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4,1

sur 3422 notes
C'est du noir, celui de la suie qui se déposait sur les visages des conducteurs, et celui des âmes. Car le nombre de personnages animés d'une volonté de meurtres atteint des sommets dans ce dix-septième tome de la série des Rougon-Macquart.

On était pourtant satisfait de retrouver Jacques, l'un des fils de Gervaise, parti jeune du foyer familial à la dérive pour se préparer un avenir décent. Et voilà qu'on le retrouve hanté par une pulsion de massacre au couteau, dirigée surtout vers les jeunes femmes, (mais tout autre être vivant pourrait faire l'affaire!), et maudissant l'héritage épigénétique de ses ancêtres.

On y cotoîe aussi un empoisonneur. Un homme mourra sauvagement poignardé dans l'express qui relie Paris au Havre. L'enquête qui suivra ce meurtre fait de ce roman un polar avant l'heure. Décidément cette série est absolument exhaustive en matière de littérature!

Alors qui est-elle cette bête humaine? L'un des tueurs? Ceux qui poussent leur entourage au crime? Ou bien cette machine qui traverse la campagne à la vitesse démesurée de quatre-vingt kilomètres par heure? Un monstre rugissant, que l'auteur décrit comme une femme, et que Jacques Lantier entretient comme une maitresse aimée.


C'est aussi la critique d'une justice muselée par le souci d'épargner les puissants, ceux qui ont dans leurs mains le pouvoir de faire et défaire des carrières et de faire plonger avec eux des victimes collatérales pas vraiment innocentes. le risque du scandale est trop important pour ne pas profiter de l'aubaine d'un parfait candidat à la culpabilité pour endosser la responsabilité du forfait. Mais les temps ont-ils vraiment changé?

Construit comme un thriller, c'est l'un des plus toniques de la série. Une fois de plus, Zola ne nous donne pas l'opportunité de nous réconcilier avec l'espèce humaine, de plus en plus dégénérée .

Challenge pavés Babelio 2020

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Jacques Lantier, conducteur de trains, assiste au crime du président de la Compagnie des Chemins de Fer, Grandmorin.
Le crime est commis par Roubaud, un sous-chef de gare et Séverine, sa femme. C'est un crime de vengeance pour punir ce personnage d'avoir abusé de Séverine depuis sa plus tendre enfance.
Jacques décide de se taire. Séverine et lui tombent amoureux.
Mais Jacques est habité par des pulsions meutrières dues à une lourde hérédité alcoolique.
Celui-ci est passionné par son métier et il décrit sa locomotive "La Lison" comme une personne.
Le titre "La bête humaine" concentre tout le livre. On se demande s'il s'adresse à Jacques ou à la locomotive.
Magnifique roman de Zola où on retrouve la famille Lantier. Jacques est le fils de Gervaise rencontrée dans "L'assommoir".
Les romans sont habilement reliés les uns aux autres par l'auteur dans le cadre de la série des Rougon-Macquart.
"La bête humaine" est un formidable thriller sans aucune longueur, que je relis pour la troisième fois. Je croyais le relire en lecture rapide mais je me suis encore laissée entraîner dans l'histoire.
Il faut dire qu'il va un peu à l'encontre de mes certitudes car je suis tout à fait contre le déterminisme. Question de point de vue qui m'a bien servi.
A noter que Zola devait beaucoup se documenter pour sortir les romans de cette série car il a abordé de nombreux domaines avec énormément de précisions dans toute la série.
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Avec La Bête humaine, Zola invente le thriller bien gore et forge un héros qui a tout du serial killer psychopathe!

La Bête humaine tisse sa toile d'araignée dans le réseau ferré, entre le Havre et Paris, avec un centre névralgique, le lieu maudit par excellence, le passage à niveau de la Croix de Maufrat. Accidents, catastrophes, crimes, passions adultères et vengeances impitoyables, tout converge vers cet oeil du cyclone ferroviaire...

