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Les Rougon-Macquart tome 6 sur 20
Lux Éditeur (01/01/1900)
3.74/5   932 notes
Résumé :
Mallarmé, le 18 mars 1876, écrivait à Zola à propos de Son Excellence Eugène Rougon : "Un intérêt profond s'y dissimule admirablement sous le hasard plein de plis et de cassures avec lequel le narrateur d'aujourd'hui doit étoffer sa conception. Je considère votre dernière production comme l'expression la plus parfaite du point de vue que vous aurez à jamais l'honneur d'avoir compris et montré dans l'art de ce temps. Dans l'attrayante évolution que subit le roman, ce... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (121) Voir plus Ajouter une critique
3,74

sur 932 notes
Après un ouvrage, selon moi, franchement raté de son cycle (La Faute de L'Abbé Mouret), Émile Zola signe avec ce sixième livre de son histoire naturelle et sociale d'une famille sous le second Empire, un roman à la frontière du roman historique et du documentaire.

Il est vrai qu'on peut probablement reprocher à son auteur une trame pas toujours captivante, quoique se lisant sans déplaisir. Par contre, cette oeuvre nous imprègne parfaitement des moeurs du milieu politique de l'époque et est donc indispensable à la bonne compréhension de cette période de l'histoire du XIXème siècle.

Personnellement, je vous conseille de le lire en quatuor parmi La Curée (le n° 2 des Rougon-Macquart), Nana (le n° 9) et L'Argent (le n° 18). Ainsi, vous aurez un panorama assez complet du mode de vie dans les hautes sphères de la société parisienne sous le second Empire, entre le brillant et le sombre, entre le légal et l'interlope.

Émile Zola peint un portrait bicéphale, l'un étant Eugène Rougon, en disgrâce pendant une bonne moitié du roman puis ministre dans la seconde, l'autre étant Clorinde Balbi alias, dans la réalité, celle qui fut surnommée La Castiglione, maîtresse attitrée de l'empereur Napoléon III.

On y découvre le travail souterrain ou en sous main réalisé par des éminences grises pour porter leur poulain aux affaires et ainsi récolter des dividendes lorsque le poulain en question, à savoir Eugène Rougon, sera aux commandes. Puis nous voyons ces mêmes éminences de l'ombre se dépêcher de le trahir dès que la fontaine aux avantages sera tarie et alors reporter leurs suffrages sur un autre poulain providentiel... jusqu'au prochain !

Zola nous endort un peu dans ce long cheminement mais développe, à mon avis, une démonstration efficace de ce qu'était la haute politique de l'époque. (Et est-elle très différente de nos jours ?)

Évidemment, l'auteur ne se prive d'aucune intrigue historique qu'il se contente de condenser sur les seules épaules soit de Rougon, soit de Clorinde. Ces intrigues concernaient en réalité plusieurs personnages influents et étaient peut-être un peu plus espacées dans le temps, mais dans l'ensemble, Zola ne nous ment pas. Mentionnons que c'est dans cet opus que l'auteur donne un vrai visage et fait parler celui par qui tout est arrivé, à savoir Napoléon III lui-même.

Tout compte fait, c'est un portrait étonnamment indulgent pour l'homme politique, présenté comme l'instrument, le pantin en quelque sorte de ceux qui tirent effectivement les ficelles et sont les vrais cyniques. (Est-ce différent aujourd'hui ? Quel financier n'est pas marionnettiste détenteur en ses mains des ficelles de quelques pantins politiques ?)

Rougon est donc sujet aux éloges infondés comme aux trahisons iniques. le personnage de Delestang me rappelle des politiciens à la Jospin (voire même un certain président normal élu plus récemment), poussés au pouvoir parce qu'ils n'effraient personne et qu'on peut les manoeuvrer facilement.

Eugène Rougon, lui, ferait davantage penser à un politicien à la Sarkozy, mis au purgatoire lors de la première élection de Chirac, puis ressorti comme l'homme providentiel au ministère de l'intérieur après les émeutes de 2005.

Le personnage de Rougon est présenté, somme toute, comme quelqu'un d'assez probe mais contraint d'honorer des dettes morales envers ceux qui lui ont déroulé le tapis rouge et ainsi de se renier, à la manière d'un certain président qui fit campagne sur les plates bandes de l'extrême droite puis, une fois élu, fit des ronds de jambe à la gauche tout en octroyant de beaux cadeaux fiscaux à ses amis grands patrons... Comme quoi la morale de ce roman pourrait être : SE RENIER POUR RÉGNER.

