AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Glaneurdelivres


« La chambre aux secrets » - un beau titre énigmatique, qui m'a interpellé en octobre dernier en passant chez mon libraire.
Ce livre est un inédit des Editions Robert Laffont, qui réunit 22 textes de Stefan Zweig, des textes rares, en version intégrale, ayant tous été publiés entre 1902 et 1943, des articles de journaux ou de revues, des préfaces, et une conférence.

Zweig aimait l'esprit français. Il était francophile.
La France était pour lui « sa seconde patrie ».
Il honore dans ce livre de nombreux écrivains et poètes français, tels que Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, Stendhal, Proust, Flaubert, Claudel, Balzac, Rolland, mais aussi Chateaubriand, Rousseau, Renan, Jean-Jaurès, Sainte-Beuve, Edmond Jaloux, et Roger Martin du Gard.
Ces pages sont remplies en permanence de curiosité, de profondeur et d'élégance, et d'une culture communicative.
C'est une mosaïque de portraits, des hommages et de vraies critiques littéraires, liées à la parution de nouvelles éditions, de traductions ou de raretés bibliophiles.

La plupart de ces portraits sonnent comme des échos fraternels à l'angoisse de vivre d'un homme qui sait qu'il sera, de par sa judéité, bientôt indésirable partout en Europe. Plutôt que la simplicité du portrait, Stefan Zweig cherche davantage la fidélité à l'oeuvre et poursuit les auteurs dans les méandres de leur personnalité, de leurs contradictions et de leurs mystères. « Je propose la vérité d'un portrait moral, non une belle légende », explique-t-il dans une de ses lettres à Romain Rolland.
Ainsi, les textes réunis dans ce livre, sont émotifs et subjectifs : « une démarche de sympathie ».
Zweig nous rappelle que l'art n'a pas d'autre fin que celle d'unir les hommes.

Dès les années 1930, Stefan Zweig a refusé de choisir entre le nazisme et le communisme, qui lui paraissaient sans issue, et à cause de ses idées, il était honni de la plupart de ses confrères, mais Stefan Zweig avait de véritables amis, qui avaient en commun avec lui un esprit humaniste, cosmopolite, ouvert et tolérant. Ce sont, principalement, Romain Rolland, Rainer Maria Rilke, Emile Verhaeren et Léon Bazalgette.
Zweig dans ses portraits de personnalités bien différentes les unes des autres, tente de résoudre des énigmes. Il s'interroge sur les destins de tous ces écrivains et poètes.
Il évoque le talent de chacun et joue, en quelque sorte, le rôle d'un
« passeur ».
Il admire tous ces artistes qui oeuvrent comme lui, à leur manière, pour un absolu.
Ces textes sont avant tout des exercices d'admiration de « maîtres » ou de proches.
Pour Zweig, « les oeuvres ouvrent le coeur, aèrent les intelligences, rassemblent et pacifient. »

Zweig a une formule pour chacun : Paul Verlaine est pour lui « le bohémien génial et pervers », Baudelaire « le plus grand poète du décadentisme », Balzac « le Napoléon des lettres françaises », « le plus riche créateur du roman moderne », etc.
Il brosse quelques traits marquants de la personnalité de chacun, analyse leurs façons d'écrire, avec nombre de citations, compare, marque les ressemblances et les dissemblances…

J'ai particulièrement apprécié comment Zweig trouve les mots justes pour parler des gens qu'il aime, comme par exemple, pour Baudelaire, « cet être suprasensible », « qui aime les extases sauvages des sens et sa fantaisie débordante souvent le porte à l'hallucination ». Et « Il aime à se perdre dans la vacillante dimension qui sépare le rêve de la vie, et tous les moyens lui sont bons pour porter sensation vers ces sommets où culmine l'ivresse des sens. »
Dans ce portrait de Baudelaire, il rappelle aussi la phrase de Mallarmé :
« le monde est fait pour aboutir à un beau livre. »

Le mérite de ce livre est d'être une porte d'entrée sur le monde de Zweig,
à l'aide de tous les écrivains qui l'ont fasciné. le talent de Zweig, c'est d'avoir été le témoin privilégié d'un monde « fin de siècle », un monde disparu, une « Belle Epoque », comme disent les historiens.
Son idéal littéraire est fait d'équilibre et de clarté, mais aussi de grandeur et de sincérité.
Sa vénération des grandes figures de l'humanité est sans limites.

A notre époque, où les hiérarchies sont bousculées, où la notion même de
« grand art » est contestée, où la fin des références induit une certaine perte de sens, la vision de Zweig a de quoi nous apaiser.

Un des avantages de la position de Stefan Zweig - autrichien nourri de culture germanique, pétri de culture antique et russe, maîtrisant l'italien, l'anglais et le français, féru d'échanges intellectuels, est qu'il est devenu, grâce à ses lectures et à ses voyages, un intermédiaire idéal entre les nations européennes. En cosmopolite, il sait définir ce qui fait, selon lui, la force originelle de l'art français, comparé à l'art allemand : « Toujours il revient au commencement. Il rénove toujours, jamais n'innove à partir de rien. Il prend le relais là où un autre siècle s'était arrêté, Zola prolonge Balzac, Verlaine Villon, Voltaire Pascal et Anatole France Voltaire de nouveau. Leur art est un édifice d'un seul tenant, non une agglomération ; chaque poète, chaque peintre prend place dans une lignée de manière harmonieuse. »

Ce livre permet de réviser nos classiques et de compléter nos connaissances sur nos grands auteurs, pour mieux saisir l'environnement de leurs oeuvres. Il est fortement documenté et très enrichissant.
C'est un livre foisonnant, passionnant à lire, qui nous invite à beaucoup de relectures de livres et d'auteurs qu'on avait aimés, et qui permet d'en découvrir d'autres aussi.
Un livre référent, qu'on aura plaisir à lire et à relire de temps en temps.

Le dernier texte du livre est particulièrement étonnant, intitulé « 1914 et aujourd'hui – A l'occasion de la parution du roman « Eté 1914 » de Roger Martin du Gard », où Zweig donne une lecture visionnaire de l'effondrisme actuel, dénonçant par anticipation notre incapacité, notre découragement, notre indifférence, à nous opposer aux catastrophes de dimensions planétaires qui nous menacent.
Commenter  J’apprécie          334



Ont apprécié cette critique (31)voir plus




{* *}