La Bête humaine c'est d'abord une machine, une locomotive à vapeur, la Lison, tellement bichonnée, bouchonnée, briquée, lustrée, huilée, cajolée par son mécanicien qu'elle en prend vie, s'humanise, se féminise jusqu'au malaise: la Lison c'est la seule femme dont Jacques puisse supporter le concubinage

La deuxième bête humaine du livre, c'est lui, Jacques Lantier, le fils de Gervaise, morte de delirium tremens et qui a instillé dans son sang la fêlure héréditaire qui le rend fou furieux dès qu'une femme s'abandonne dans ses bras...

Alors quand Jacques aperçoit de la gare où il prend du repos une scène de crime et qu'il distingue brièvement le profil d'un des meurtriers- une femme, pâle et jolie- dans le compartiment éclairé qui défile à grande vitesse sous ses yeux, quand il retrouve cette femme, qu'il s'en éprend, et qu'il s'étonne de ne plus éprouver avec elle ses pulsions homicides, le drame se noue..car aimer une femme c'est trahir la Lison: la machine se venge...on est à deux doigts de la littérature fantastique!


Complicités, silences coupables, pulsions assoupies et sens réveillés, jalousies humaines et mécaniques vengeances remontées comme des ressorts...

La Bête humaine devient une machine infernale!

La folle machine est lancée, elle s'emballe, pas d'aiguillage possible, pas d'arrêt-buffet: comme aurait pu dire Jean Gabin à Simone Simon dans le film de Renoir adapté du livre: en voiture, Simone! (pardon...)

Je n'en dis pas plus: la violence, les excès, la surcharge de sang et de testostérone, tout est pardonné: autant en emporte le train! Et à grande vitesse encore - au moins...100 km à l'heure, du temps de Zola!!

Croix-de Maufras, Croix-de Maufras!! Tout le monde descend!!

Pas de lenteur dans ce récit haletant, trépidant, violent: les scènes fortes se succèdent, les descriptions sont époustouflantes -celles de la Lison sous la neige, celles de sa "mort" sont anthologiques!

Et comme je ne peux pas vous laisser sur le quai en train de compter les morts, voici une petite chanson réaliste de l'époque..C'est Adolphe Bérard d'ailleurs qui vous la chante, elle s'appelle "Le Train Fatal" !

J'ai toujours eu un petit faible pour elle. Une vieille copine ne terminait jamais un repas chez elle sans nous la chanter! La voici:

Dans la campagne verdoyante
Le train longeant sa voie de fer
Emporte une foule bruyante
Tout là-bas vers la grande mer.
Le mécanicien Jean, sur sa locomotive,
Regarde l'air mauvais Blaise, le beau chauffeur ;
La colère en ses yeux luit d'une flamme vive,
De sa femme chérie Blaise a volé le coeur.

Roule, Roule, train du plaisir
Dans la plaine jolie,
Vers un bel avenir
D'amour et de folie.
L'homme rude et noir qui conduit
Cette joyeuse foule
Sent de ses yeux rougis
Une larme qui coule.
Des heureux voyageurs, on entend les refrains.
Suivant les rails et son destin
C'est le train du plaisir qui roule.

Le pauvre Jean, perdant la tête,
Rendu fou par la trahison,
Sur son rival soudain se jette
Criant : «Bandit, rends-moi Lison».
Le chauffeur éperdu fait tournoyer sa pelle,
Jean lui sautant au cou l'étrangle comme un chien
Et tous les deux rivés par l'étreinte mortelle
Tombent de la machine abandonnant leur train.

Roule, roule, train du malheur
Dans la plaine assombrie,
Roule à toute vapeur
D'un élan de folie.
Les paysans saisis te voyant
Tout seul fendant l'espace
Se signent en priant
Et la terreur les glace
Des heureux voyageurs on entend les refrains.
Suivant son terrible destin,
C'est le train du malheur qui passe.

Tiens ! la chose est vraiment bizarre,
On devrait s'arrêter ici.
Le train brûle encore une gare,
Ah ça... que veut dire ceci ?
Alors du train maudit une clameur s'élève,
On entend des sanglots et des cris de dément,
Chacun revoit sa vie dans un rapide rêve,
Puis c'est le choc, le feu, les appels déchirants !

