AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,84

sur 85 notes
5
4 avis
4
7 avis
3
3 avis
2
2 avis
1
0 avis
Lundi, je suis allé chez Zweig. On a mangé des viennoiseries. Après on est allés dans sa bibliothèque et on a lu "Le chandelier enterré". Une certaine réticence à toute religion m'empêchait d'apprécier pleinement la quête de ce chandelier en l'an 455 par Benjamin, un héros du peuple juif. Mais, quelle belle journée !

Mardi, je suis allé chez sa bibliothèque. On a mangé Zweig. Après, on est allés viennoiser et on a lu « Rachel contre Dieu ». Une certaine réticence à toute religion m'empêchait d'apprécier pleinement la révolte de Rachel contre les injustices de Dieu . Mais finalement Rachel, une femme de caractère, me plaît beaucoup. Quelle belle journée !

Mercredi, je suis allé à la boulangerie. On a dévoré « Virata »,un conte sur un guerrier hindoue qui évolue, non pas avec l'âge mais avec les événements, et dont un seul souci occupe son âme, celui de vivre sur la terre loin de toute mauvaise action directe ou indirecte envers son prochain. Après, on est allés chez Zweig et on a lu « viennoiseries à emporter ». On s 'est régalé. Quelle belle journée !

Point commun de ces trois histoires : s'élever dans sa spiritualité est un chemin semé de viennoiseries. Zweig n'a pas son pareil pour les embûches.
Commenter  J’apprécie          560
Pour moi qui suis une boulimique de Zweig et une admiratrice inconditionnelle de sa plume, sa finesse d'analyse et de l'évocation de "son" siècle, découvrir une nouvelle facette de l'auteur en conteur de fables religieuses est une vraie surprise, bien qu'à la réflexion il n'est pas si étonnant que l'expression d'une spiritualité orientée sur la divine misère des hommes trouve sa part dans l'oeuvre littéraire de Zweig, dont la judéité est aussi consubstantielle à sa personne que son humanisme mélancoliquement désespéré.
J'ai particulièrement apprécié la première des trois nouvelles qui donne son titre au recueil, parabole de la destinée tragique du peuple juif dont Zweig magnifie l'âme collective par la profondeur de ses mots. On sent à travers les lignes la souffrance de l'auteur en exil qui, en 1937, voit la persécution s'abattre de nouveau. Sous cette lumière, la troisième nouvelle dans laquelle Virata se dépouille de tout sauf de la douleur fait presque figure de testament.
Commenter  J’apprécie          363
Quel beau voyage dans le monde juif! Un court voyage mais indéniablement fabuleux! Le chandelier enterré nous fait côtoyer le peuple élu de Dieu dont les épreuves, les errances, le calvaire, les tourments, les afflictions qui, ayant traversé des siècles, sont autant rudes que leur croyance, qui reste à jamais irréversible. Cette fervente croyance à ce Dieu à la fois invisible et présent, sourd et agissant, Amour et Exigence, distingue certains hommes destinés à accomplir un devoir divin. Si la bible parle de Moïse ou encore de Joseph, Zweig, lui, nous parle de Benjamin Marnefesch, l'homme au bras brisé par le chandelier, dont son destin sera à jamais lier au sort de cet objet sacré. Ces sortes d'hommes tuent presque la nature humaine en eux et laissent place au divin, de les pénétrer, de leur parler et de les conduire! Et cet art de nous la conter, O Zweig, est ingénieusement enchanteur!

Commenter  J’apprécie          290
Recueil de trois nouvelles dont la première donne le titre du livre.