En conclusion, un roman pas forcément captivant mais pour le moins intéressant et qui cadre pleinement avec l'un des objectifs du cycle, à savoir, tracer une sorte d'historiographie de cette période-clé de l'histoire de notre pays. À noter, les commentaires d'Henri Mitterand pour l'édition Folio me semblent réellement excellents, mais ce n'est là que mon avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Encore une fois Zola décrit avec brio cette société en quête de pouvoir.

Les rouages et les malversations qui poussent un homme à vouloir conquérir à tout pris du pouvoir. Parce que Pour Eugène Rougon c'est ce qui lui importe de détenir le pouvoir entre ses mains.
Mais bien souvent on n'y arrive pas seul. Alors les proches de cet homme influent font tout pour qu'il garde son pouvoir en échange de petites choses... jusqu'au moment ou il n'a plus d'utilité.

Zola marque encore une fois le luxe dans ce roman, il le décrit avec de nombreux détails. Je pense qu'il anticipe ses futurs romans en montrant ce faste comme il le fait.
J'aime toujours bien évidemment le cynisme de l'auteur. Cette façon d'écrire parfois brusque, poétique ou les deux à la fois.

Je me suis régalée, une fois de plus avec ce roman.
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Après deux escales en province qui n'ont pas été de tout repos, retour à Paris ou nous allons pénétrer dans les hautes sphères de la vie politique du Second Empire. Ce sixième volume des Rougon-Macquart met en pleine lumière un des personnages les plus énigmatiques de la saga : Eugène Rougon.

Vous vous souvenez sûrement la manière dont Pierre et Félicité Rougon ont soumis politiquement Plassans dans La Fortune des Rougon, des arnaques à l'Etat d'Aristide dans La Curée, de l'abbé Faujas qui a retourné Plassans dans la Conquête de Plassans ; c'est grâce à qui? A Eugène pardi!
Homme que l'Empire a fait, dont l'influence grandissante est palpable dans les précédents tomes de la série, nous le retrouvons ici en pleine disgrâce, s'étant trouvé obligé de donner sa démission de la présidence du Conseil d'Etat. Si le principal intéressé vit relativement bien sa mise à l'écart du monde politique, sa bande d'amis ne voit pas la chute du "grand homme" d'un bon oeil. Tous plus opportunistes les uns que les autres, ils voient en Eugène une manière d'obtenir toutes sortes de passe droits facilement.
Parallèlement, Eugène entretient une relation ambiguë avec Clorinde Balbi, une italienne extravagante et intrigante. Entre eux, l'ambiance est explosive et les rapports sont en dent de scie, Rougon va donc marier la jeune femme, avec Delestang haut fonctionnaire et béni oui-oui de service, après avoir refusé de l'épouser . Vexée, Clorinde va néanmoins entraîner toute la bande dans un travail d'influence phénoménal afin de ramener Eugène sur le devant de la scène politique. Mais c'est sous-estimer la fougueuse italienne que de la penser acquise, car blessée dans son orgueil, jouant sur plusieurs tableaux, elle est bien décidée à se venger...

