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Alzir Hella (Traducteur)Olivier Bournac (Traducteur)Brigitte Vergne-Cain (Traducteur)Gérard Rudent (Traducteur)Romain Rolland (Préfacier, etc.)
EAN : 9782253057543
190 pages
Le Livre de Poche (01/10/1991)
  Existe en édition audio
3.98/5   2131 notes
Résumé :
Dans Amok, publié en 1922, est suggéré un bon, usage de l'exotisme : c'est d'abord de rendre problématique le confort d'une formule de croisière... Pour éprouver; en soi et partout autour, la présence d'un royaume primitif, puissant et mystérieux, le royaume de l'Autre, de l'Inhumain, de la Mort... et devenir ainsi un authentique exote (un en -, dehors », un « hors-venu ») sachant « parler et parler longtemps avec toutes les bouches, dans la nuit ». VICTOR SEGALEN, ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (184) Voir plus Ajouter une critique
3,98

sur 2131 notes
Il y a du brouillard ce matin, du blafard… C'est gris, c'est gras, c'est froid ; c'est triste à crever, humide à pleurer, gai à se pendre… On est tous flasques, l'hiver aux basques, l'avenir au masque… Alors j'avais envie de chaleur, de moiteur, d'un rien de folie pour m'aider à sortir du lit (pas trop loin, bien sûr, confinés que nous sommes, cons minés que nous sommes, éternels mauvais élèves d'une course à la servitude, à la platitude, à la chienlitude).

Alors, après mon bock, j'ai lu Amok. « le fou de Malaisie » c'était écrit en sous-titre. « Ça c'est bon, ça ! je me suis dit, la Malaisie, le pays du malaise, sans aucun doute, ça ne peut vouloir dire que cela. Et ça tombe drôlement bien, je suis en plein dedans, la malaisie, alors allons-y, franchement, vent debout… »

Oh ! c'était très court, ça ne m'a pas duré tout le confinement, et je ne vous cache pas que je me sens un peu déçue. En effet, pendant un temps, j'ai cru que Stefan Zweig allait étaler sur le papier ce qui est le plus noir en nous, faire de nos malsains penchants le coeur de sa nouvelle, un genre de Lolita de Nabokov

… et puis finalement non, non… J'ai le sentiment de voir un auteur fasciné par le mal mais qui s'évertue à demeurer « gentil » à la fin. Mais vas-y Stefan, bon sang ! Lâche-toi un bon coup. Ça plaira ou ça ne plaira pas mais il y aura quelque chose de fort à la clef ! Nous aussi on a envie de réanimation (littérairement parlant, bien entendu) !

Mais non, non… Ici, on retrouve la petite mécanique propre à l'auteur, bien huilée, trop huilée peut-être (enfin trop pour moi en tout cas, et en ce moment surtout), où le narrateur se fait le vecteur à ARN, le porte-parole d'un autre personnage au destin « exceptionnel ». (C'était déjà le cas, par exemple, dans Vingt-quatre heures de la vie d'une femme, le Joueur d'échecs et tout plein d'autres nouvelles de lui.)

Ensuite, comme à chaque fois, l'auteur en rajoute un peu avec « la violence extrême des passions » qui animait ce personnage ou toute autre formulation de ce genre, les tremblements de mains et tutti quanti, bref, tellement forte cette passion, donc, que le narrateur, qui ne le connaissait pas cinq minutes auparavant, se retrouve lui-même tout bouleversé par « cette singulière destinée », telle qu'il n'en croisa jamais plus par la suite, etc., etc.

Ça, c'est pour faire monter un peu les blancs en neige, car, dans le fond, quand on y regarde de vraiment près, il n'y a pas forcément grand chose dans ses histoires au père Zweig. C'est bien écrit, c'est onctueux, il y a même un petit côté précieux, un petit doigt levé, quelqu'un d'une grande délicatesse, quelqu'un qui fréquente du beau monde, quelqu'un qui se veut d'une grande sensibilité, tout le tralala…

… oui mais je t'en fous ! Ce qui le branche en vérité, l'ami Stefan, ce sont les côtés les plus glauques, les plus dépravés, détraqués, les putrides, les fétides, les bien dégueulasses ensevelis au fond de chacun de nous, aussi et surtout si l'on souhaite les cacher.

Alors, pudiquement, toujours avec son petit doigt levé, Stefan Zweig soulève à demi le voile, entrebâille à moitié la porte du caveau, pour qu'on voie modestement, pour qu'on sente un tout petit peu la pourriture, mais sans toucher, surtout. Sans toucher car ce ne serait pas bien élevé. (Et sans gel hydro-alcoolique en plus, vous imaginez le scandale.)