Dans le chandelier enterré, le peuple juif de Rome voit en 455 la menorah volée et emmenée par les Vandales. Un groupe de vieillards décide de suivre cet objet sacré comme son peuple a suivi autrefois l'Arche d'Alliance. Accompagné par un enfant Benjamin qui devra témoigner lorsqu'ils seront morts.
Toute sa vie Benjamin songera à la menorah et se demandera comment le peuple juif pourra honorer à nouveau cet objet sacré, jusqu'au moment où il apprend qu'il a été à nouveau objet d'une razzia par les Byzantins cette fois. Il est vieux à son tour mais c'est peut être un signe de Dieu.
Le récit va évidemment bien au-delà de la simple poursuite d'un objet fut il sacré. C'est la question de la survie du peuple juif toujours exilé comme à Babylone ou contraint de fuir comme il l'a été tout au long de son histoire. du destin d'un peuple dit élu et pourtant toujours persécuté. Et de celle posée par le petit Benjamin dans son innocence « – Et Dieu ? Pourquoi tolère-t-il ce vol ? Pourquoi ne nous secourt-il pas ? Tu l'as appelé le Juste et le Tout-Puissant. Pourquoi est-il avec les bandits et non avec les justes ? »
Ce texte m'a plu et je dirais presque consolée.
Le peuple juif de ce récit ne reste pas sans agir, mais il ne choisit pas la violence et soumet ses actes à Dieu, ce pourrait être laïquement à une morale.




La seconde histoire s'intitule Rachel contre Dieu. Ceux qui ont fréquenté le catéchisme se rappelleront que Jacob a du épouser Léa fille de Laban dont personne n'avait voulu avant d'épouser Rachel sa bien aimée et qu'ils durent s'attendre 14 ans.
Dieu ayant déployé Sa colère contre les habitants de Jérusalem qui se sont détournés de Lui pour sacrifier à d'autres dieux y compris dans Son temple, les morts sortent de leurs tombes dans l'effroi tandis que Rachel ose se révolter contre sa décision.
De la poésie à l'état pur.
J'aime beaucoup tous ces textes où l'homme pieux et généralement soumis s'adresse soudain à Dieu pour remettre en question Sa parole. Ce peut être dans d'humour : poème de Mathurin Régnier par exemple O Dieu, si mes péchés irritent ta fureur. Je dis humour sans être absolument certaine qu'il l'ait écrit dans cet esprit mais je trouve qu'il faut un certain culot pour dire Oui j'ai beaucoup péché mais Tu n'en as que plus de mérite à me pardonner.


Troisième texte Virata, d'inspiration hindoue.

Dans ce conte un homme favorisé par le sort cherche à être juste. Il change ainsi de rôle jusqu'à celui qui enfin le satisfait.
Tout être, dans l'action ou l'inaction est lié aux autres, on ne peut échapper au Bien et au Mal.
A lire et à méditer.
Commenter  J’apprécie          170
« le chandelier enterré », est le dernier recueil de nouvelles de Stefan Zweig, publié en 1937 : trois textes d'une haute portée philosophique et spirituelle ; deux fortement imprégnées de judaïsme et la troisième d'hindouisme.

La première nouvelle, la plus longue : « le chandelier enterré » est l'histoire d'un Juste qui n'aura de cesse que de faire revenir la Menorah - le chandelier à sept branches symbole du peuple juif qui fut volé par l'empereur Titus au Temple de Salomon - à Jérusalem.
Les Vandales pillent Rome pendant treize jours, calmement, méthodiquement ; et emportent le chandelier sacré au delà des mers. Il leur sera repris, plus tard…mais pour l'heure, les anciens de la communauté l'accompagnent pour l'admirer une dernière fois, accompagnés de Benjamin, sept ans, le Témoin : celui qui devra garder en mémoire cet événement et le transmettre…

La deuxième, « Rachel contre Dieu » : Dieu a décidé de punir les hommes - les éléments déchaînés sont en passe de détruire Jérusalem - et leur repentir tardif n'est que de peu d'effet face au courroux divin.
Surgit Rachel, ressuscitée du sommeil éternel pour apostropher Dieu lui même, incapable de pardonner aux impies…
Forte de sa propre expérience, elle qui pardonna à son père, homme injuste et entêté, qui parvint, par un subterfuge à lui substituer sa soeur aînée et à la marier à l'homme à qui elle s'était promise.

Enfin la troisième : « Virata », déjà publiée en 1927, dans le recueil « Amok » retrace la vie d'un Saint Homme comme probablement seule l'Inde peut en « produire ». On le verra gagner tous les étages du pouvoir et de la sagesse pour finalement mourir en domestique.

