait également partie de ce qui ralentit la narration et la rend mollassonne pour ne pas dire sans tension narrative à certains moments. Si on n'a pas la fibre romantique et si on veut une histoire qui bouge tandis qu'on pénètre dans les arcanes d'un temple, il vaut mieux ne pas se diriger vers ce titre. En effet, tout le travail de l'autrice sur le décor fantaisiste est intéressant, on sent l'influence des mythologies classiques des cultures méditerranéennes, mais il n'y a pas d'explosion de magie, de luttes de pouvoirs, tout est beaucoup plus insidieux et caché, en dehors de quelques passes d'armes verbales et de disputes de femmes, de couples. Tout se joue dans l'intimité des personnages et non sur le devant de la scène et donc sur la structure du temple et de cette culture atlante, qui est au final assez lointaine.
Amoureuse de belle plume, de belles histoires tragiques et de sentiments âpres et/ou à fleur de peau, j'ai vécu de grands moments romantiques ici avec une histoire très humaine, profonde et intime autour des destins complexes de ces deux soeurs à l'aube de la chute de leur culture. C'était humaniste, c'était féministe, c'était trouble. Mais c'était aussi terriblement lent, étouffant et vide aussi un peu parfois. Ce texte sera donc clivant, il emportera ou ennuiera.
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