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Critique de michfred


J'aurais aimé que le livre portât le nom de son héroïne, plutôt que celui du vilain bouge qui l' a détruite.

Pour moi, Gervaise aura toujours le sourire chaviré de Maria Schell dans le film qui, lui, porte son nom. La même blondeur, le même regard courageux et inquiet.

J'ai toujours aimé ce personnage de femme, cette lutteuse opiniâtre mais chaleureuse, qui finit par rendre les armes et meurt comme une bête oubliée de tous, sous un escalier infâme.

Pauvre Gervaise!

Lavandière et boiteuse, affligée d' un compagnon buveur et coureur, Lantier, père de ses deux fils, Etienne qu'on retrouvera dans Germinal et Claude, le futur peintre de L'oeuvre (Zola lui en rajoutera un troisième, Jacques, héros de la Bête humaine, mais il n'apparaît pas ici...) elle rencontre enfin un brave type, honnête, travailleur, Coupeau, un plombier-zingueur qui lutte, comme elle, contre la guigne et la misère. Il lui fait une fille, Nana qui sera la cocotte que l'on sait. Ils se marient en bonnes et justes noces- une des plus belles pages du livre, est l'errance de la noce, un peu pompette et très fatiguée qui finit par atterrir au Louvre...et se trouve transplantée sur une autre planète..

Tout devrait aller au mieux : Gervaise rêve de s'établir à son compte, d'ouvrir une blanchisserie, et Coupeau travaille dur. Mais il chute du toit où il travaillait. Et cette chute - pas la moindre sécurité sociale pour les ouvriers à cette époque- va entraîner celle du ménage. Et , tout doucement aussi, celle de Gervaise, prise au piège de sa propre cordialité, de sa gentillesse, de son empathie: elle ne sait pas dire non. Ni aux créanciers, ni aux malheureux, ni aux hommes, ni au vin.

Coupeau se met à boire par désespoir et par désoeuvrement. Lantier revient, mauvais génie et pique-assiette. Ils font ménage à trois. L'argent file, file. La boutique est bientôt bue par les deux ivrognes. Et Gervaise qui ne sait pas dire non s'y met elle aussi...La description des crises de delirium tremens de Coupeau, qui finit par mourir à Ste Anne rendraient sobre Bacchus lui-même...

Derrière la volonté manifeste de mise en garde contre l'alcool, ce fléau du temps, derrière l'observation pertinente de la condition ouvrière, sans sécurité ni garde-fou contre les accidents du travail et la maladie, Zola a fait le portrait d'une femme tendre, généreuse, joyeuse, encline à la confiance.

Mais il semble nous dire aussi que c'est ce qui la perd: dans ce monde de requins, de brutes, d'exploiteurs de tout poil, il faut une carapace plus dure . Une solide méfiance. Une vraie âpreté au gain. Gervaise aime trop la vie et la vie ne fait pas de cadeaux aux humbles. Elle aime trop les gens et ceux-ci trouvent bien vite son talon d'Achille.

Seul le forgeron Goujet, amoureux en secret de Gervaise aurait pu la sauver, si elle avait accepté de le suivre. Mais Gervaise a encore une autre faiblesse: elle ne sait pas choisir et , quand elle le fait, elle choisit mal.

Une déveine, une déchéance, une dégringolade navrantes. Un livre déchirant.

Pauvre Gervaise, morte dans son trou à rats..

Mais je veux garder d'elle l'image de Maria Schell, au lavoir, abattant son battoir, au milieu des savonnées, sur les chemises à blanchir.

Avec ses bouclettes blondes s'échappant de sa coiffe de blanchisseuse. Son regard franc et vaguement inquiet.

Et son sourire chaviré...

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