J'ai cru, donc, j'ai cru, que, pour une fois, il allait y aller franchement, qu'il allait ouvrir les barrières tout en grand et nous dépeindre un bon gros pervers, un gars carrément détraqué et peu fréquentable. Après un démarrage poussif sur un paquebot en 1912, il commence à m'intéresser, je me dis : « Chouette ! Voilà le Humbert Humbert de Nabokov qui se profile. »

Et puis, chlouf ! plouf, ploc ! Trois petits ricochets de rien du tout. Je m'attendais à un gros splash ! et c'est juste un petit chploc ! un petit caillou, un gravier presque, jeté dans la mer, tout ça parce que Stefan Zweig tient absolument à rester propre sur lui, gentil, bien élevé, pas dégoûtant du tout.

Mais vas-y, Stefan, boudiou ! Lâche les brides, affole la cavalerie et ça fera battre mon coeur ! Mais non, non, décidément non, à croire que lui aussi il respecte les gestes barrières. Alors voilà un brave type, qui rencontre un autre brave type, sur un bateau, à Calcutta. le premier brave type trouve que ça grouille et que ça pue sur ce bateau. Il y fait une chaleur à crever, rien à faire, ça vous colle de partout.

Alors il se pointe de nuit sur le pont, à la fraîche. Il y croit être seul, mais non, non, absolument pas car c'est là qu'entre en scène l'autre brave type, mais dont on fait en sorte qu'il ait l'air… inquiétant ! Ouuuuuuh ! Presque autant qu'un corona virus vu de trois-quart, ouuuuuuh ! Qu'il est inquiétant… et puis finalement non, puisque c'est un brave type, je vous dis, mais on ne le savait pas, nous. (On est confinés, après tout, on ne peut pas non plus trop exiger de nous.)

Et donc le deuxième brave type, il paraît drôlement secoué, tourneboulé par quelque chose, mais quoi ? On aimerait bien le savoir, nous, le quoi, mais il paraît trop secoué, l'autre, pour lâcher le morceau. Et puis finalement, bon, comme il a en face de lui un brave type (le premier), le brave type (le second) décide, comme ça, par pulsion, de tomber le masque, de lui déballer tout le matos, de lui confier tout ce qui le chamboule, tout ce qui lui tortille la théière depuis au moins deux mille kilomètres.

Il y a une femme là-dessous, vous vous en doutiez. Et le bonhomme, le brave type, j'entends, enfin le second, il est quoi ? Médecin. Bon, très bien, j'en prends note, ça peut toujours servir par les temps qui courent. Et la femme ? Ah, c'est une lady. Bon d'accord, j'en prends note également, ça aussi ça peut servir d'avoir quelques relations et un peu de cash au fond de sa musette. Et alors ? Elle est enceinte. Aïe, pas de bol, ma jolie, on déprogramme en ce moment. Ah ? c'est ça le truc ! Elle, elle est venue le voir lui, parce que justement elle était enceinte et qu'elle ne le voulait pas trop. Bon okay, je commence à piger.

Maintenant, le cadre : les colonies d'avant Première guerre mondiale, plus particulièrement, la colonie néerlandaise d'Indonésie. Bon très bien, je note encore. C'est un trou perdu ; palu, fièvre jaune et chaude pisse s'y ramassent à la pelle (bon, tant que c'est pas du corona virus, ça va). D'accord, je note toujours. le second brave type, c'est le médecin de l'endroit. Oui, bon, ça d'accord, j'avais compris. Mais, et la lady, là-dedans ? Ah ? C'est ça le hic, elle vient précisément de la grosse ville pour s'y faire avorter discrétos. Et après ?

Après ? Vous ne croyez tout de même pas qu'une brave lectrice confinée comme moi va vous raconter l'histoire du brave type qui a rencontré un brave type, un soir, sur un paquebot, en rentrant de Calcutta en 1912, tout de même ? Lisez-le, bande de feignasses ! Et je dirais même plus, faites-vous-en votre propre opinion, loin de toute considération partisane ou vaccinale, telle celle que je viens de vous soumettre. Grand bien vous fasse, plus on est de braves, plus on rit. Enfin, je crois… d'ailleurs, ce n'est que mon avis, sans queue ni test, c'est-à-dire pas grand-chose.
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Si un soir de réveillon, après avoir abusé de boisson, vous vous trouvez pris par "l'Amok", je vous souhaite de ne jamais vivre ce qu'a vécu le héros de cette terrible nouvelle.
J'ai eu l'amok, j'ai couru comme une folle au fil des pages, enchainant les feuillets comme l'on enchaine les kilomètres, avec l'angoisse montante et oppressante que sait nous insuffler Zweig.