Flambe, Flambe, train de la mort
Dans la plaine rougie
Tout se brise et se tord
Sous un vent de folie,
Les petits enfants, leurs mamans
S'appellent dans les flammes,
Les amoureux râlant
Réunissent leurs âmes !
Pourquoi ces pleurs, ces cris, pourquoi ces orphelins ?
Pour un simple, un tout petit rien :
L'infidélité d'une femme.
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J'ai toujours eu envie de lire « La bête humaine » d'Emile Zola, mais je ne sais pas vraiment l'expliquer, peur d'être déçue, peur de trop de longueur ou de lenteur, j'ai toujours repoussé cette lecture à plus tard. Je l'ai enfin lu et je dois dire que sur la petite dizaine de romans d'Emile Zola que j'ai pu lire, c'est mon préféré.

*
Avec pour toile de fond la révolution industrielle et le monde des cheminots, « La bête humaine », paru en 1890, est dix-septième roman de la série des Rougon-Macquart. C'est un récit plein de rage, de brutalité, de peur, de passion et de désir. L'auteur y explore l'esprit criminel, les pulsions les plus sombres de l'individu et ses actes les plus condamnables.

« Dès qu'elle semblait se dissiper un peu, elle revenait aussitôt, comme l'ivresse, par grandes ondes redoublées, qui l'emportaient dans leur vertige. Il ne se possédait plus, battait le vide, jeté à toutes les sautes du vent de violence dont il était flagellé, retombant à l'unique besoin d'apaiser la bête hurlante au fond de lui. C'était un besoin physique, immédiat, comme une faim de vengeance, qui lui tordait le corps et qui ne lui laisserait plus aucun repos, tant qu'il ne l'aurait pas satisfaite. »

*
Jacques Lantier est le personnage central dans cette oeuvre d'Emile Zola.
Fils d'une mère alcoolique, Gervaise rencontrée dans « L'Assommoir », Jacques a grandi dans la pauvreté et la misère. Aujourd'hui conducteur de train, il est atteint d'une compulsion incontrôlable qui le pousse à vouloir posséder les femmes jusque dans la mort.
Le lecteur suit toutes ses pensées car l'auteur ne dissimule rien de ses tendances psychopathiques, de ses pulsions destructrices, de sa recherche d'un plaisir malsain et brutal. Torturé par cette obsession pour le meurtre et le sang, il apparaît comme un anti-héros, à la fois terrifiant et étrangement attirant.

*
La bête humaine, c'est avant tout, ces hommes et ses femmes qui, par jalousie, vengeance, cupidité, vanité, obsession, fantasme, nuisent ou tuent. L'auteur met en avant leurs défauts et les dépeint comme des bêtes sauvages tourmentées sans relâche par leurs instincts.
Si Jacques Lantier apparaît comme le plus malfaisant et le plus dangereux de tous, j'ai tout de même ressenti une violence dissimulée dans chaque personnage, comme si tous avaient une bête en eux.
Aucun personnage n'est bon, tout est une question de circonstances. Même les femmes, malgré leur constitution plus fragile et douce, n'échappent pas à leur nature violente. Egoïstes, manipulatrices, ou jalouses, elles peuvent aussi se révéler monstrueuses et criminelles.

*
La bête humaine, c'est aussi la locomotive de Jacques Lantier, au nom de femme, "La Lison".
Zola assimile sa férocité à celle des personnages de l'histoire. Personnage haut en couleur, elle trace son chemin, occupant la ligne temporelle, rythmant l'intrigue.

« Il y avait l'âme, le mystère de la fabrication, ce quelque chose que le hasard du martelage ajoute au métal, que le tour de main de l'ouvrier monteur donne aux pièces : la personnalité de la machine, la vie. »

Cette masse géante de ferraille est dépeinte comme une amante docile, soumise aux désirs de son conducteur. Jacques la domine, la dompte. Mais la machine reliée à son maître est aussi une bête vivante, capable, par sa puissance, de broyer, mutiler, détruire.
Les descriptions d'Emile Zola sont époustouflantes. J'ai adoré la manière dont l'auteur personnifie la locomotive, lui donnant des émotions et des traits de caractère. Elle apparaît à la fois comme une machine de métal et de chair, de rouille et de sang.

