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Critique de Nastie92


♬ Zola reviens, Zola reviens parmi les tiens... ♬
Quand je vois avec quel talent Émile Zola décrit ses contemporains, avec quelle ironie jubilatoire il en dresse le portrait féroce, je me dis que c'est vraiment dommage qu'il ne soit plus parmi nous.
Parce qu'entre nos politiciens, nos journalistes, nos "people", il en aurait du matériau de première classe !
La Curée, c'est un peu La Fortune des Rougon bis. En effet, après le couple Pierre-Adélaïde du premier opus, c'est au tour de leur fils Aristide de vouloir faire fortune.
Mais le contexte est différent : on quitte Plassans et ses petites histoires provinciales, c'est à Paris que l'ambition peut prendre toute sa démesure.
Paris sous le second empire offre des opportunités quasiment illimitées à qui veut les saisir, voire les provoquer. Honnêtement... ou moins honnêtement.
Eugène, frère aîné d'Aristide est devenu ministre. Il veut bien aider son cadet, mais sans prendre de risque. Pour commencer, un changement de patronyme s'impose, et Aristide Rougon devient d'un coup de baguette magique Aristide Saccard. Ainsi, si les affaires de monsieur Saccard tournent mal, monsieur Rougon n'aura rien à craindre et continuera sa vie comme si de rien n'était. On n'est jamais trop prudent !
À partir de là, les bonnes ou moins bonnes affaires vont s'enchaîner.
Fini l'univers étriqué de la province, seule la capitale pouvait servir de cadre à l'histoire. En effet, tout devient grand dans ce deuxième volume. Les petites magouilles de Plassans laissent la place aux grandes manoeuvres parisiennes.
L'appât du gain est poussé à son extrême, les instincts les plus vils s'expriment, les coups les plus bas sont permis : Zola ne nous épargne rien. Délits d'initié, trafics d'influence, escroqueries en tout genre sur un fond d'absence totale de scrupules. Vous pouvez ajouter à cette liste peu glorieuse l'argent qui coule à flot d'une façon indécente, les fortunes affichées avec ostentation, la débauche qui s'expose dans les fêtes et se cache à peine dans la vie quotidienne.
Si je devais résumer ce roman par un mot, ce serait "excès". La Curée est le roman de tous les excès. Zola y dénonce d'une façon magistrale les excès en tout sens de ses contemporains.
Quelques descriptions peuvent parfois paraître un peu longues, mais elles ne m'ont en aucun cas dérangée. Elles renforcent le terrible contraste entre ces intérieurs chargés, au luxe tape-à-l'oeil (il faut montrer sa fortune), ces maisons bien comme il faut et leurs habitants aux moeurs dépravées, cyniques et magouilleurs. Et puis, c'est tellement bien écrit, que j'accepte tout de la part de Zola !
Un personnage du roman m'a particulièrement impressionnée : Sidonie, soeur d'Eugène et Aristide. Zola a créé là une femme époustouflante ! Intrigante en diable, elle est prête à tout, pourvu qu'il y ait de l'argent à la clef. Elle tient une place capitale dans le roman. En écrivant certains passages, Zola a dû se régaler... et il régale son lecteur !
Comme le premier, ce tome est très moderne. Zola décrit la vie sous le second empire, mais le lecteur actuel se rend compte que rien n'a changé. Politique et finance font très bon ménage, les hommes d'affaires sachant parfaitement manoeuvrer les politiciens en les récompensant grassement. Et tant pis si ce qui est fait n'est pas moral, tant pis si ce n'est pas dans l'intérêt général. Quand certains (qui ont encore un soupçon de conscience) s'émeuvent des coûts des grands travaux entrepris dans Paris, voici ce qui est répondu, je vous laisse apprécier :
"– Quant à la dépense, déclara gravement le député Haffner, qui n'ouvrait la bouche que dans les grandes occasions, nos enfants la payeront, et rien ne sera plus juste. […] La phrase de M. Haffner : « Nos enfants payeront », avait réussi à réveiller le sénateur. Tout le monde battit discrètement des mains, et M. de Saffré s'écria : – Ah ! charmant, charmant, j'enverrai demain le mot aux journaux. – Vous avez bien raison, messieurs, nous vivons dans un bon temps, dit le sieur Mignon, comme pour conclure, au milieu des sourires et des admirations que le mot du baron excitait. J'en connais plus d'un qui ont joliment arrondi leur fortune. Voyez-vous, quand on gagne de l'argent, tout est beau."
Ah, tout est beau quand on gagne de l'argent ! Vous voyez, rien n'a changé. Seulement l'échelle à laquelle les choses se font : les profiteurs de tout poil que décrit Zola feraient piètre figure à côté de leurs "successeurs" d'aujourd'hui, mais les motivations et les modes opératoires sont identiques.
À ce propos, le titre est parfaitement trouvé : page après page, le lecteur assiste à tout, le spectacle est écoeurant, comme celui des chiens après la chasse à courre.
Finalement, La Curée, c'est Les mains sales et La nausée réunis !
J'ai plus que jamais envie de poursuivre ma route avec Zola, et j'ai hâte d'aller me promener du côté des Halles dans le Ventre de Paris.
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