Le régicide de Charles 1er, William Crawley, est assassiné après s'être caché pendant 14 ans en Suisse. Toutes ces années, Edward Drummond, agent de la couronne, le rechercha au nom du roi Charles Stewart (dit Charles II fils du roi décapité). Quand il le retrouva, il envoya les hommes de main du chancelier, George Hyde, se charger du reste. Autre fait, de l'autre côté de l'Océan, Piddy, une petite fille, pupille et domestique de la famille Briel est assassinée dans le bois de Kollect Pound à La Nouvelle-Amsterdam.
L'histoire se déroule dans la colonie hollandaise, en majorité protestante — les autres courants sont aussi nombreux que les communautés présentes sont diverses — sur l'île de Manhattan, dans l'Amérique du XVIIe siècle. Une Amérique où le gouverneur Stuyvesant dirige ses ouailles de manière égocentrique et trop autoritaire, par exemple pour l'imposition de son courant religieux (églises réformées protestantes). Il nourrit à petit feu la révolte populaire. Dans cette région persistent des tensions. Entre colons et indigènes (Indiens de toutes tribus, comme les redoutables Mohécans), entre les Anglais (puritain, en quête de liberté religieuse) et les Hollandais, la communauté d'esclaves soumit aux riches, les enfants domestiques, la femme indépendante qui peut garder ses droits en Nouvelle Néerlande, le marchandage, les allemands, les français… tout cela sont les éléments appartenant à la course folle à la conquête du territoire, à la puissance et aux rêves de la richesse démesurée. Certains membres de la communauté étant plus honnêtes et empathiques que d'autres.
Entre autres liée à la communauté africaine, la jeune négociante Blandine van Couvering est naturellement sollicitée par des amis pour tenter de retrouver la petite orpheline disparue. le chemin de cette magnifique et intelligente femme croisera celui d'Edward Drummond. Un aventurier anglais, un espion, un enquêteur qui a tout connu à travers le monde. Les deux réunissent leurs connaissances afin d'enquêter sur la disparition d'enfants.
Aet Visser est
le maître des orphelins. Tuteur officiel des orphelins, les places, les suit régulièrement, s'assure qu'ils vont bien et exécute un travail irréprochable. Il y gagne au change, il n'est ni bon, ni mauvais et certainement gourmand. Ses combines remplissent ses verres à ras bord et maintiennent ses assiettes pleines. Cependant, sa bouffonnerie le rend de moins en moins présent pour des petits qui s'évaporent dans la nature au compte goutte…
Cette histoire lève un voile mystique, violent et sauvage d'une époque austère où l'être humain croyait au plus profond qu'il puisse aller que l'herbe était plus belle ailleurs. le revers de la pensée naïve se révèle avec la présence en ces terres du nombre de marginaux, de contrebandiers, de combats entre Indiens et colons, de soumissions des domestiques africains, l'offre des possibilités de proies est considérable et idéale pour la légende du monstre Witika qui s'est ancré dans la croyance populaire. Les cibles seront les orphelins dont l'absence passe presque inaperçue, ce sont des travailleurs remplaçables, ils ne sont que le dommage collatéral pour un avenir meilleur. le peuple affairé n'en a pas tout de suite conscience ou fin de ne rien voir, ou refuse d'en parler, car cela touche au tabou. Seuls Blandine et Drummond posent des questions. Comme les marginaux et les opportunistes sont nombreux, nombreux sont donc les suspects. Entre temps, l'horreur frappe, le sang coule et les orphelins meurent.
Une excellente présentation aussi précise (l'unité de temps, de lieu, les conditions de vie au XVIIe) qu'éparpillée dans le but d'en proposer au compte goutte sans tomber dans le récit documentaire. La lecture est abordable et permet de rester captivé par l'ambiance de suspicion dans l'atmosphère dynamique et rêche de ce Nouveau Monde. Par ce maniement, l'auteur signe un thriller aiguisé et tranchant.