Malgré le manque cruel d'action du roman, cette lecture est un régal!
Cette immersion dans les coulisses du monde politique est jouissive au plus haut point. Quand il s'agit de faire un portrait du milieu ou gravitent le plus de requins, Zola ne fait pas dans la dentelle et nous démontre avec hargne que c'est le premier qui bande qui en...e l'autre dans la course au pouvoir. Arrangements avec le ciel, malversations, piston à tout va et trahisons sont au programme de ce roman incroyablement moderne. Les époques ont passé mais les codes restent les mêmes dans cette jungle sans foi ni loi dépourvue d'humanité, ou les gens se retournent comme des crêpes quand ils ont obtenu ce qu'ils veulent. D'habitude, tout ce qui a trait à la politique a tendance à me barber, mais là l'intrigue m'a tenue en haleine jusqu'à la fin. Je ne cache pas que j'aurai bien aimé qu'il arrive une tuile à ce cher Eugène, histoire de clore le roman en beauté mais ce foutu colosse a le don de renaître de ses cendres donc je m'arme de patience, ces arrivistes de Rougon vont bien finir par tomber un jour. Ce volume de la saga est aussi bon que ses prédécesseurs, le tout est admirablement construit et l'histoire prenante. Si comme moi, vous êtes devenus accrocs aux Rougon-Macquart, vous ne pourrez qu'aimer.
A lire et à découvrir!
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Son excellence Eugène Rougon est le sixième opus de l'oeuvre des Rougon-Macquart. J'ai retrouvé ici avec plaisir le talent de Zola, son écriture ciselée, acerbe pour dénoncer le cynisme et la cruauté de la société du Second Empire.
Pour celles et ceux qui suivent comme moi la chronologie des différents ouvrages de cette saga, rappelons un peu qui est Eugène Rougon, d'où il vient. Il est le fils aîné de Pierre et Félicité Rougon dont nous avions fait la connaissance dès le premier opus, La Fortune des Rougon, son ascension politique y était décrite indirectement : depuis Paris, il avait permis à ses parents de s'emparer du devant de la scène politique à Plassans, sa ville natale. Plus tard, nous avions rencontré dans le roman La Curée, son frère Aristide Saccard ; avec toujours la même fibre familiale, il avait aidé celui-ci à s'enrichir par la spéculation immobilière à Paris. Enfin, c'est encore lui qui tirait les ficelles dans La conquête de Plassans, s'assurant que Plassans repasse politiquement du côté du pouvoir en place... Bref ! C'est un brave homme très attentionné.
Ce roman étudie une période bien précise, de 1856 à 1861.
Ici, Eugène Rougon sort enfin de l'ombre.
Mais étonnamment, sur une large partie de ce premier chapitre il demeure encore invisible, presque décrit comme un héros qui se fait attendre, le personnage d'une pièce de théâtre qu'on espère voir entrer en scène au plus vite, son nom est déjà là, murmuré par tous, son nom précède son arrivée, son nom évoque déjà sa disgrâce à venir alors qu'il préside encore au Conseil d'État.
Le rideau s'ouvre sur une séance à la chambre des députés, qui ressemble davantage à la scène d'une comédie, tant les personnages sont croquignolesques.
Eugène Rougon s'apprête à tomber en disgrâce, mais déjà il est armé pour retomber sur ses pieds comme un chat agile, déjà prêt à rebondir.
Son excellence Eugène Rougon, c'est le roman politique par excellence de la série des Rougon-Macquart. Ce n'est pas mon préféré, mais je l'ai lu sans déplaisir. Je vous avouerai même qu'à certains endroits il m'a étonné tant le trait est parfois féroce, présentant les personnages de ce récit sous des aspects bien peu reluisants.
Et puis nous apprenons beaucoup sur le corps politique sous le Second Empire.
La politique ? Ah oui parlons-en justement. Ici on s'aperçoit très vite que l'intérêt général n'est de loin pas toujours celui qui prévaut. Mais je vous rassure, tout ceci se passe bien sous le Second Empire et non de nos jours... Ouf !
Ici les personnages masculins ont bien des noms d'hommes politiques : Monsieur Béjuin, Monsieur Kahn, Monsieur la Rouquette, Monsieur Delestang, Monsieur du Poizat...
