Citations sur Littérature française du Moyen Âge (14)
La littérature du Moyen Age ne se laisse pas aborder à travers les poncifs des autres époques, y compris de la nôtre, mais elle n’est pas non plus aussi rebutante ni aussi glacée qu’on a voulu ou qu’on pourrait le croire. L’épanchement et la peinture de soi, comme la profondeur du mystère et la séduction du récit, ne lui sont nullement étrangers, loin de là. Mais elle poursuit un équilibre qui lui est propre entre la sensibilité et l’intellect, entre la représentation du monde et l’imaginaire, entre l’imitation et le renouvellement.
Alors même qu’il est plus que jamais un genre aristocratique, produit des cours princières et consommé par elles, le roman de cette époque [15e siècle], en tant qu’il est un roman historique et un roman gratifiant, est l’ancêtre du roman « populaire », c’est-à-dire s’adressant à un public soit socialement indifférencié, soit constitué de ceux qui viennent d’accéder à la lecture et à qui échappe la mise en forme de la culture […]. Définir la fascination exercée par le roman de la fin du Moyen Age comme celle du roman historique, c’est préparer la compréhension de la fascination exercée du XVIe siècle à nos jours par le roman, comme la littérature popularisante ou comme infra-littérature.
Le récit n’est pas le prétexte du sens. Les aventures vécues par le héros sont à la fois la cause et le signe de son évolution. L’aventure extérieure est à la fois la source et l’image de l’aventure intérieure.
Le désir, par définition, est désir d’être assouvi, mais il sait aussi que l’assouvissement consacrera sa disparition comme désir. C’est pourquoi l’amour tend vers son assouvissement et en même temps le redoute, comme la mort du désir. Et c’est ainsi qu’il y a perpétuellement dans l’amour un conflit insoluble entre le désir et le désir du désir, entre l’amour et l’amour de l’amour.
Qu’entendre au Moyen Age par littérature française ? La littérature en français ? Mais on ne peut imaginer d’exclure la langue d’oc et de ne rien dire des troubadours. La littérature qui fleurit dans les limites de la France actuelle –ou plutôt des Gaules d’alors, car celle de l’actuelle Wallonie brille au Moyen Age d’un éclat particulier ? Mais du XIe au XIVe siècle l’Angleterre, sous ses rois normands, est un des hauts lieux de la culture française. Et peut-on oublier que pendant tout le Moyen Age, en France comme dans tout l’Occident, la langue des activités intellectuelles est d’abord le latin ?
Non seulement le reflet du macrocosme dans le microcosme, du destin et du fonctionnement de l’univers dans le destin et le fonctionnement de l’individu, invite à voir dans chacun un sens transposé de l’autre. Mais encore le langage poétique, en rendant perceptible cette transposition universelle du sens, manifeste la présence du divin. L’allégorie est le mode d’expression privilégié des relations de l’âme avec le principe de l’univers et avec Dieu.
L’écrit est-il du côté du latin, l’oral du côté de la langue vulgaire ? Non, pour la même raison : le monde médiéval n’est pas un monde de la pure oralité, mais l’écrit ne s’y suffit jamais totalement à lui-même.
La prose, en un mot, est le langage de Dieu.
L’union des différentes formes de la pensée et du savoir est rendue possible par le recours aux notions de correspondances, d’analogies, de sens second ou caché derrière le voile –integumentum, involucrum- des apparences sensibles ou du sens littéral ; correspondances entre le macrocosme et le microcosme ; vérité cachée sous les fictions et les fables de la littérature antique.
Tous les genres, caractérisés par l’exhibition dramatique, la satire, le rire, […] ont peut-être en commun de refléter l’esprit urbain du XIIIe siècle. A l’ordre hiérarchique du château et de la cour seigneuriale, à l’idéal courtois, ils substituent l’entrelacs des rues, le partage du pouvoir, sa contestation, la peinture désabusée des mœurs, l’exhibition des misères.