Si l'on en croit ce qu'il dit,
Matthias Zschokke, écrivain suisse envoyé en résidence à Venise pour sept mois par une Fondation suisse,
Matthias Zschokke donc, n'écrit pas, ne parvient pas à écrire et s'il produit finalement un livre de près de 400 pages, ce n'est pas de la littérature, ni un roman, juste des notes, des mails, des courriers envoyés à des amis et relations pendant son séjour vénitien dans un cadre luxueux.
Évidemment on peut trouver bizarre cet ensemble de courriers sans réponses, bizarre qu'il ait donc gardé soigneusement tout ce qu'il a écrit, fussent les propos les plus prosaïques qui vont de la lutte contre les moustiques à l'achat d'un ventilateur Dyson (je suis allée voir de quoi il s'agit : puissant, silencieux, design moderne de 300 à 450 euros !) ou la réparation de la télévision.
Petite supercherie de vrai écrivain, coquetterie d'auteur, il fait comme s'il se mettait en scène lui-même, héros de sa propre histoire, s'adressant à son éditrice (maison d'édition Zoé), au cofondateur de l'organisme qui lui offre ce séjour, et même à sa traductrice Isabelle Rüf, sans les nommer. Mais tout cela, non, non, ce n'est pas de l'écriture. du reste, Venise est un tel mystère permanent, un tel envoûtement quotidien, qu'il ne peut écrire un mot. Il prétend n'être capable que de se livrer au plus délicieux des farniente...et à la marche paresseuse dans les ruelles vénitiennes.
Le jeu est amusant, surtout si on écoute l'interview faite par la RTS en présence d'Isabelle Rüf justement. Ce livre est une sorte de tasse d'alcool fort et délicieux, un grappa peut-être, à déguster tout doucement après l'expresso ou le macchiatone (surtout pas un machiatto, trop pingre en mousse), au Harry's bar par exemple.
Car il fourmille d'informations précieuses sur ce qu'il ne faut pas manquer à Venise, qu'il s'agisse de ces lieux qui suscitent l'émerveillement, si nombreux qu'il est à peine utile d'entrer dans les musées, pourtant richissimes ; marcher et se perdre, nager au Lido, regarder et savourer, y compris jusqu'aux touristes qu'il finit par considérer comme des curiosités locales (Japonaises au teint de lune, riches Arabes et Russes qui se jettent sur les magasins de luxe) ; un bébé goéland qu'il surnomme Jerom et qui désespère ses parents à force d'incapacité à prendre son envol.
Comme tout bon rédacteur de guide, il recommande le Café Florian (superbe décor 18ème mais hors de prix!), la pâtisserie Rosa Salva (exquise), incite à lire
Thomas Mann (
La Mort à Venise mais le film suffit, selon lui) et
Goethe,
Flaubert,
Stendhal.. .
Bref, ce qu'il qualifie de son « Waterloo littéraire » est un kaléidoscope d'émotions, de remarques drôles et pertinentes, d'expériences au long des rues, sous la lumière tour à tour dorée et embrumée de Venise (c'est là qu'est né le fameux « sfumato », au bord du Canal grande). le tout avec une grande sensualité car Venise emplit nos yeux, titille nos papilles et notre odorat, généreusement. Une visite à padoue m'aura ramenée quelques années en arrière, moi aussi éblouie par le bleu de la chapelle peinte par Giotto.
Pourtant, ce qui justifie l'écriture de cet étonnant guide Zschokke, c'est justement l'écriture et ce qu'elle lui inspire, le devenir de ses livre,, ignorés par la critique ou encensés mais alors les lecteurs restent peu nombreux. Zschokke laisse entrevoir ce petit monde littéraire, entre best-sellers dont on rêve mais dont à aucun prix on ne voudrait être l'auteur et bijoux d'écriture froidement ignorés par la critique. Nécessité d'écrire, désir de reconnaissance mais exigence fondamentale, peur de la panne, mondanités honnies et tant espérées...C'est tout un contexte qu'évoque l'auteur.
Amoureux de Venise, sans aucun doute mais apparemment pas des Vénitiens, ni même des Italiens, dont il n'essaie pas de pratiquer la langue et auxquels, in fine, il ne se mêle pas si on excepte commerçants et prestataires de services domestiques. On peut regretter cette absence de contacts, ces liens d'amitiés ratés, qui auraient nourri son séjour et notre lecture.
Au demeurant, un bijou de livre qui déconcerte un peu au départ mais devient carrément addictif pour peu qu'on se laisse emporter par le guide, à son rythme paresseux et alangui sous la chaleur humide et quasi tropicale de la Sérénissime. D'autant qu'à l'heure à laquelle j'écris et lis, il fait plus de 30° à Paris et que moi aussi, je reste aussi tranquille que possible...
Et si
Matthias Zschokke n'est pas capable d'écrire, alors je ne sais pas qui l'est ! Une joyeuse et talentueuse pichenette au monde des Auteurs...
Maintenant, il me reste à aller consulter les propositions de séjour à Venise sur Internet...