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Critique de berni_29


Son excellence Eugène Rougon est le sixième opus de l'oeuvre des Rougon-Macquart. J'ai retrouvé ici avec plaisir le talent de Zola, son écriture ciselée, acerbe pour dénoncer le cynisme et la cruauté de la société du Second Empire.
Pour celles et ceux qui suivent comme moi la chronologie des différents ouvrages de cette saga, rappelons un peu qui est Eugène Rougon, d'où il vient. Il est le fils aîné de Pierre et Félicité Rougon dont nous avions fait la connaissance dès le premier opus, La Fortune des Rougon, son ascension politique y était décrite indirectement : depuis Paris, il avait permis à ses parents de s'emparer du devant de la scène politique à Plassans, sa ville natale. Plus tard, nous avions rencontré dans le roman La Curée, son frère Aristide Saccard ; avec toujours la même fibre familiale, il avait aidé celui-ci à s'enrichir par la spéculation immobilière à Paris. Enfin, c'est encore lui qui tirait les ficelles dans La conquête de Plassans, s'assurant que Plassans repasse politiquement du côté du pouvoir en place... Bref ! C'est un brave homme très attentionné.
Ce roman étudie une période bien précise, de 1856 à 1861.
Ici, Eugène Rougon sort enfin de l'ombre.
Mais étonnamment, sur une large partie de ce premier chapitre il demeure encore invisible, presque décrit comme un héros qui se fait attendre, le personnage d'une pièce de théâtre qu'on espère voir entrer en scène au plus vite, son nom est déjà là, murmuré par tous, son nom précède son arrivée, son nom évoque déjà sa disgrâce à venir alors qu'il préside encore au Conseil d'État.
Le rideau s'ouvre sur une séance à la chambre des députés, qui ressemble davantage à la scène d'une comédie, tant les personnages sont croquignolesques.
Eugène Rougon s'apprête à tomber en disgrâce, mais déjà il est armé pour retomber sur ses pieds comme un chat agile, déjà prêt à rebondir.
Son excellence Eugène Rougon, c'est le roman politique par excellence de la série des Rougon-Macquart. Ce n'est pas mon préféré, mais je l'ai lu sans déplaisir. Je vous avouerai même qu'à certains endroits il m'a étonné tant le trait est parfois féroce, présentant les personnages de ce récit sous des aspects bien peu reluisants.
Et puis nous apprenons beaucoup sur le corps politique sous le Second Empire.
La politique ? Ah oui parlons-en justement. Ici on s'aperçoit très vite que l'intérêt général n'est de loin pas toujours celui qui prévaut. Mais je vous rassure, tout ceci se passe bien sous le Second Empire et non de nos jours... Ouf !
Ici les personnages masculins ont bien des noms d'hommes politiques : Monsieur Béjuin, Monsieur Kahn, Monsieur la Rouquette, Monsieur Delestang, Monsieur du Poizat...
Zola nous fait entrer dans l'arrière-boutique du pouvoir ; de l'hémicycle aux coulisses, des coulisses aux alcôves, il n'y a guère qu'un saut de puce et il ne faut pas sous-estimer l'importance de ces endroits où se faisaient et se défaisaient les gloires ayant porté au pinacle ce Second Empire devenu parfois ingrat.
On pourrait en rire si ce n'est que le Second Empire, c'est aussi le régime de la répression, l'un des pires régimes, sinon le pire, postérieur à la révolution française, celui qui envoie ceux qui sont suspectés d'être républicains au mieux en déportation vers les colonies.
Eugène Rougon, voilà un homme qui comprend les subtilités de l'amitié, qui sait s'entourer à bon escient ! Sa bande d'amis, c'est une véritable cour autour de lui. Selon Eugène Rougon il y a trois sortes d'amis, ceux pour lesquels vous éprouvez une véritable affection, ceux que vous craignez et ceux qui vous insupportent, Eugène Rougon est conscient que les trois catégories peuvent vous être utiles à un moment ou un autre.
Ce sont parfois de petits arrangements entre amis.
Je pense ainsi au tracé improbable d'une ligne de chemin de fer afin qu'elle passe enfin le long des hauts fourneaux dont l'actionnaire principal n'est autre qu'un député, ami d'Eugène Rougon.
Eugène Rougon est-il conscient que les amis d'aujourd'hui, selon sa définition de l'amitié, peuvent être les ennemis de demain... ?
Les trahisons existent aussi chez les amis, surtout dans la définition de l'amitié que nous donne Eugène Rougon.
Une célèbre citation De Voltaire pourrait être le leitmotiv de ce roman : « Mon Dieu, gardez-moi de mes amis. Quant à mes ennemis, je m'en charge ! »
Eugène Rougon, c'est un colosse, un phénix qui renaît de ses cendres, un animal politique comme on le dit aujourd'hui, on le disait peut-être d'ailleurs déjà ainsi à l'époque. Il a cet appétit du pouvoir dans le sang, c'est d'ailleurs un trait héréditaire chez les Rougon.
Eugène Rougon va travailler pour son retour en grâce.
Je pense à l'époque actuelle. Zola serait-il à ce point visionnaire ? À moins que les pratiques politiques n'aient guère changé depuis lors...
Et puis, un soleil sur une peau de porcelaine, un rire innocent, des gestes... et voilà le solide Eugène Rougon troublé en la présence d'une certaine Clorinde Balbi, belle Italienne excentrique et aventurière. Eugène Rougon l'a connue toute jeune, novice, ardente déjà aux choses de la politique. Elle a de l'audace. Il lui enseigne l'art de la politique, car c'est un art pour Eugène Rougon... Il la désire pour son corps, elle le repousse sauvagement mais elle le veut comme époux. Il refuse cette idée. Rancunière, elle ne lui pardonnera jamais.
Émile Zola démythifie ici la politique du Second Empire en montrant les ambitions forcenées, la jouissance des puissants dans l'exercice de leur domination, et le vide des idées.
C'est avec cette précision et férocité que Zola veut dénoncer ici le cynisme et la cruauté de la société du Second Empire.
Ici j'ai trouvé l'Empereur bien terne à côté de la fougue de certains personnages, à commencer par Eugène Rougon ou Clorinde Balbi... Ces deux-là sont faits pour s'entendre ou bien ferrailler.
Je pense que l'intérêt du roman vaut aussi par le chassé-croisé entre Eugène Rougon et Clorinde Balbi... Leur jeu ambigu mêlé de désir, d'ambition et de jalousie, qui s'étale sur plusieurs années, est sans aucun doute l'un des fils conducteurs du roman, cette relation d'apprentissage entre Eugène Rougon et Clorinde Balbi, l'élève surpassera le professeur mais elle demeurera toujours admirative de la puissance politique du maître...
Mais oui, nous sommes bien ici sous le Second Empire, pas d'inquiétude alors...
Je referme ce livre et déjà je vois depuis ma bibliothèque le septième tome de la série des Rougon-Macquart qui m'attend, L'Assommoir. Hâte d'y venir !
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