« Il l'aimait donc en mâle reconnaissant, la Lison, qui partait et s'arrêtait vite, ainsi qu'une cavale vigoureuse et docile … Et il n'avait qu'un reproche à lui adresser, un trop grand besoin de graissage : les cylindres surtout dévoraient des quantités de graisse déraisonnables, une faim continue, une vraie débauche. Vainement, il avait tâché de la modérer. Mais elle s'essoufflait aussitôt, il fallait ça à son tempérament. Il s'était résigné à lui tolérer cette passion gloutonne, de même qu'on ferme les yeux sur un vice, chez les personnes qui sont, d'autre part, pétries de qualités et il se contentait de dire, avec son chauffeur, en manière de plaisanterie, qu'elle avait, à l'exemple des belles femmes, le besoin d'être graissée trop souvent. »

La dernière partie la mettant en scène est tellement effroyable, époustouflante et choquante qu'elle restera sans aucun doute, gravée dans ma mémoire, comme une des plus belles pages de la littérature classique. En voici un extrait :

« Qu'importaient les victimes que la machine écrasait en chemin ! N'allait-elle pas quand même à l'avenir, insoucieuse du sang répandu ? Sans conducteur, au milieu des ténèbres, en bête aveugle et sourde qu'on aurait lâchée parmi la mort, elle roulait, elle roulait, chargée de cette chair à canon, de ces soldats, déjà hébétés de fatigue, et ivres, qui chantaient. »

*
Emile Zola prend son temps pour construire la psychologie de ses personnages et son intrigue.
L'auteur développe toute une série de petites histoires individuelles, les enchaînant à la ligne de chemins de fer Rouen-Paris et à la saisissante locomotive « La Lison ».
Il les englobe de manière plus générale à la politique de l'époque et au système judiciaire français.

Je suis impressionnée par l'écriture d'Emile Zola très visuelle, voire graphique. Il écrit comme un maître impressionniste, par petites touches, peignant la fragilité des êtres humains, leur côté sombre, leurs passions, leurs pulsions, leurs vices. Il jongle entre une beauté mélodieuse et une puissance évocatrice.

*
Magistrale étude de la nature humaine dans toute sa noirceur, « La Bête Humaine » est une oeuvre étrange, macabre et inquiétante qui m'a surprise par son côté obsédant, violent, féroce. C'est un magnifique thriller plein de meurtres et de rebondissements, une étude de caractère très sombre de la bête qui sommeille en chaque homme, et un portrait réaliste d'une société en crise.
En ce qui me concerne, c'est jusqu'à présent, le meilleur roman du cycle des Rougon-Macquart d'Emile Zola.
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Roman de meurtre, de médiocrité, d'amour, de chemin de fer, La Bête humaine est un concentré de violence. La rencontre d'Eros et de Thanatos aboutit aux drames, les personnages se tuent parce qu'ils s'aiment ou s'aiment parce qu'ils se tuent, sans qu'on puisse l'expliquer, sinon par une hérédité qui dépasse de loin celle de la famille, l'homme des cavernes qui tuait au fond des bois. Les personnages tuent et personne n'en a le moindre remords, ni Jacques, qui avait cru jusqu'au bout qu'il était possible de résister à la pulsion fatale, ni Roubaud, qui se noie dans le jeu, ni Séverine, qui se noie dans le corps de Jacques, ni Misard, qui cherche à tout jamais ses mille francs, ni Flore, qui fait dérailler le train pour rien. La mort rôde partout où se trouve l'amour. Même la Lison, seul personnage véritablement innocent, avec le "coupable" Cabuche, meurt atrocement, assassinée. Tout est sang, instinct de mort, fuite en avant, comme le train, à la fin, qui annonce la débâcle. Pourtant, la vérité, l'ignoble vérité, la part de l'assassin en tous, reste cachée. le procès condamne un innocent, le seul. L'honneur est sauf. Cabuche est le coupable idéal. La preuve qui l'innocente est sciemment cachée. Dreyfus sera le coupable idéal. le bordereau livrera la vérité.
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Un excellent opus des Rougon-Macquart !