Jamais (à ma connaissance) textes de l'auteur de « La confusion des sentiments » n'ont été aussi imprégnés de spiritualité.
Trois textes d'une très grande densité, malgré leur apparence de contes qui ne manquent pas de rappeler Michel Tournier… voire Hermann Hesse.
Commenter  J’apprécie          170
Légende autour du candélabre sacré aux sept flammes dans le Temple de Jérusalem.
« Il demeure le secret de Dieu et dort dans les ténèbres des âges ».

Inspiration mystique dans ce récit fascinant et enrichissant dans les domaines historiques et religieux.

Le chandelier sacré à sept branches appelé Menorah, est l'un des objets qui témoignent de l'assiduité de la foi.
La Menorah et ses sept flammes. « Ce que la flamme est aux sens, l'Écriture l'est à l'âme ».

Stefan Zweig relate le pillage de Rome par les Vandales en Juin 455, et la quête du chandelier aux sept branches, la menorah en or massif.
« Les seuls témoignages qui nous restaient de nos origines étaient l'Écriture et le chandelier, la thora et la menorah… »

« Il était en or pur et artistement travaillé ; sept branches s'élançaient de son large fût et il était rehaussé de guirlandes ciselées. Quand les sept cierges brûlaient dans leurs douilles, la lumière sortait de sept fleurs et nos coeurs se sanctifiaient à cette vue. Lorsque cette lumière s'allume le jour du sabbat, notre âme devient le temple du recueillement. C'est pourquoi aucun autre symbole au monde ne nous est aussi cher que la forme de ce chandelier, et dans toutes les maisons de la terre où demeure un Juif qui continue à croire aux saintes choses, la menorah élève en effigie ses sept bras comme pour une prière. »

Toute la symbolique de la menorah et la destinée tragique du peuple juif sont évoquées dans cette nouvelle de Stefan Zweig.

« Tant que nous veillerons sur ce symbole de sainteté, nous demeurerons un peuple, même dans l'exil. »