Zola nous fait entrer dans l'arrière-boutique du pouvoir ; de l'hémicycle aux coulisses, des coulisses aux alcôves, il n'y a guère qu'un saut de puce et il ne faut pas sous-estimer l'importance de ces endroits où se faisaient et se défaisaient les gloires ayant porté au pinacle ce Second Empire devenu parfois ingrat.
On pourrait en rire si ce n'est que le Second Empire, c'est aussi le régime de la répression, l'un des pires régimes, sinon le pire, postérieur à la révolution française, celui qui envoie ceux qui sont suspectés d'être républicains au mieux en déportation vers les colonies.
Eugène Rougon, voilà un homme qui comprend les subtilités de l'amitié, qui sait s'entourer à bon escient ! Sa bande d'amis, c'est une véritable cour autour de lui. Selon Eugène Rougon il y a trois sortes d'amis, ceux pour lesquels vous éprouvez une véritable affection, ceux que vous craignez et ceux qui vous insupportent, Eugène Rougon est conscient que les trois catégories peuvent vous être utiles à un moment ou un autre.
Ce sont parfois de petits arrangements entre amis.
Je pense ainsi au tracé improbable d'une ligne de chemin de fer afin qu'elle passe enfin le long des hauts fourneaux dont l'actionnaire principal n'est autre qu'un député, ami d'Eugène Rougon.
Eugène Rougon est-il conscient que les amis d'aujourd'hui, selon sa définition de l'amitié, peuvent être les ennemis de demain... ?
Les trahisons existent aussi chez les amis, surtout dans la définition de l'amitié que nous donne Eugène Rougon.
Une célèbre citation De Voltaire pourrait être le leitmotiv de ce roman : « Mon Dieu, gardez-moi de mes amis. Quant à mes ennemis, je m'en charge ! »
Eugène Rougon, c'est un colosse, un phénix qui renaît de ses cendres, un animal politique comme on le dit aujourd'hui, on le disait peut-être d'ailleurs déjà ainsi à l'époque. Il a cet appétit du pouvoir dans le sang, c'est d'ailleurs un trait héréditaire chez les Rougon.
Eugène Rougon va travailler pour son retour en grâce.
Je pense à l'époque actuelle. Zola serait-il à ce point visionnaire ? À moins que les pratiques politiques n'aient guère changé depuis lors...
Et puis, un soleil sur une peau de porcelaine, un rire innocent, des gestes... et voilà le solide Eugène Rougon troublé en la présence d'une certaine Clorinde Balbi, belle Italienne excentrique et aventurière. Eugène Rougon l'a connue toute jeune, novice, ardente déjà aux choses de la politique. Elle a de l'audace. Il lui enseigne l'art de la politique, car c'est un art pour Eugène Rougon... Il la désire pour son corps, elle le repousse sauvagement mais elle le veut comme époux. Il refuse cette idée. Rancunière, elle ne lui pardonnera jamais.
Émile Zola démythifie ici la politique du Second Empire en montrant les ambitions forcenées, la jouissance des puissants dans l'exercice de leur domination, et le vide des idées.
C'est avec cette précision et férocité que Zola veut dénoncer ici le cynisme et la cruauté de la société du Second Empire.
Ici j'ai trouvé l'Empereur bien terne à côté de la fougue de certains personnages, à commencer par Eugène Rougon ou Clorinde Balbi... Ces deux-là sont faits pour s'entendre ou bien ferrailler.
Je pense que l'intérêt du roman vaut aussi par le chassé-croisé entre Eugène Rougon et Clorinde Balbi... Leur jeu ambigu mêlé de désir, d'ambition et de jalousie, qui s'étale sur plusieurs années, est sans aucun doute l'un des fils conducteurs du roman, cette relation d'apprentissage entre Eugène Rougon et Clorinde Balbi, l'élève surpassera le professeur mais elle demeurera toujours admirative de la puissance politique du maître...
Mais oui, nous sommes bien ici sous le Second Empire, pas d'inquiétude alors...
Je referme ce livre et déjà je vois depuis ma bibliothèque le septième tome de la série des Rougon-Macquart qui m'attend, L'Assommoir. Hâte d'y venir !
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Un peu moins d'enthousiasme pour cet opus de la saga, qui se déroule à Paris, et relate la carrière politique du fils de Félicité et Pierre, Eugène Rougon, habile orateur et politicien dans l'âme.

