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Critique de Gwen21


Pour pleinement percevoir la puissance et l'impact de « Nana », neuvième volet de la série des Rougon-Macquart, il faut se livrer à l'exercice de se projeter en pensée en 1880, date de sa parution.

En 1880, la place de la femme dans la société du lectorat de Zola se traduit schématiquement par quatre positions sociales : commençons par la femme mariée sans profession, apanage des classes aisées, poursuivons avec la nonne, faisant souvent également office d'infirmière, puis vient la femme « du peuple » mariée ou non et exerçant une profession telle que couturière, vendeuse, ouvrière, lessiveuse, domestique, enfin, achevons avec la femme déchue, autrement dit la prostituée, infréquentable par les trois susnommées.

Cependant, à peine quelques décennies avant la période qui nous occupe, a émergé un groupe social nouveau qui a engendré pour la femme une cinquième "voie". Ce groupe a été nommé « demi-monde » par Dumas fils, lequel, épris de la célèbre « dame aux Camélias », était bien placé pour observer de près l'un de ses spécimens : la demi-mondaine.

1868, Paris. Nana, fille de l'ouvrière Gervaise (« L'Assommoir), est une demi-mondaine. Actrice et courtisane, elle permet à Zola d'incarner le demi-monde et ses moeurs nouvelles, cruelles, dissolues et sans scrupules. Dans les théâtres et les restaurants, sur les champs de courses et jusque dans les médias (ou dans le lit des journalistes) se retrouvent les « cocottes », effrontées et sensuelles, vendant leurs charmes et offrant à Zola le spectacle d'une première « émancipation par le sexe » de la moitié réputée « faible » de l'humanité. Au XIXème siècle, et cela se ressent jusque dans l'art, la femme est méprisée, elle est soumise à l'homme, au père, au mari, au frère, au patron, au client ; elle n'a aucun droit de cité et si elle est parfois dénudée avec gloire sur la toile, sa « tenue d'Eve », nouvellement photographiée, commence à circuler sous le manteau ; les maisons closes font recette. le XIXème siècle est l'apogée du sexisme et du règne de domination de l'homme sur la femme qui devra attendre la Première Guerre mondiale pour acquérir un début de reconnaissance. Mais déjà, "avant-guardistes" qui s'ignorent, les demi-mondaines renversent ce rapport de force ancestral...

La demi-mondaine, telle Nana, va chercher à tirer son épingle du jeu par le biais de son arme la plus redoutable : son cul, celui-là même que les hommes sont prêts à payer cher. Dans le roman de Zola, les hommes s'agglutinent autour de Nana comme les mouches autour d'une bouse fraîche et, sociologiquement parlant, il est tout à fait fascinant pour le lecteur d'essayer de décoder les mécanismes psychologiques qui poussent des bourgeois fortunés et « arrivés » à risquer leur fortune, leur honneur et leur statut social pour brûler leurs ailes aux flammes de l'interdit ; il est captivant de voir quelles extrémités ils peuvent atteindre pour posséder l'antithèse de leur épouse et/ou de leur mère.

Pour toutes ces raisons, « Nana » est plus que jamais un roman social, tel que l'a voulu et conçu son auteur qui, par le grand projet naturaliste qu'il a porté pendant plus de vingt ans, offre ici un magnifique témoignage de la société (notre société !) dont il était le contemporain. Voilà pourquoi il est essentiel de se projeter à la place d'un lecteur de 1880 pour mesurer tout le caractère précurseur, cru, provocateur et choquant de ce roman qui fait définitivement partie de mes tomes de prédilection.
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