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Critique de Woland


Woland
28 décembre 2017
ATTENTION ! CETTE CRITIQUE NE CONCERNE QUE LA NOUVELLE "UN FILS" DE GUY DE MAUPASSANT

Etoiles Notabénistes : ******

ISBN : inconnu pour la nouvelle initialement paru dans le "Gil Blas" du 19 avril 1882 et inconnu aussi du volume Gallimard dont cette nouvelle est extraite

L'une des grandes peurs qui hanta la vie de Guy de Maupassant, c'est, nul ne l'ignore, d'avoir des enfants naturels dont il n'avait pas connaissance. (Il en eut effectivement trois de la même femme, qu'il ne reconnut pas, vraisemblablement par respect pour sa propre mère, mais sur lesquels il veilla autant qu'il le put. Quant à ceux qu'il dissémina, avec la complicité du hasard, au gré de ses innombrables aventures, c'est une autre affaire, et il en avait une conscience aiguë et, pour tout dire, plus aiguë que la majorité des représentants de son sexe.) Cette hantise reparaît souvent dans ses nouvelles et fait sans doute beaucoup pour le souvenir que l'on conserve de cet écrivain qui, en définitive, ne ressembla, ou ne voulut ressembler, à aucun autre.

"Un Fils", nouvelle qui parut pour la première fois en 1882 dans "Gil Blas" et devait être repris ensuite dans le recueil "Les Contes de la Bécasse", fait partie de cette thématique obsessionnelle de la culpabilité non des femmes - ce qui étonne, il faut bien le dire - mais des hommes. Quant on la lit, à plus forte raison quand on la relit, on constate qu'elle se range parmi les nouvelles les plus noires de son auteur. Comme on sait en outre que Maupassant, contrairement à ses habitudes, passa beaucoup de temps à remanier son texte, le lecteur est en droit de se demander si cette nouvelle ne repose pas sur des faits réels, que ceux-ci aient directement concerné l'auteur ou alors l'un de ses familiers.

L'action se déroule dans cette Bretagne en laquelle Gustave Flaubert, père "spirituel" (ou peut-être plus, aux dires de certains) De Maupassant ne vit jamais que saleté et indigence mais où son disciple, lui, dédaigna ces fâcheux détails pour admirer à loisir la beauté des lieux visités, de la mer éternelle et l'humanité qu'il découvrait autour de lui. Très précisément à Pont-Labbé, dans notre Finistère actuel, et en plein pays bigouden. Deux hommes, le narrateur et l'un de ses amis, ont décidé d'entreprendre à pied un tour de la Bretagne. Une indisposition de l'un d'eux les force à prendre pension dans une auberge, à Pont-Labbé. L'autre, le narrateur, continue à baguenauder de droite à gauche et à vivre heureux et insouciant, observant tout, voyant tout ou presque, ce qui lui permettra de nous restituer par-delà les siècles de magistrales et émouvantes descriptions aussi bien de la terre armoricaine que des coiffes des femmes de ce pays où il s'est vu contraint de faire une halte imprévue.

A l'auberge, il y a bien sûr, outre les maîtres, valets et servantes et le narrateur remarque, au départ sans malice, rien que pour la beauté de ses yeux très clairs, de sa chevelure blonde et de la finesse de ses traits, l'une de ces servantes, toujours aimable, toujours gracieuse, à laquelle il ne pourrait reprocher qu'une seule chose : elle ne parle que le breton. Encore n'est-ce pas bien grave si les Hussards Noirs de la IIIème République, qui nous manquent tellement aujourd'hui, ne font qu'entamer leur croisade laïque et nationaliste de l'unification de la France par celle de la langue. Sourires, oeillades, gestes, on finit toujours par se comprendre.

Evidemment, le narrateur et la servante sont jeunes tous les deux et, un soir, par jeu plus que par réel désir, le jeune homme pousse la jeune fille dans sa chambre. Mais là, la Nature fait entendre ses droits. Et ce qui n'était qu'une bousculade pas bien méchante au départ se transforme en lutte acharnée pour en arriver à ce que tout homme désire obtenir d'une femme, surtout quand elle est jeune et bien faite.

En dépit de la résistance acharnée de la petite servante, la Nature et l'endurance physique de l'homme finissent par l'emporter. La description qu'en donne un Maupassant aussi lucide qu'implacable, tient en une ligne et demie et insiste sur la brutalité et la rapidité de l'acte. Il faut dire que, en eût-il eu le désir, que le narrateur se fût trouvé dans l'impossibilité de câliner ensuite la jeune fille car celle-ci s'enfuit sur le champ.

Pendant tout le reste du séjour des deux amis, elle fuira d'ailleurs celui qui l'a violée. Toutefois, le soir qui précède son départ, elle se glisse en chemise dans sa chambre et lui manifeste tellement de tendresse et d'affection que l'homme en est touché. La description est ici plus longue et la brutalité de l'acte, bien oubliée. C'est avec douceur et mélancolie que le narrateur évoque ce moment qu'il continue, malgré tout, pour tenir privilégié.

Mais, bien entendu, au bout de huit jours, repris par la vie et son insouciance, il a oublié ...

Trente années plus tard, les circonstances le ramènent à Pont-Labbé, dans la même auberge que jadis. Il a désormais affaire au fils des aubergistes qu'il avait connus, lequel, à ses questions posées d'un ton volontairement léger, répond que la jeune servante était tombée enceinte, ce qui avait stupéfié tout le monde car, bien qu'elle fût fort jolie, on la savait sérieuse, et qu'elle était morte en mettant au monde un enfant de sexe masculin, en avance d'un mois sur les prévisions des matrones.

Et l'aubergiste ne se contente pas de conter cette triste affaire, il désigne à celui qu'il renseigne le fils de la servante, qui passe justement dans la cour. (Les anciens aubergistes avaient élevé l'orphelin par charité.) C'est un homme grand, osseux, vêtu comme l'as de pique et, qui pis est, sale comme un pou, à l'épaisse tignasse jaune plus que blonde, qui porte des seaux d'eau dans l'écurie en traînant derrière lui, non sans douleur, c'est visible, une jambe plus courte que l'autre.

Un viol commencé comme un jeu ... une seconde nuit, celle-là vouée à la tendresse ... l'oubli absolu de la jeune fille, abandonnée au bout de la terre par un homme qui, de toutes façons, ne parlait pas sa langue et était d'un statut social bien plus élevé ... trente années qui passent par là-dessus, non plus pour l'abandonnée puisqu'elle est morte, mais pour son séducteur et le fils qu'elle a eu de lui (le narrateur voit l'acte de naissance et le doute ne lui est plus possible) ... la vie ne fait pas de cadeaux ...

Maupassant nous montre alors son narrateur se creusant la cervelle pour essayer d'approcher l'homme, pour tenter d'établir un contact positif, pour voir si, par hasard, il est encore temps d'agir positivement envers ce fils si longtemps ignoré - et pour cause ...

Lecteur, vous connaissez Guy de Maupassant, son oeuvre et, si vous êtes un inconditionnel, sa vie. Vous vous doutez bon qu'il n'y a plus rien à faire pour "Un Fils." Mais vous prendrez néanmoins un plaisir doux-amer à lire cette nouvelle, nous n'en doutons pas, car l'auteur normand a su y déposer un peu plus qu'un petit brin de son coeur, qui revit et se remet à battre chaque fois que vous tendez un peu l'oreille pour l'entendre, par-delà les mots imprimés ... ;o)
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