Je reste toujours admirative du talent et de la finesse de Stefan Zweig pour nous conter légendes et traditions.
Commenter  J’apprécie          150
Je ne partage pas la religion et la spiritualité de S. Zweig, je n'ai donc pas toutes les références pour comprendre les textes, ou, plutôt, les deux premiers textes. Car le rapprochement avec le troisième, qui s'appuie sur une légende hindoue et non sur la tradition juive, peut sembler incongru. J'hésitais sur les raisons de rapprochement, jusqu'à ce qu'une phrase de "Virata", le dernier récit - conte ou mythe ?, me donne une clef d'interprétation thématique : "l'arbitraire est ta loi".
Les trois récits s'unissent en effet autour du thème de l'obéissance, de la soumission, du respect absolu de l'autorité - ou de l'Autorité divine - et de ses lois - ou de sa Loi pour les deux premiers qui évoquent Dieu. Il est donc question d'obéissance : les juifs obéissent aux Vandales ou à Justinien qui incarnent la force et donc le droit, et, par dessus-tout, ils obéissent à leur Dieu. Virata, lui, obéit d'abord à son roi, puis à ses convictions de juges, puis à ses règles spirituelles d'ermite, puis à nouveau à son roi. Mais il est également question de libre-arbitre : dans le deuxième récit, Dieu veut châtier par le feu les juifs qui ont choisi de désobéir à ses commandements, tandis que Rachel est la seule à oser lui tenir tête et même à lui faire des reproches.
L'obéissance absolue ne peut donc exister puisque l'homme a une volonté qui le pousse à agir - ou à ne pas agir. C'est la volonté humaine qui nous empêche de se soumettre totalement à une autorité, et même à une divinité, quelle qu'elle soit. Il faut donc chercher à comprendre pour obéir et se soumettre, même à Dieu - c'est ce que le rabbin explique au jeune Benjamin dans le premier récit, il faut chercher à comprendre, à tout comprendre - pour saisir les desseins de Dieu ("le Chandelier enterré"), pour éprouver de l'amour et de la pitié au lieu de la colère (Rachel contre Dieu), pour trouver la sagesse (Virata).
Chaque mythe a également un intérêt littéraire et historique propre : "Rachel contre Dieu" met en avant un personnage féminin qui réussit là où tous les patriarches ont échoué. Virata rejoint d'autres récits de Zweig sur la prison, sur l'enfermement - je pense au Joueur d'échecs par exemple, et montre un intérêt occidental pour des philosophies orientales, en lien avec le respect de la nature et de toutes ses formes de vie. Quant au premier récit, j'y ai lu une allégorie contemporaine de l'écriture : des juifs sont humiliés, persécutés, parqués dans des ghettos, et massacrés par des pouvoirs envahisseurs, blonds ou bruns, Vandales ou Aryens - le mot est dans le texte. Zweig est lui-même sur le chemin de l'exil et de l'errance quand il rédige ce texte, où les personnages, peut-être comme lui, s'interrogent sur Dieu, se demandant pourquoi celui-ci laisse souffrir celui qui est son peuple élu. le récit date de 1937, mais glace par anticipation pourrait-on dire.
De grands textes de S. Zweig, dont la confrontation est particulièrement enrichissante.
Commenter  J’apprécie          110
Stefan Zweig, né en 1881 à Vienne, en Autriche-Hongrie, et mort par suicide le 22 février 1942 à Petrópolis au Brésil, est un écrivain, dramaturge, journaliste et biographe autrichien. Stefan Zweig fit partie de la fine fleur de l'intelligentsia juive viennoise, avant de quitter son pays natal en 1934 en raison de la montée du nazisme. Réfugié à Londres, il y poursuit une oeuvre de biographe (Joseph Fouché, Marie Antoinette, Marie Stuart) et surtout d'auteur de romans et nouvelles qui ont conservé leur attrait près d'un siècle plus tard (Amok, La Pitié dangereuse, La Confusion des sentiments).
Le Chandelier enterré, recueil de trois nouvelles, a été publié en 1937. La première, qui donne son titre à l'ouvrage, est basée sur une légende concernant le candélabre sacré à sept branches (la menorah) allumé en permanence dans le Temple de Jérusalem. Benjamin n'est encore qu'un enfant en l'an 455, quand le candélabre est volé par les Barbares. Ce qui permet à l'écrivain de poser la fameuse question : « Pourquoi Dieu nous traite-t-il avec tant de rigueur, nous, justement nous, qui le servons mieux que les autres ? »Toute sa vie sera consacrée à retrouver l'objet sacré et quand devenu vieux après un long périple de Rome à Byzance, il le retrouve, il lui faudra user d'un stratagème aux limites de sa foi religieuse pour le mettre à l'abri et le rendre à son peuple.
Rachel contre Dieu, le second texte, évoque le destin de la fille de Laban, la soeur cadette de Léa, seconde femme de Jacob, dans la Genèse. Par abnégation envers son père et son Dieu, Rachel donnera Jacob qu'elle aime depuis plusieurs années, en épousailles à sa soeur, afin que soit respectée la tradition voulant que la soeur aînée soit mariée la première. Ce qui nous vaut une diatribe assez gonflée de Rachel s'adressant à l'Eternel dans des propos musclés quand elle sera contrainte à laisser sa place à sa soeur, « Ne m'as-tu pas entendue, Dieu omniprésent, ne m'as-tu pas comprise, toi qui comprend tout, ou bien faut-il que je t'explique mes paroles (…) Ecoute donc, Dieu dur d'oreille… »
La troisième nouvelle, Virata, s'éloigne des légendes et traditions juives pour nous plonger dans celles venues des Indes. Lors d'une bataille pour sauver son roi, Virata tue son propre frère passé à l'ennemi. Pour récompense de sa bravoure, il devient dignitaire du royaume mais Virata n'aspire désormais qu'à une seule chose, devenir un homme juste et sage, « un seul souci occupe mon âme, celui de la justice, celui de vivre sur la terre loin du péché ». Lentement il régressera dans l'ordre social, abandonnant les honneurs et les charges puis finalement sa famille, pour devenir ermite, ne possédant rien et donc, ne pouvant nuire aux hommes. Mais rien n'est moins sûr comme il en fera l'amer constat…
Même si cet ouvrage n'est peut-être pas celui par lequel il faut commencer pour découvrir Stefan Zweig, il contient le ferment de l'obsession humaniste de cet « Européen dans l'âme, profondément marqué par la guerre de 14 et par l'irruption de la barbarie dans un monde de culture et de raffinement qui disparaît à jamais. » Inutile de préciser que la langue est belle et l'écriture riche et que le recueil en s'achevant avec Virata permet astucieusement de faire oublier, le trop plein de religiosité des deux premiers textes à ceux qui ne goûtent guère ce type de sujet, sans s'éloigner de l'aspect mystique général. Il n'en reste pas moins que ce livre est comme un baume pour nos âmes.
Commenter  J’apprécie          90
« le Chandelier enterré », la première et la plus longue de ces trois nouvelles, est un récit assez fascinant (d'un grand intérêt historique et religieux), construit autour de la « menorah », le chandelier juif à sept branches. Il ne s'agit pas tant ici de la figuration emblématique du peuple juif, ou de l'État d'Israël aujourd'hui, mais de l'objet sacré par excellence, à savoir la véritable (ou supposée telle pour les besoins de cette fiction) « Menorah », celle que Dieu aurait commandée à Moïse dans le Livre de l'Exode, et qui aurait ensuite trôné dans le Temple construit par Salomon à Jérusalem. Tellement sacrée même qu'on ne peut la toucher ou l'approcher qu'au péril de sa vie, et que les fidèles du monde entier dépérissent d'en être séparés, comme ils sont prêts à tous les sacrifices pour la sauver.
Attention pourtant à ne pas tomber dans l'idolâtrie des païens ! Car l'honneur et l'orgueil du peuple juif, c'est de ne jamais confondre le divin avec ses vaines images, de ne jamais le ramener à notre niveau comme font les autres peuples, de le tenir toujours caché, au contraire, hors de portée de nos sens et de notre intelligence, au-delà de toutes nos catégories humaines. Stefan Zweig nous en avertit brillamment dès le début :
« Cette foi en l'immatériel accompagna nos pères et nos ancêtres à travers le monde, et pour s'attester à eux-mêmes qu'ils croyaient en un Dieu invisible, qui ne se montre jamais et qu'aucune image ne saurait représenter, nos aïeux créèrent un symbole. Car notre esprit est étroit et ne peut concevoir L Infini… Aussi pour que notre coeur ne se détourne jamais de notre devoir qui est de servir l'invisible, c'est-à-dire la Justice et la Grâce, nous avons fabriqué des objets dont l'entretien demandait des soins incessants : un chandelier appelé la menorah dont les cierges brûlaient éternellement, un autel sur lequel on exposait des pains constamment renouvelés. Ces objets sacrés — retiens bien ceci — n'étaient pas des représentations de L'Être divin comme les autres peuples furent assez impies pour en exécuter, mais des témoignages de l'assiduité de notre foi. »
En somme, parce que le peuple juif ne saurait confondre la matière et l'Esprit, le visible et l'Invisible, l'humain et le Divin, il ne voit aucun inconvénient, du coup, à symboliser ceux-ci dans des formes empruntées à ceux-là. Car le sacré témoigne plus, en fait, de l'attachement et de la fidélité des hommes que de la réalité ou de la nature de Dieu. La menorah est comme le souffle, la lumière et la vie même du peuple juif. Pas seulement un signe d'appartenance ou de reconnaissance ; mais une ancre de salut, une balise de détresse, un kit de survie.
La nouvelle de Stefan Zweig nous entraîne dans toutes les tribulations qu'elle va connaître, le temps d'une vie d'homme (celle de Benjamin, le héros de l'histoire et le gardien de sa mémoire), dans ce chaos historique qui accompagne la décadence et l'effondrement de l'empire romain au VIe siècle. Mais, s'il n'y a guère à attendre quelque lueur théologique de cette histoire de chandelier sacré, elle éclaire intimement en revanche (pour ceux qui lui sont étrangers) l'idiosyncrasie du peuple juif. On comprend mieux en effet la résistance opiniâtre de ce petit peuple depuis toujours dispersé et persécuté ; la force résiliente avec laquelle il manifeste sa solidarité et son identité de tous les points du globe où il s'est fait jeter ; sa revendication paradoxale de l'Éternel au milieu de toutes les bourrasques du temps et de l'histoire, lesquelles l'emportent cependant plus souvent qu'à son tour. Et, par-dessus tout, cette foi obstinée et insensée en un Dieu, non seulement lointain, invisible et inaccessible, mais qui reste sourd aux cris, aux malheurs et aux prières de ses enfants…
« Et Dieu ? Pourquoi tolère-t-il ce vol ? Pourquoi ne nous secourt-il pas ? Tu l'as appelé le Juste et le Tout-Puissant. Pourquoi est-il avec les bandits et non avec les justes ? » demande à sept ans le petit Benjamin de l'histoire. Et, des siècles ou des années après, en se référant explicitement à Auschwitz, « Quel est ce Dieu qui a pu laisser faire ? » demande le philosophe juif Hans Jonas. L'homme étant ce qu'il est, ces questions sont aussi inévitables qu'irrecevables, et pour la même raison : à savoir que l'homme n'est qu'un homme et que le divin, pour lui, est hors champ. La vérité de Dieu est à sa place dans le mystère et le secret, comme la menorah est à la sienne enfouie sous terre, « ignorée et intacte dans son tombeau ».