"La bête humaine" manquait encore à mon tableau de chasse zolien et dès le début de ma lecture j'ai éprouvé un grand regret de ne l'avoir pas découvert plus tôt. Regret vite effacé cependant par le plaisir toujours croissant procuré par sa lecture.

La galerie de personnages que Zola nous propose est superbe, autant les hommes que les femmes. Avec le brio d'un maître du thriller contemporain, le chef de file du naturalisme fouille une fois de plus l'âme humaine pour y dénicher ses plus noirs instincts. Ici, il s'agit du meurtre, de la soif de dominer que seul le crime peut étancher. Et ils sont nombreux les crimes au fil du roman ; véritable fil rouge d'une narration construite sur les instincts des "bêtes humaines", instincts congénitaux dans le cas de Jacques Lantier, héritier taré de Gervaise (cf. "L'assommoir") et mécanicien de la Lison, train express assurant le service le Havre-Paris, instincts sociaux dans le cas du sous-chef de gare Roubaud dévoré par ses passions : jalousie, jeu, ambition, dans celui de Séverine, la femme adultère, victime des hommes, manipulatrice malheureuse et dans celui de Flore, enfin, la femme amoureuse rejetée, poussée à la folie par ses tendresses inassouvies. Des personnages forts, égoïstes, si terriblement humains qu'ils font froid dans le dos, qu'ils s'aiment ou qu'ils se détruisent.

Toutes ces passions humaines ont pour cadre le chemin de fer, symbole violent des grands changements qui s'opèrent au coeur d'une société en pleine mutation. L'écriture est superbe, les descriptions - qui effraient tant de lecteurs - sont ici réduites à de justes proportions, donnant au roman un rythme très enlevé et un souffle digne des meilleurs polars.

Un Zola très noir ; du grand frisson.


Challenge XIXème siècle 2017
Challenge MULTI-DÉFIS 2017
Challenge PAVES 2016 - 2017
Challenge Petit Bac 2016 - 2017
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Plus un roman me plaît, plus il est difficile pour moi d'en faire la « critique ». D'autant plus que dans le cas présent, le roman est devenu un classique. Un chef-d'oeuvre, oui, pour moi, modeste lectrice de 2017. Comment éviter les écueils de la fiche de lecture, de l'analyse littéraire, pour ne laisser que son ressenti, ses émotions ? Certes, pour apprécier toute la saveur de ce roman, il faut en avoir quelques prérequis, quelques clés de lecture : « Il faut toujours replacer une oeuvre dans son contexte historique, géographique et social », nous disait notre professeur de littérature, Mr Raymond Trousson, dont je salue la mémoire.

La Bête humaine (1890) est le 17ème volume sur les 20 que compte « Les Rougon-Macquart. Histoire Naturelle et sociale d'une Famille sous le second Empire ». Ce titre est à lui seul tout un programme…
L'action du roman se déroule sur les 18 mois qui précèdent la guerre franco-prussienne, marquant le déclin puis la fin du second Empire et l'avènement de la troisième République en 1870. Sur cet aspect historico-politique, je ne m'étendrai pas. Je retiendrai juste que Zola l'aborde par l'intermédiaire des personnages de Grandmorin, Denizet (juge d'instruction) et Camille-Lamotte (secrétaire général) ; par le truchement de l'enquête policière et de l'instruction consécutive aux deux « affaires », fustigeant la magistrature, le système judiciaire qui condamne les innocents au profit de l'arrivisme politique.
Le XIXème siècle, c'est l'avènement de l'industrie. On applique les principes de la thermodynamique de la machine à vapeur aux moyens de transport : la locomotive à vapeur devient le symbole de la Révolution Industrielle et du progrès en marche. Zola assiste à l'accession de la bourgeoisie en tant que classe dirigeante et tandis qu'une société hypercapitaliste se fait jour, l'argent devient un thème littéraire. Zola n'aura de cesse de renvoyer dos à dos l'insolence de ses privilégiés et la misère de ses victimes.
H. Taine applique le déterminisme au domaine des sciences humaines. C'est à lui, ainsi qu'à Claude Bernard (Introduction à l'étude de la médecine expérimentale, 1865) et à Prosper Lucas (Traité de l'hérédité naturelle, 1847-1850) que Zola emprunte les lois scientifiques sur lesquelles il fonde son projet des Rougon-Macquart, tel qu'expliqué dans la préface à la Fortune des Rougon (1871) :