C'est un défi fabuleux, car ce n'est pas facile de maintenir l'attention d'un lecteur, tout en restant crédible pendant 500 pages. Ça l'est encore moins quand on vous propose un thriller historique, puisqu'il y a la difficulté supplémentaire de changer d'époque (beaucoup de livres du genre sont plus historiques que thrillers d'ailleurs. Exemple connu pour n'en citer qu'un et que j'ai lu « La chute des géants », et un autre que je lirai bientôt « L'hiver du monde » de
Ken Follett...). «
le Maître des Orphelins » est bien monté, percutant et aéré (découpage en 4 parties, nombreux petits chapitres). C'est un vrai thriller dur et sanguinaire, avec un agencement des scènes excellentes. Tout cela pour garder le curieux à ses pieds. Et surtout, il faut le dire, pour moi ça compte : la carte ! Tout au début présentant la géographie du XVIIe de la Nouvelle Néerlande. Oui, c'est parfait. Ne pas tromper le client qui sort un billet est capital, l'intérêt qu'a eu l'auteur pour satisfaire les attentes exigeantes d'un lecteur s'en ressent grandement.
Les instants de terreurs, le suspens, l'intrigue sont intacts tout au long de l'histoire. On est bien baladé. Car il ne s'agit pas uniquement de la disparition et des meurtres en série d'orphelins. Mais beaucoup plus. le contexte historico-politique évolue également. Qui a un intérêt dans ce carnage ? Les personnages pullulent et les doutes avec… Les communautés s'épient, les regards deviennent méfiants, glacials. La peur engendre suspicions, méfiances. le manque de logique des habitants (qui sont plus accaparés par la fête du village), en fait des moutons qui suivent à l'aveugle le moindre on-dit. Une alliance entre Edward et Blandine sera plus que nécessaire pour démêler cet éparpillement de faits douteux. Il y a des séquences nostalgies, d'amour interdit, de solitude et de courage.
J'ai rencontré ENFIN le thriller historique par excellence. (
Philip Kerr, dans un autre genre, plus polar, avait offert une excellente trilogie berlinoise. Mais le sujet, la 2e G.M., était un classique qui — même si cela a assez bien fonctionné — est un style que l'on retrouve souvent. J'ai bien découvert SJ Parris avec « le temps de la Prophétie », ou «
Les Âges sombres » de
Karen Maitland, mais je ne les ai pas trouvées aussi surprenantes que
Jean Zimmerman.).
J. Zimmerman comme SJ Parris et K
Maitland sort des sentiers battus, pas de capes et d'épées, et pas de guerre mondiale. La différence réside dans l'exceptionnelle et complète gestion du scénario... Oui, j'ai reçu entre les mains la pépite que j'attendais dans ce style littéraire... où TOUT, absolument tout, est maîtrisé.
Hemingway a dit : « La chose la plus importante que j'ai apprise au sujet de l'écriture, c'est de ne jamais trop écrire. Ne vous asséchez pas. Laissez-en un peu pour le lendemain. La chose principale est de savoir s'arrêter. »
C'est un conseil d'écriture. Les termes, sortit un peu du contexte : « ne jamais trop écrire » ou « savoir s'arrêter » sont des atouts qui transpirent de ce récit. Ni trop long dans le thème historique, ni trop court, ni uniquement sanglant, ni de coup de théâtre vaseux pour débloquer une situation, pas de romance lassante, pas d'exagération. L'auteur a tout comprit.
Avant d'avoir terminé la lecture du livre, peu après le chapitre III, je n'avais plus rien à exprimer. Enfin, si. Juste une exclamation : Pfouu ! Et puis je me suis dit :
« de toute façon que l'histoire finisse bien ou mal, je m'en fous. Je suis conquis et séduit par l'approche. L'histoire est très belle. » À ce moment-là, on se dit que l'écrivain a réussi son pari.
Voilà un travail d'orfèvre irréprochable.
Ballade virtuelle possible dans la New Amsterdam de l'époque (en anglais !) Merci Patricia S pour l'info. http://www.newamsterdamhistorycenter.org/