Sur le modèle d'Eugène Rocher, Rougon est le bras droit de Napoléon lll, son homme de confiance dans ce gouvernement autoritaire et répressif.

Le personnage est assez peu sympathique, même s'il semble honnête. Sa vie privée n'a rien de passionnant, d'autant qu'il repousse les avances de Clorinde Balbi, une intrigante qui sait mener ses affaires, et il n'apparaît même pas comme un homme avide de pouvoir, derrière ses allures débonnaires. Et pourtant…

Autour de lui naviguent une foule de profiteurs, d'arrivistes, de pique-assiettes en tout genre, prêts à le désavouer si la fortune semble changer de camp.


Intrigues de cour, trahisons, amitiés intéressées, manipulations au sein d'une cour impériale qui vit dans le faste (on en veut pour preuve les festivités qui entourant le baptême du fils de l'empereur), le contraste est grand avec d'autres romans de la série, qui se penchent sur le sort des plus déshérités.

Pas passionnant.
Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Citations et extraits (275) Voir plus Ajouter une citation
Et, longuement, il exposa le point où en était son affaire. Il s’agissait d’un chemin de fer de Niort à Angers, dont il caressait le projet depuis trois ans. La vérité était que cette voie ferrée passait à Bressuire, où il possédait des hauts fourneaux, dont elle devait décupler la valeur ; jusque-là, les transports restaient difficiles, l’entreprise végétait. Puis, il y avait dans la mise en actions du projet tout un espoir de pêche en eau trouble des plus productives. Aussi M. Kahn déployait-il une activité prodigieuse pour obtenir la concession ; Rougon l’appuyait énergiquement, et la concession allait être accordée, lorsque M. de Marsy, ministre de l’Intérieur, fâché de n’être pas dans l’affaire, où il flairait des tripotages superbes, très désireux d’autre part d’être désagréable à Rougon, avait employé toute sa haute influence à combattre le projet. Il venait même, avec l’audace qui le rendait si redoutable, de faire offrir la concession par le ministre des Travaux publics au directeur de la Compagnie de l’Ouest ; et il répandait le bruit que la Compagnie seule pouvait mener à bien un embranchement dont les travaux demandaient des garanties sérieuses. M. Kahn allait être dépouillé. La chute de Rougon consommait sa ruine. « J’ai appris hier, dit-il, qu’un ingénieur de la Compagnie était chargé d’étudier un nouveau tracé… Avez-vous eu vent de la chose, Du Poizat ? – Parfaitement, répondit le sous-préfet. Les études sont même commencées… On cherche à éviter le coude que vous faisiez, pour venir passer à Bressuire. La ligne filerait droit par Parthenay et par Thouars. » Le député eut un geste de découragement. « C’est de la persécution, murmura-t-il. Qu’est-ce que ça leur ferait de passer devant mon usine ?… Mais je protesterai ; j’écrirai un mémoire contre leur tracé… Je retourne à Bressuire avec vous. – Non, ne m’attendez pas, dit Du Poizat en souriant. Il paraît que je vais donner ma démission. » M. Kahn se laissa aller dans son fauteuil, comme sous le coup d’une dernière catastrophe. Il frottait son collier de barbe à deux mains, il regardait Rougon d’un air suppliant. Celui-ci avait lâché ses dossiers. Les coudes sur le bureau, il écoutait. « Vous voulez un conseil, n’est-ce pas ? dit-il enfin d’une voix rude. Eh bien ! faites les morts, mes bons amis ; tâchez que les choses restent en l’état, et attendez que nous soyons les maîtres… Du Poizat va donner sa démission, parce que, s’il ne la donnait pas, il la recevrait avant quinze jours. Quant à vous, Kahn, écrivez à l’empereur, empêchez par tous les moyens que la concession ne soit accordée à la Compagnie de l’Ouest. Vous ne l’obtiendrez certes pas, mais tant qu’elle ne sera à personne, elle pourra être à vous, plus tard.
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Il se précipita, étala le journal sur son bureau, en montra les colonnes toutes balafrées à coups de crayon rouge. « Il n’y a pas dix lignes qui ne soient répréhensibles ! Dans votre article de tête, vous paraissez mettre en doute l’infaillibilité du gouvernement en matière de répression. Dans cet entrefilet, à la seconde page, vous semblez faire une allusion à ma personne, en parlant des parvenus dont le triomphe est insolent. Dans vos faits divers, traînent des histoires ordurières, des attaques stupides contre les hautes classes. » Le directeur, épouvanté, joignait les mains, tâchait de placer un mot. « Je jure à Son Excellence… Je suis désespéré que Son Excellence ait pu supposer un instant… Moi qui ai pour Son Excellence une si vive admiration… » Mais Rougon ne l’écoutait pas. « Et le pis, monsieur, c’est que personne n’ignore les liens qui vous attachent à l’administration. Comment les autres feuilles peuvent-elles nous respecter, si les journaux que nous payons ne nous respectent pas ?