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Critique de Nastasia-B


Ce volume regroupe quatre romans du cycle littéraire des Rougon-Macquart : d'après moi, un excellent, L'Assommoir, un très mauvais, Une page d'amour, et deux moyens, Son Excellence Eugène Rougon et Nana.

SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON : renouant avec le roman quasi documentaire, Zola nous offre ici une immersion dans la vie politique du Second Empire absolument édifiante. Au travers des personnages d'Eugène Rougon et Clorinde Balbi alias, dans la réalité, celle qui fut surnommée La Castiglione, on découvre le travail souterrain réalisé par des éminences grises pour porter leur poulain aux affaires et ainsi récolter des dividendes lorsque le poulain en question sera aux commandes. Puis nous voyons ces mêmes éminences de l'ombre se dépêcher de le trahir dès que la fontaine aux avantages sera tarie et alors reporter leurs suffrages sur un autre poulain providentiel... jusqu'au prochain ! (Est-ce différent de nos jours ?)

Évidemment, l'auteur ne se prive de relater aucune intrigue historique, qu'il se contente de concentrer sur les seules épaules de Rougon, et de Clorinde afin de ne pas multiplier les personnages. le politique y est présenté comme l'instrument, le pantin en quelque sorte de ceux qui tirent effectivement les ficelles et sont les vrais cyniques. (Là encore, est-ce différent aujourd'hui ? Quel financier n'est pas marionnettiste détenteur en ses mains des ficelles de quelques pantins politiques ?)

L'ASSOMMOIR : sans être fondamentalement différent de ce qu'il a pratiqué depuis six romans dans son cycle littéraire, Émile Zola parvient ici, pour la première fois, en s'approchant des bas-fonds, de générer une langue et un style qui reflète et qui colle parfaitement à la déchéance qu'il décrit : celle causée par l'alcool dans les milieux populaires ouvriers.

Bref, on a le sentiment qu'à décrire la lente et inéluctable descente aux enfers de Gervaise dans la puanteur et le désespoir, l'auteur s'est trouvé lui-même et a franchi le seuil de son identité littéraire. Il y aura un " avant " et un " après " L'Assommoir. La scène du fouet chez le père Bijard au chapitre 10 est l'une des plus dures qu'on puisse imaginer, rappelant les pires déboires de Fantine et Cosette réunies dans Les Misérables.

On sent Gervaise fragile psychologiquement, jamais très loin de s'en sortir, mais effectuant toujours le mauvais choix quand s'offre une alternative tant avec Lantier (admirable en sa qualité de " ver dans le fruit "), que Coupeau suite à sa chute, que Goujet qu'elle n'ose pas rejoindre alors que lui seul semblait pouvoir lui assurer un certain salut.

Finalement, ce qui est touchant chez Gervaise (un peu comme chez Nana sa fille plus tard), c'est cette dénégation de la vie, cette abnégation à affronter la chute sans craindre la mort tellement l'existence a peu de prix pour elle. La scène d'apocalypse finale que subit Coupeau en proie au pire des delirium tremens est une sorte de synthèse, où tout le mal accumulé dans les chairs et dans l'esprit dans cette descente ressort en un torrent de douleurs et de démence indescriptibles. Ce roman est aussi le germe, l'éclosion de deux personnages important des romans à venir, en la personne de Nana dans le roman éponyme et d'Étienne dans Germinal.

Enfin, comme les Halles dans le Ventre de Paris et plus tard, la locomotive de la bête humaine, l'alambic de L'Assommoir du père Colombe est élevé au rang de personnage effectif, démon maléfique et vénéneux au pouvoir quasi mystique digne des sortilèges de l'Odyssée.

UNE PAGE D'AMOUR : Quel plantage, selon moi, pour Zola, ici, avec ce roman ! Hélène s'installe à Paris venant De Marseille avec :
- une fortune acquise par un héritage imprévu,
- un mari fraîchement décédé et
- une fille chétive et sub-claquante de 12 ans.

C'est déjà assez étonnant et improbable comme canevas de base. Mais en plus, et ce qui n'arrange rien, Hélène est une femme droite, fidèle, honnête — et, pour être tout à fait sincère, de mon point de vue ennuyeuse, mais ça c'est à vous d'en décider —, qui ne lève jamais un oeil sur un homme, encore moins s'il est marié, enfin vous voyez le tableau, quoi...

Malheureusement, PAF !, pas de bol ma chérie, elle tombe sur LE médecin bellâtre qui vient soigner sa fille et son coeur commence à palpiter et cætera, et cætera. Pas besoin de vous faire un dessin ; le mélo bon marché, les violons larmoyants qui vont avec et, la forte probabilité de vous ennuyer si vous avez plus de seize ans ou si vous n'êtes pas hyper fan de ce que le romantisme a de plus gnan-gnan (du genre Chateaubriant).

Si vous aimez les descriptions interminables des ciels et des toits parisiens, vous serez servis, en revanche, pour le reste, selon moi, c'est un opus très creux et très en deçà de ce dont est capable l'auteur.

NANA : Cette neuvième livraison des Rougon-Macquart ne m'est pas apparue aussi savoureuse que je l'espérais. Ici, c'est la première représentation d'une opérette sulfureuse, La Blonde Vénus, où Nana met le feu à la scène avec ses formes et ses tenues très peu couvrantes. Ce sont bien évidemment les opérettes de Jacques Offenbach que l'auteur cherche à écorner.

Pour être totalement dans l'esprit « naturaliste », avec un réel souci documentaire, on n'en est pas pour autant transcendé et l'on a du mal à prétexter que cette entrée en scène de Zola dans Nana soit particulièrement réussie ou tonitruante. On l'a connu plus percutant et la feuille de route de son programme de construction apparaît, à mon goût, un peu trop fortement tout au long du roman.

Ce n'est qu'à partir de la moitié du livre, au chapitre VIII, que la narration retrouve quelques couleurs et Zola sa verve perdue de L'Assommoir. En effet, jusque-là, l'auteur nous endort avec de lourdes et longues descriptions de luxe et de débauches dans les hautes sphères qui font d'ailleurs double emploi avec celles déjà pesantes qui concernaient Renée dans La Curée.

Dans ce roman, il s'intéresse : aux rapports étroits de connivence entre le monde du spectacle et le journalisme visant à faire ou à défaire le succès d'un spectacle moyennant avantages divers en retour ; à la mise en plein jour de la prostitution (la classique et celle de luxe) ; à l'évocation de l'homosexualité féminine, sujet absolument tabou à l'époque (beau courage littéraire, chapeau monsieur Zola) et au poids du monde hippique dans la haute société (La situation a-t-elle changé de nos jours ? Les Rothschild ne font-il pas toujours régner la pluie et le beau temps sur le monde des courses [casaque bleue, toque jaune] ?) Bref, très documenté mais pas très captivant.
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