« L'hérédité a ses lois, comme la pesanteur. Je tâcherai de suivre, en résolvant la double question des tempéraments et des milieux, le fil qui conduit mathématiquement d'un homme à un autre homme »

Ceci implique la subordination de la psychologie à la physiologie et la prééminence des instincts : les conditions physiologiques ainsi que l'influence du milieu et des circonstances déterminent la personne.

De fait, La Bête humaine illustre bel et bien la doctrine naturaliste, tombée en désuétude. Mais ce qui fait le génie de son chef de file, c'est qu'il déborde souvent, et particulièrement dans ce roman, du cadre froid et strict qu'il s'est lui-même imposé, au point d'en devenir épique. Et ce livre, je l'ai dévoré comme un « page turner ». Oui, je sais, c'est un anachronisme, un terme que l'on attribue de nos jours au roman policier et au thriller et c'est à dessein que je l'utilise.
Il y a un tel dynamisme, jusque dans les descriptions, et avant tout dans la construction où rien n'est laissé au hasard. Chaque personnage, chaque lieu, chaque phrase, chaque mot, chaque couleur même est à sa place et a son importance.
Zola utilise avec maestria le système ferroviaire comme métaphore et de la composition romanesque et de l'hérédité. Les principes de la thermodynamique sont la logique même de la transmission héréditaire. Réunies dans une même vision, la vie (le monde animé) est perçue comme un mécanisme et une somme d'énergies, tandis que la matière (monde inanimé) s'emplit d'un souffle vital. Je me suis réellement prise d'affection pour la Lison, ainsi que d'une femme amoureuse et docile, délaissée car supplantée par Séverine dans le coeur de Jacques. Vous en connaissez (ou découvrirez) la fin, furieuse et tragique. Je ne sais pas vous, mais moi je trouve qu'elles avaient de la gueule ces anciennes locomotives à vapeur, du caractère, comparées à nos insipides machines électriques actuelles… Je referme la parenthèse.

D'où l'ambivalence du titre, La Bête humaine. À quoi, à qui se rapporte-t-il exactement ? À la Lison, à Jacques Lantier ? Cet oxymore prête à différentes interprétations, toutes légitimes. Pour ma part, j'adopterai plutôt l'avis de ceux qui le renvoient à l'inconscient, même si, en 1890 la psychanalyse n'en n'était qu'à ses balbutiements. Ne s'attachant pas à une classe sociale ou à une caste en particulier, un peu à part dans le cycle, ce roman est celui du crime, du meurtrier. Chaque personnage est un criminel en acte, en puissance ou par procuration, Jacques cumulant les trois. Qu'est-ce qui les motive à tuer ? Pour certains, c'est l'argent (le couple Misard/Phasie dont l'obsession, la passion, nous les rendent ridiculement tragiques. Misard est le type de l'assassin froid et calculateur). Pour tous les autres, c'est l'amour, synonyme de jalousie et de possession. Dès lors, la Bête, c'est la passion, l'instinct, l'inconscient, qui l'emporte sur la raison et l'éducation, sur l'humain.
Jacques est le criminel né, celui qui possède cette fêlure en lui, en digne héritier de l'aïeule « tarée » mais dont Zola fait remonter l'origine bien au-delà, jusqu'aux prémices de l'humanité. C'est l'amour et la mort qui unissent Jacques, l'homme, et Séverine, la femme, prédestinés l'un à l'autre. Eros et Thanatos. Par ailleurs, Jacques préfigure le tueur en série « moderne » : même une fois rassasiée la Bête, l'instinct de meurtre contre lequel il aura beau lutter, n'aura de cesse de se manifester, encore et encore, réclamant toujours plus de sang. Il est paradoxal que Jacques soit le seul à éprouver quelques scrupules.