Je ne me suis pas identifiée à ce médecin, mais j'ai tout ressenti, une fois de plus avec ce style précis qui fait mouche, qui me touche, et me laisse une fois de plus
l'âme KO, à défaut de l'âm'OK !

Je ne résumerai pas l'histoire, d'autres l'ont fait, mais je poursuis ma découverte de cet auteur sublime qui fait se déployer sous nos yeux les tourments de l'humain et sonder les travers des labyrinthes intérieurs avec la précision d'un horloger...
…en parlant d'horloge, je vous dis à tous à l'année prochaine, même si de l'autre côté du globe certains y êtes déjà !
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Sexe latent.
Zweig écrivait aussi bien qu'il portait la cravate. Toujours tiré à quatre épingles, pas de mèche folle, ce n'était pas le genre à offrir le sourire du plombier quand il se penchait pour ramasser un feuillet égaré. Avec lui, il n'y avait pas une virgule qui dépassait et il avait la ponctuation d'un homme qui rechignait à l'apostrophe.
Dans la famille des personnages suicidés, issue tellement récurrente qu'elle lui inspira sa propre fin, Amok est un récit digne d'une séance freudienne. Un voyageur rencontre sur un bateau qui rejoint l'Europe depuis Calcutta, un docteur taciturne. A défaut d'un psy à bord ou d'un curé de voyage pour se faire faire tout pardonner, l'homme va lui raconter une passion qui a dévoré son âme et sa raison.
Le docteur s'était retrouvé en Asie, non en raison d'une passion pour les colonies ou le soleil mais à cause d'une incartade amoureuse peu glorieuse en Allemagne. Affecté dans un bled isolé, la solitude tropicale le faisait dépérir jusqu'au jour où une belle anglaise un brin arrogante, bourgeoise dominatrice, Jane Austen à fouet, vient le voir de façon clandestine pour qu'il lui retire un passager clandestin. le mari, parti pour affaires quelques mois plutôt, devait rentrer au bercail et même avec un niveau CE1 en calcul, il aurait douté d'une immaculée conception. Pas charpentier, le bonhomme.
La rencontre se passe mal et la jeune femme, ne voulant rogner sur sa dignité, s'en va, toujours enceinte. Epris d'un amour obsessionnel, le docteur va la poursuivre dans la bonne société pour la convaincre de le laisser l'aider.
Et l'Amok dans tout cela ? Et bien, ce n'est ni une pâtisserie locale, ni une MST honteuse, mais une forme de folie homicide observée en Malaisie, fruit pathologique de frustrations et d'humiliations. En Inde, le terme était utilisé par les anglais pour décrire les éléphants incontrôlables qui s'essuyaient les pattes sur le quidam.
Je lis Zweig comme je rends visite à une vieille tante, quand j'ai besoin d'un peu de nostalgie et de vieux gâteaux secs. C'est fin, élégant, très sage et tellement bien construit. Chez lui, même les névroses sont bien peignées. Il voile les vices derrière l'inconscient, souffle la bougie avant de décrire les pulsions animales.
Amok me semble être une bonne porte d'entrée à l'oeuvre de Zweig. Par ici, la sortie.





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Le narrateur rencontre sur un navire de croisière un homme étrange qui reste caché dans la nuit...Il va lui raconter ses déboires. Médecin, ses tendances masochistes se révèlent devant les femmes. Une première fois, il va détourner de l'argent pour l'une d'elles, ce qui l'obligera à s'exiler d'Allemagne vers la Malaisie coloniale. Une fois là-bas, une belle, fière et riche anglaise vient le trouver pour lui demander secours...Elle est enceinte...mais manifestement pas de son mari, qui rentre de voyage dans quelques jours. Avorter est plus qu'une nécessité, une question d'honneur, et même de vie ou de mort...
Lui est ébranlé, mais son esprit sado-masochiste se manifeste, pour réclamer un prix à payer pour ce service, en nature...

A partir de cette demande va s'engager un bras de fer impitoyable entre les protagonistes, entre cette "dame de fer" obsédée par la sauvegarde de son honneur et cet homme dont l'esprit est miné, tourmenté par des sentiments ambivalents d'amour et de haine...qui se croit lui-même, depuis sa rencontre avec cette femme obsédante, amok, ravagé par une folie furieuse et meurtrière propre aux autochtones...