Par là aussi se comprend la situation paradoxale de la seconde nouvelle du recueil, « Rachel contre Dieu ». Alors que le courroux et la vengeance de Dieu s'abattent sur le peuple de Jérusalem qui s'est détourné de Lui, Rachel, n'écoutant que son coeur maternel pour protéger ses enfants et toute sa descendance, ose s'adresser directement à Dieu. Sa foi est aussi ardente que son amour pour les siens mais, se heurtant au silence, très vite sa prière prend des airs de blasphème et son plaidoyer pour les hommes tourne au réquisitoire contre Dieu. Plus hardie même que Job dans une posture assez voisine, elle pousse l'impudeur jusqu'à se donner elle-même en exemple et à défier Dieu de l'imiter. « Il ne se peut pas, Dieu, que devant tes anges une créature te fasse honte et qu'on puisse dire : il y avait une fois sur terre une femme, une faible mortelle, appelée Rachel, qui sut dompter son ressentiment, alors que Dieu, qui est le maître de tout et de tous, obéissait à sa colère comme un valet. Non, Dieu, cela n'est pas possible, car ta miséricorde ne serait pas infinie et toi-même tu ne serais pas infini, – alors – tu –ne – serais – pas – Dieu. » L'impudente va-t-elle se voir foudroyée sur place ? Non pas. Comme à Job avant elle et contre toute attente (humaine), Dieu lui donne finalement raison et satisfaction.
Pourquoi ? Parce que, dit Zweig, « Dieu aimait mieux celle qui niait la parole divine, dans la démesure et l'impatience de sa foi, que ceux qui la servaient pieusement par docilité. » Psychologie un peu courte, et encore trop humaine… En fait, comme il l'a dit précédemment, « les hommes sont toujours ignorants des choses divines et ne peuvent pas deviner ce qui se passe dans les cieux ». Aussi, en se contentant d'être une femme, et en lui parlant comme une femme, Rachel ne préjuge et ne méjuge en rien de Celui qui dépasse toute mesure humaine ; contrairement à ceux qui prétendent savoir ce qui lui convient. Consciente de la distance irréductible qui sépare l'ici-bas de l'au-delà, elle s'en tient aux modalités de l'ici-bas (même quand elle se tourne vers l'au-delà) ; elle n'imagine même pas la moindre accointance avec cet au-delà, qui lui permettrait de savoir au moins les formes dans lesquelles il faudrait l'aborder.
Où l'on voit que, comme pour les objets sacrés (et, en général, tout ce qui relève du sacré), l'anthropomorphisme assumé est encore la meilleure façon de respecter la transcendance et la meilleure garantie contre le risque d'idolâtrie !