… Depuis ce matin, tous mes amis me dénoncent ces abominations. » Alors, le directeur cria avec Rougon. Ces articles-là ne lui avaient point passé sous les yeux. Mais il allait flanquer tous ses rédacteurs à la porte. Si Son Excellence le voulait, il communiquerait chaque matin à Son Excellence une épreuve du numéro. Rougon, soulagé, refusa ; il n’avait pas le temps. Et il poussait le directeur vers la porte, lorsqu’il se ravisa. « J’oubliais. Votre feuilleton est odieux… Cette femme bien élevée qui trompe son mari est un argument détestable contre la bonne éducation. On ne doit pas laisser dire qu’une femme comme il faut puisse commettre une faute. – Le feuilleton a beaucoup de succès, murmura le directeur, inquiet de nouveau. Je l’ai lu, je l’ai trouvé très intéressant. – Ah ! vous l’avez lu… Eh bien ! cette malheureuse a-t-elle des remords à la fin ? » Le directeur porta la main à son front, ahuri, cherchant à se souvenir. « Des remords ? non, je ne crois pas. » Rougon avait ouvert la porte. Il la referma sur lui, en criant : « Il faut absolument qu’elle ait des remords !… Exigez de l’auteur qu’il lui donne des remords ! »
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C'est mon histoire que vous voulez? dit-il. Rien de plus facile à conter. Mon grand-père vendait des légumes. Moi, jusqu'à trente-huit ans, j'ai traîné mes savates de petit avocat au fond de ma province. J'étais un inconnu hier. Je n'ai pas comme notre ami Kahn usé mes épaules pour soutenir les gouvernements. Je ne sors pas comme Béjuin de l'Ecole polytechnique. Je ne porte ni le beau nom du petit Escorailles ni la belle figure de ce pauvre Combelot. Je ne suis pas aussi bien apparenté que La Rouquette qui doit son siège de député à sa soeur, la veuve du général de Llorentz, aujourd'hui dame du palais. Mon père ne m'a pas laissé comme à Delestang cinq millions de fortune, gagnés dans les vins. Je ne suis pas né sur les marches d'un trône, ainsi que le comte de Marsy, et je n'ai pas grandi pendu à la jupe d'une femme savante, sous les caresses de Talleyrand. Non, je suis un homme nouveau, je n'ai que mes poings...
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« Mes enfants, dit un soir le colonel, moi, je ne reviens pas de quinze jours… Il faut le bouder. Nous verrons s’il s’amusera tout seul. » Alors, Rougon, qui rêvait de fermer sa porte, fut très blessé de l’abandon où on le laissait. Le colonel avait tenu parole ; d’autres l’imitaient ; le salon était presque vide, il manquait toujours cinq ou six amis. Lorsqu’un d’eux reparaissait après une absence, et que le grand homme lui demandait s’il n’avait pas été malade, il répondait non d’un air surpris, et il ne donnait aucune explication. Un jeudi, il ne vint personne. Rougon passa la soirée seul, à se promener dans la vaste pièce, les mains derrière le dos, la tête basse. Il sentait pour la première fois la force du lien qui l’attachait à sa bande. Des haussements d’épaules disaient son mépris, quand il songeait à la bêtise des Charbonnel, à la rage envieuse de Du Poizat, aux douceurs louches de Mme Correur. Pourtant ces familiers, qu’il tenait en une si médiocre estime, il avait le besoin de les voir, de régner sur eux ; un besoin de maître jaloux, pleurant en secret des moindres infidélités. Même, au fond de son coeur, il était attendri par leur sottise, il aimait leurs vices. Ils semblaient à présent faire partie de son être, ou plutôt c’était lui qui se trouvait lentement absorbé ; à ce point qu’il restait comme diminué les jours où ils s’écartaient de sa personne. Aussi, finit-il par leur écrire, lorsque leur absence se prolongeait. Il allait jusqu’à les voir chez eux, pour faire la paix, après les bouderies sérieuses. Maintenant, on vivait en continuelle querelle, rue Marbeuf, avec cette fièvre de ruptures et de raccommodements des ménages dont l’amour s’aigrit.
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Du monde, pourtant, commença bientôt à sortir. Rougon, un des premiers, parut, ayant au bras une femme maigre, à figure jaune, mise très simplement. Un magistrat, en costume de président de la cour d’appel, les accompagnait. « Qui est-ce ? » demanda Mme Correur. Du Poizat lui nomma les deux personnes. M. Beulin-d’Orchère avait connu Rougon un peu avant le coup d’État, et il lui témoignait depuis cette époque une estime particulière, sans chercher pourtant à établir entre eux des rapports suivis. Mlle Véronique, sa soeur, habitait avec lui un hôtel de la rue Garancière, qu’elle ne quittait guère que pour assister aux messes basses de Saint-Sulpice. « Tenez, dit le colonel en baissant la voix, voilà la femme qu’il faudrait à Rougon. – Parfaitement, approuva M. Bouchard. Fortune convenable, bonne famille, femme d’ordre et d’expérience. Il ne trouvera pas mieux. » Mais Du Poizat se récria. La demoiselle était mûre comme une nèfle qu’on a oubliée sur de la paille. Elle avait au moins trente-six ans et elle en paraissait bien quarante. Un joli manche à balai à mettre dans un lit ! Une dévote qui portait des bandeaux plats ! une tête si usée, si fade, qu’elle semblait avoir trempé pendant six mois dans de l’eau bénite !
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