A cette époque, Edouard Manet était de taille moyenne, fortement musclé. Il avait une allure rythmée à laquelle le déhanchement de sa démarche imprimait un caractère de particulière élégance. Quelque effort qu'il fît en exagérant ce déhanchement et en affectant le parler traînant du gamin de Paris, il ne pouvait parvenir à être vulgaire. On le sentait de race.
Sous un front large, le nez dessinait franchement sa ligne droite. La bouche, relevée aux extrémités, était railleuse. Il avait le regard clair. L’œil était petit, mais d’une grande mobilité. Très jeune, il rejetait en arrière une chevelure longue qui frisait naturellement. A dix-huit ans, le front s’était déjà dégarni, mais la barbe avait poussé. Par elle, le bas de la ligure s'était fait plus doux, tandis que les cheveux d’une finesse extrême harmonisaient le haut du visage. Peu d hommes ont été aussi séduisants.
Malgré tout son esprit et sa tendance au scepticisme, il était demeuré naïf. Il s'étonnait de tout et s’amusait d'un rien. En revanche, tout ce qui touchait à l’art le rendait sérieux.
Edouard Manet m’avait séduit par son allure ouverte et franche. Nous étions assis l'un à côté de l’autre dans une de ces classes construites comme le voulait à cette époque le codex des architectes, c’est-à-dire dans une de ces casemates mal éclairées, empestées le soir par des quinquets fumeux, munies d’un mobilier rudimentaire consistant en bancs étroits, rugueux et vissés devant des pupitres noirs qui vous écrasaient la poitrine. Nous étions là serrés comme des harengs sur une claie. Sur les murs rien, pas même une carte de géographie. La dernière des écoles primaires offre aujourd’hui un confort que n'avaient pas les classes du collège le plus aristocratique de Paris en 1844.