Apparemment c'est un changement complet de style, de thème et de contexte religieux et culturel qui nous attend avec la troisième et dernière nouvelle du recueil. « Virata » est en effet une sorte de conte philosophique sur le principe spirituel du « non agir », qui nous emmène sur les terres de l'hindouisme et du bouddhisme et qui n'est pas sans rappeler le « Siddhartha » d'Hermann Hesse, publié quelque vingt ans plus tôt. Ici, plus de confrontation terrible à la transcendance, mais au contraire un doux abandon à l'immanence de « la divinité aux mille formes » qui s'incarne partout et en tout. Mais il s'agit bien, encore et toujours, de l'impossibilité de sortir des limites de notre humaine condition.
Virata est un homme intègre et vertueux, pieux et juste, animé du seul désir d'accomplir en lui la perfection humaine et de pouvoir, à l'heure de sa mort, réintégrer « le Devenir universel », purifié et sans faute. Ce désir intransigeant va le conduire, tout au long de sa vie et de métamorphose en métamorphose, à la perfection de la vertu guerrière, puis à celle de la justice, à celle de la sagesse, et enfin à celle de la vie contemplative et solitaire. Il aura ainsi mérité, au cours de son évolution et aux différents âges de sa vie, « les Quatre Noms de la Vertu » : « l'Éclair du Glaive », « la Source de la Justice », « le Champ du Conseil » et, pour finir, « l'Étoile de la Solitude ». Mais dans chacune de ces perfections, il finit par découvrir, tapie au fond de sa bonne conscience comme un méchant regard, le vivant reproche d'une tierce souffrance et la preuve indiscutable de sa propre malfaisance. Car, dans l'enchaînement universel, « tout acte a sa répercussion et est lié à la chaîne des autres » et « même celui qui n'agit pas commet une action qui le rend responsable sur cette terre ». « La chaîne monstrueuse de la Destruction, cette déesse hostile enlacée autour du monde, lui devenait manifeste, comme une loi que l'on ne pouvait pas refuser de reconnaître. »
Alors, renonçant à ses rêves de pureté et d'absolu, il consent à n'être qu'un homme (n'importe lequel, et presque le dernier des derniers), il consent à n'être qu'un rouage dans la mécanique universelle, à abdiquer toute volonté propre pour faire, tout simplement ce qu'il a à faire… Enfin réconcilié avec lui-même et avec le grand Tout ! « Ma voie n'était pas la bonne. J'ai tourné dans un cercle… Je voulais être exempt de faute et je m'abstins de toute action ; mais moi aussi, j'étais pris dans le filet que les divinités tendent aux êtres terrestres… Nos pieds sont enchaînés à la terre et nos actes soumis aux Lois Éternelles. L'inaction, c'est encore l'action. L'homme libre de tout n'est pas libre, de même que celui qui n'agit pas n'est pas exempt de faute. »
Commenter  J’apprécie          70
« Tu feras un chandelier d'or pur ; ce chandelier sera fait d'or battu ; son pied, sa tige, ses calices, ses pommes et ses fleurs seront d'une même pièce » (Exode 25,31)