Dans cette longue nouvelle, Zweig installe dès le départ une atmosphère oppressante...D'abord la mystérieuse et quasi inquiétante entrée en contact de ce médecin, sur le bateau, avec le narrateur principal...Puis lorsque le médecin entame son récit de son histoire en Malaisie, le malaise (sans jeu de mots) nous gagne. L'ambiance devient étouffante, moite, ça transpire le drame à venir...
La progression de la tension est impressionnante, mise en relief par une maîtrise extraordinaire de la construction du récit et de la forme : le médecin, par l'emploi du "je" exprime ce qu'il ressent en direct, bizarre impression d'être comme au coeur d'un reportage de guerre en totale insécurité...sauf que la guerre ici est aussi à l'intérieur du corps et de l'âme du narrateur. Et puis quelle maestria pour, entre les moments d'emballements furieux, ralentir comme pour zoomer sur chaque plan dans les confrontations-clés entre les deux êtres déchirés : la première rencontre, la scène de la réception...

J'ai beaucoup aimé cette nouvelle, qui bien qu'écrite en 1922, m'a semblé sonner encore par son style d'écriture et son rythme comme les oeuvres de Stendhal ou Mérimée, même si, sans doute pour servir cette nécessité de mise sous tension du lecteur, certains mots comme "horreur" sont un peu employés trop facilement et trop souvent.

Pour moi un petit bijou, qui se prêterait bien à une nouvelle adaptation au cinéma ! Sauf erreur, la dernière date de 1982.
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J'ai beau adorer lire, et ce depuis l'enfance, j'ai de grosses lacunes, je le confesse. La faute en revient sans doute en grande partie à de mauvais professeurs (ou des professeurs découragés) qui m'ont donné envie de fuir les grands noms classiques pour aller me réfugier chez King, Barker et consorts. Je n'avais jamais lu Zweig et j'avoue que c'est en moonwalk que je me suis lancée dans la lecture d'Amok qui devait me permettre de remplir la lettre Z du challenge ABC. C'est tout l'intérêt de ces challenges, nous pousser à plus de curiosité, nous inciter à dépasser nos a priori.

A priori qui, dans le cas d'Amok, ont été complètement balayés. Je craignais de m'ennuyer. Il n'en est rien. J'ai été bluffée par le sens de la narration de l'auteur. Les récits sont parfaitement menés, ce sont des modèles de construction narratives.
L'écriture est superbe. L'intrigue de "la ruelle au clair de lune" m'a un peu moins emballée que le très bon "Amok" ou la sublime "lettre d'une inconnue" mais là aussi j'ai été séduite par le style. C'est tellement bien écrit ! Et les personnages sont si finement ciselés...
Outre la construction narrative et le style parfait de l'auteur, les 3 récits du recueil brillent par leur profondeur psychologique. Dans ces histoires, Zweig dissèque les affres de la passion. Ici, il n'est pas question d'amour simple et tranquille, l'amour n'apporte pas la paix. Au contraire, c'est un sentiment violent où se mêlent humiliation et souffrance, et qui peut conduire à la folie.

J'ai été totalement séduite par ce recueil de nouvelles. J'ai été emballée par le style de l'auteur et son romanesque incandescent. Il ne fait aucun doute que je lirai d'autres oeuvres de Zweig.

Challenge ABC 2016-2017 - 11/26
Challenge 14-68 entre 2 points de bascule - 1
Challenge Petits plaisirs 2016 - 51
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Citations et extraits (146) Voir plus Ajouter une citation
Je respirais, délivré, en toute sérénité ; et, avec une volupté neuve, je savourais sur mes lèvres, comme un pur breuvage, l'air moelleux, clarifié et légèrement enivrant qui portait en lui l'haleine des fruits et le parfum des îles lointaines. Maintenant, pour la première fois depuis que j'étais à bord du navire, le saint désir de la rêverie s'empara de moi, ainsi que cet autre désir, plus sensuel, qui me faisait aspirer à livrer, comme une femme, mon corps à cette mollesse qui me pressait de toutes parts.

