Je ne voulais pas encore regarder cette femme qui riait; cela m'amusait d'occuper d'abord, en une sorte de jouissance préalable, mon imagination avec une femme, de me la représenter, de mettre autour de ce rire une figure, une bouche, une gorge, une nuque, une poitrine, toute une femme respirant la vie.
Une fois que quelqu'un s'est trouvé lui-même, il ne peut plus rien perdre dans ce monde. Et dès que quelqu'un a compris l'être humain qu'il y a en lui, il comprend tous les humains.
J'avais vu trop de courses et trop souvent assisté au spectacle qu'elles offrent pour qu'arriver à temps pût encore m'intéresser ; mon indolence se trouvait mieux de me laisser secouer mollement par la voiture, de m'abandonner à la douceur bleue de l'atmosphère, qui me frôlait comme la mer frôle le bord d'un navire, et de regarder tranquillement les beaux marronniers épanouis, qui parfois s'amusaient à laisser prendre par le vent chaud et caressant quelques brins de fleurs que celui-ci soulevait ensuite doucement et faisait tourbillonner, avant d'en parsemer l'allée. Il faisait bon aspirer le printemps avec les yeux fermés, tout en se sentant balancé et emporté sans aucun effort ; en vérité, lorsque dans le Freudenau la voiture s'arrêta devant l'entrée de l'hippodrome, j'éprouvai en regret. J'aurais préféré faire demi-tour pour continuer de me laisser bercer par cette molle journée de l'été commençant.
Car je crois que seul vit véritablement celui qui vit son destin comme un mystère.