Cette prééminence accordée aux instincts, aux sens, en fait un roman éminemment sensuel tandis que la prédestination est la caractéristique même de la tragédie antique. En dépit de sa science, l'être humain n'échappe pas à son destin. le progrès qui en découle le précipite vers sa chute, vers ce carnage allégorique de la catastrophe ferroviaire annonçant l'autre, bien réel celui-là.
C'est une vision sombre et pessimiste de la condition humaine qu'a Zola, à rapprocher de celle de Schoppenhauer.

Enfin, et pour conclure, je dirais que si Zola est encore lu et apprécié aujourd'hui, c'est parce qu'il était et reste un écrivain résolument moderne, voire visionnaire pour certains aspects.

Pour écrire cette « critique », je me suis aidée de ce bon vieux Lagarde et Michard. Par ailleurs, je ne peux que vous renvoyer à la préface d'Anne Percin (lue après avoir refermé le roman) aussi pertinente que bien écrite.
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Je continue de cheminer de manière chronologique dans la saga extraordinaire des Rougon-Macquart et me voici parvenu déjà au dix-septième roman. Après le Rêve, voici Émile Zola renouant avec la noirceur, La Bête humaine est sans aucun doute à mes yeux l'opus le plus sombre des Rougon-Macquart. Nous descendons ici dans les bas-fonds de l'âme humaine.
Nous savons d'ores et déjà que cette saga convoque depuis son premier tome la douloureuse hérédité d'une famille sous le Second Empire.
La révolution industrielle qui est la toile de fond de beaucoup de romans de Zola donne ici naissance à l'ère toute nouvelle du chemin de fer.
Jacques Lantier, conducteur de trains et personnage central de ce récit sidérant, en est la parfaite illustration, hanté par le destin que lui a transmis sa mère par le sang, par cette lignée maudite, une certaine Gervaise, vous vous rappelez sans doute d'elle, triste héroïne de l'Assommoir, morte de misère, par le delirium tremens ou bien à cause de la violence de la société, c'est peut-être du pareil au même.
Est-ce lui la bête humaine, ce personnage cependant aimant, mais torturé par des pulsions destructrices qui le dévorent de l'intérieur tandis que l'amour d'une autre saura peut-être apaiser ses démons, qui sait ? Est-ce la Lison, la locomotive que conduit Jacques Lantier et qui tire l'express sur la ligne de chemin de fer le Havre-Paris ? C'est sur cette ligne que Jacques Lantier va être témoin d'un meurtre et que tout va remonter en lui, dans les abysses d'une eau saumâtre.
Telle une machine infernale et que rien ne peut arrêter dans son mouvement, nous sommes embarqués dans le tumulte macabre et obsédant du désir et des passions. C'est dans le sang qui bat dans les tempes de certains personnages du roman que la brutalité vient sourdre comme un écho dissonant. Parfois, Jacques Lantier est pris de cette envie de tuer lorsqu'une femme s'abandonne dans ses bras... Pourtant il est possible que la belle et fragile Séverine puisse enfin inverser le cours des choses, elle, jetée dans cette abomination, candide et touchante par sa douceur et la franchise de sa passion.
En dépeignant plusieurs crimes, dont celui central du roman, la Bête humaine ressemble à s'y méprendre à une sorte de thriller, avec comme arrière-pays que traverse cette locomotive lancée dans sa furie une société gangrenée par la crise, injuste avec ses laissés-pour-compte.
Ce qui est le thème dominant du roman, est-ce la folie qui conduit à la dégénérescence criminelle ?
L'originalité de cette histoire est qu'elle se déroule d'un bout à l'autre sur la ligne de chemin de fer de l'Ouest, de Paris au Havre. On y entend le continuel grondement de trains au milieu des voix, du bruit des âmes, d'un abominable drame qui se joue à l'aune d'histoires d'amour bousculées par les rebuffades et les jalousies.
Le côté sombre de l'histoire touche même les âmes qu'on croyait les plus fragiles, les plus innocentes, brouillant les cartes à jamais.
Parfois certains personnages ont le double privilège d'être assassin et victime.