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C’est plus que de l’ivresse… c’est une folie furieuse, une sorte de rage canine, mais humaine… un accès de monomanie meurtrière et insensée qui ne peut se comparer à aucune autre intoxication alcoolique… J’en ai moi-même étudié quelques cas pendant mon séjour – il est bien connu que pour autrui on est toujours perspicace et très objectif – mais sans jamais pouvoir mettre en lumière l’effrayant secret de son origine… C’est plus ou moins lié au climat, à cette atmosphère lourde et oppressante qui pèse sur les nerfs comme un orage, jusqu’à ce que ce soit eux qui éclatent… Donc l’amok… oui, l’amok se présente ainsi : un Malais, n’importe quel être tout simple, tout gentil, est en train d’écluser sa mixture… il est assis là tranquille, abruti, inerte… comme je l’étais chez moi… et soudain il bondit, saisit un poignard et se précipite dans la rue, où il court, tout droit, toujours tout droit… sans savoir vers où… Tout ce qu’il trouve sur son chemin, homme ou bête, il le poignarde d’un coup de kriss, et le sang qui coule l’excite encore davantage… Il court, l’écume aux lèvres, et hurle frénétiquement… mais il court, court, court, sans plus regarder ni à droite ni à gauche, court juste avec son cri perçant et son kriss sanglant, toujours tout droit devant lui, vers nulle part… Les gens dans les villages savent qu’aucune force au monde ne peut arrêter un amok… alors ils crient très fort pour donner l’alerte quand il approche : « Amok ! Amok ! » et tout le monde s’enfuit… mais lui court sans rien entendre, court sans rien voir, poignarde tout ce qu’il rencontre… jusqu’à ce qu’on l’abatte d’une balle comme un chien enragé ou que, tout écumant, il s’effondre de lui-même…
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Quels rêves alors n’ai-je pas faits ! Je voulais apprendre les langues et lire les livres sacrés dans le texte original, étudier les maladies, faire de la recherche ; je voulais sonder l’âme des indigènes – oui, c’est ainsi qu’on dit dans le jargon européen –, bref, devenir un missionnaire de l’humanité et de la civilisation. Tous ceux qui viennent de ce côté font le même rêve. Mais dans cette serre étouffante, là-bas, qui échappe à la vue du voyageur, la force vous manque vite ; la fièvre – on a beau avaler autant de quinine que l’on peut, on l’attrape quand même, elle vous dévore le corps ; on devient indolent et paresseux, on devient une poule mouillée, un véritable mollusque. Un Européen est, en quelque sorte, arraché à son être quand, venant des grandes villes, il arrive dans une de ces maudites stations perdues dans les marais ; tôt ou tard, chacun reçoit le coup fatal : les uns boivent, les autres fument l’opium, d’autres ne pensent qu’à donner des coups et deviennent des brutes ; de toute façon, chacun contracte sa folie.
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Je le priai vivement de rester : je n'étais demeuré en arrière que pour ne pas le gêner.
'Vous ne me gênez pas, dit-il avec une certaine amertume. Au contraire, je suis heureux pour une fois, de ne pas être seul. Je n'ai pas prononcé une parole depuis dix jours. A vrai dire, depuis des années... et c'est une chose si douloureuse de garder tout en soi, peut-être parce que cela étouffe... Je ne peux plus rester dans la cabine, dans ce... cercueil... Je ne peux plus et je ne peux pas supporter les hommes, parce qu'ils rient toute la journée... Cela, je ne peux plus maintenant le supporter... Je les entends jusque dans ma cabine et je me bouche les oreilles. Il est vrai qu'ils ne savent pas... Et puis, qu'est-ce que cela fait aux étrangers..."
Il s'arrêta, puis ajouta tout à coup, hâtivement :
"Mais je ne veux pas vous importuner... excusez mon bavardage."
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[...] par l'entrebâillement d'une porte, brille la chair nue sous des chiffons dorés. [...] Les matelots ricanent quand ils se rencontrent en ce lieu; leurs regards mornes s'animent d'une foule de promesses, car ici, tout se trouve : les femmes et le jeu, l'ivresse et le spectacle, l'aventure, grande ou sordide. Mais tout cela est dans l'ombre; tout cela ne se passe qu'à l'intérieur, et cette apparente réserve est doublement excitante par la séduction du mystère et de la facilité d'accès. Ces rues sont les mêmes à Hambourg qu'à Colombo et à la Havane; elles sont les mêmes partout, comme le sont aussi les grandes avenues du luxe, car les sommets ou les bas-fonds de la vie ont partout la même forme; ces rues inciviles, émouvantes par ce qu'elles révèlent et attirantes par ce qu'elles cachent, sont les derniers restes fantastiques d'un monde au sens déréglés, où les instincts se déchaînent encore brutalement et sans frein, une forêt sombre de passions, un hallier plein de bêtes sauvages. Le rêve peut s'y donner carrière. La Ruelle au Clair de Lune
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Stefan Zweig, auteur à succès, se voulait citoyen d'un monde qu'unifiait une communauté de culture et de civilisation. Il n'a pas survécu à l'effondrement de ce «monde d'hier» qu'incarnait la Vienne impériale de sa jeunesse.
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