Benjamin Marnefesh, enfant ignorant puis sage vieillard, tente de toutes ses forces de récupérer la Menorah créée par Moïse : de Jérusalem à Babylone, de Rome à Carthage puis Byzance, ce candélabre est le jouet de la brutalité des hommes et l'objet de la convoitise d'un peuple en quête de cette shekina consolatrice.

Longue nouvelle, entre légende dorée et chronique historique, le chandelier enterré s'élève comme le thrène désespéré d'un écrivain lucide face à l'holocauste qui se dessine (nous sommes en 1936, soit quelques mois après la promulgation des sinistres lois de Nuremberg).

Zweig reconstitue des mondes perdus avec maestria ; passant d'une attaque de Vandales à une ambassade à la cour de l'empereur Justinien, il enlumine avec vigueur visages et objets, bâtisses et paysages. S'y lit en filigrane, la douleur jamais apaisée d'un peuple erratique et universellement vilipendé.

Sobrement émouvant.
Lien : http://lavieerrante.over-blo..
Commenter  J’apprécie          51




Lecteurs (236) Voir plus



Quiz Voir plus

Le joueur d'échec de Zweig

Quel est le nom du champion du monde d'échecs ?

Santovik
Czentovick
Czentovic
Zenovic

9 questions
1876 lecteurs ont répondu
Thème : Le Joueur d'échecs de Stefan ZweigCréer un quiz sur ce livre

{* *}