La psychologie des personnages pourrait paraître immature, car ici chacun se livre à ses bas instincts, qu'il soit victime ou non d'une hérédité malsaine. Flore, la belle-fille du garde-barrière est peut-être mon personnage préféré dans sa folie amoureuse effrénée,
Il y a dans cette oeuvre crépusculaire la symbolique d'un peintre génial, faisant d'une machine, la Lison, un personnage mythique suscitant le désir, digne des monstres de la mythologique grecque. Dans ce dix-septième opus, j'ai trouvé une puissance d'évocation incroyable jusqu'aux scènes finales magistrales, laissant dans l'esprit de l'inconditionnel de Zola que je suis des images chaotiques et vertigineuses auxquels il ne m'avait pas encore habitué et que le cinéma ne saurait renier.
J'y ai croisé un souffle épique mêlée d'une mélancolie douloureuse et déchirante, que le coeur des personnages nous invite à toucher, à étreindre, pénétrant dans l'obscure conscience des âmes pour en remonter toute la lie...
Ici Zola nous parle de la fêlure de la condition humaine, à peine de manière exagérée, car la barbarie à visage humain n'a jamais fini de toucher les limites de l'incommensurable. Zola savait cela, allant visiter par son oeuvre le bord ultime de cette fêlure, sans jamais toucher les limites de ce paysage, vers lequel ce soir un train s'en va au loin que le rythme effréné du métal emporte dans mes songes...
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La « Bête humaine » est l'un des romans les plus passionnants de la série des Rougon-Macquart. Pas qu'on damnerait son âme de lecteur pour en apprendre le plus possible sur le développement des trains et du réseau ferroviaire au 19e siècle, mais Zola a visé juste en ayant l'idée malicieuse de suggérer que le développement des techniques pouvait aller de pair avec le dérèglement des moeurs. La locomotive gronde et consomme avidement son carburant, pas difficile de voir que l'homme aux appétits démesurés pourra se confondre avec cette nouvelle machine. Plus de brides : c'est la voie ouverte au progrès, allons-y gaiement pour tout brûler et carboniser au fourneau des désirs insatiables. Même pas indigeste, on en redemanderait.
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Parvenue aux deux tiers des Rougon Macquart, je pensais avoir touché le fonds en matière d'aperçu de toutes les teintes de noirceur de l'âme humaine, jusqu'aux plus sombres : raté, il y avait encore un degré à franchir avec « La bête humaine », qui nous amène au coeur de l'indicible, là où Eros et Thanatos luttent et se confondent.
Je ne saurais vous dire à quel point ce thriller au suspens haletant, sombrissime au point de noircir les étendues de neige qui le traversent, m'a collée au récit. De chapitre en chapitre, les instincts de mort se dévoilent sous chaque caractère, n'épargnant aucun personnage : du notable sadique assassiné pour ses crimes à l'assassin vengeur, de la jeune femme faussement candide qui ne renâcle pas longtemps à tuer pour libérer devant elle le chemin de sa vie au mari qui lentement empoisonne son épouse pour récupérer son magot, tous ceux-là, ouvertement ou non, maquillent une âme bouillonnante d'instincts tueurs. Et tous donneront la mort, même Cabuche, celui que tout son être désigne comme assassin, qui n'a pas ces instincts-là. Même Lison, la puissante locomotive conduite par Jacques Lantier et qui entraine jour après jour ces centaines de citoyens vers leur brutal avenir, porte en elle la mort.
Il n'y a guère que Jacques pour s'émouvoir de ses propres pulsions, terrifié par cet autre lui-même qui prend possession de ses sens à la vue de la gorge d'une femme, luttant pour maintenir en place ses garde-fous moraux, et à qui les turpitudes mortifères des autres serviront de catharsis.
Quelle terrible histoire que celle de ces bêtes humaines viciées par nature et par l'époque délétère de fin d'empire, pleine de rebondissements et de sordide ! Un roman noir hivernal qui glace jusqu'aux os, l'un des plus trépidants de la grande saga de Zola.

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