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Critique de Deleatur


Comme on le sait, Zweig a rédigé cette autobiographie en 1941, après avoir été chassé d'Europe par l'antisémitisme et la guerre. Devenu apatride avec l'Anschluss, il s'est d'abord réfugié au Royaume-Uni avant de s'installer finalement au Brésil. Lorsqu'il écrit ces mémoires, il a pratiquement tout abandonné derrière lui hormis son nom, ce qui n'est évidemment pas rien pour quelqu'un qui est déjà célébré comme l'un des plus grands écrivains de son temps.
A mesure que l'on avance dans la lecture du Monde d'hier, on sent l'immense lassitude et le désespoir pesant sur cet homme, qui se disait citoyen du monde à une époque où l'expression n'avait hélas aucun sens (en a-t-elle davantage aujourd'hui, à vrai dire...). Zweig s'est suicidé au début de 1942, juste après avoir envoyé le manuscrit à son éditeur, et un mois à peine après la conférence de Wannsee où venait de se sceller le sort des juifs européens. L'écrivain n'a évidemment rien su de ce dernier événement, mais il suffit de lire son texte pour comprendre qu'il redoutait l'innommable et qu'il ne voulait pas le voir advenir.
Son livre est comme un testament de la culture européenne. C'est le récit très simple de ses soixante années d'existence, moitié autobiographie moitié analyse des évolutions internationales. Zweig appartient à une génération qui a traversé un nombre effarant d'épreuves collectives : né dans « le monde de la sécurité » (Vienne dans les dernières décennies des Habsbourg), il a vu son pays se précipiter dans la guerre en 1914. L'épuisement, la défaite, la ruine, le chaos économique et monétaire d'après-guerre, la montée de l'antisémitisme, la progression du fascisme, l'expansionnisme hitlérien, la capitulation des démocraties occidentales, les persécutions puis une nouvelle guerre... Tout cela, Zweig le raconte, mais de son point de vue. Or il ne faut pas oublier, sous peine de contresens, que son point de vue est celui d'un bourgeois issu d'une riche famille juive de Vienne. Il est parfaitement conscient d'appartenir à un monde privilégié et ne cherche pas à le dissimuler : sa première guerre mondiale ne se déroule pas dans les tranchées et il n'est que spectateur de la misère des autres. Je ne vois cependant pas ce que cela enlève à la valeur de son témoignage ni à son caractère poignant, ni à la sincérité de son émotion et de son effroi.
Il a certes fréquenté quelques-uns des esprits les plus brillants du premier vingtième siècle (et son livre fourmille de portraits d'écrivains et artistes pris sur le vif, parfois assez étonnants), mais Zweig porte surtout un regard très lucide sur le naufrage collectif de l'Europe. C'est la partie qui m'a le plus impressionné, sans doute par déformation professionnelle. J'avais initialement le projet de distiller des citations au fil de ma lecture mais j'y aurais mis au moins le tiers du livre. Alors je me suis abstenu, et en fait je n'ai pas besoin de dire plus que cela : il faut lire ce livre. Surtout aujourd'hui, à l'heure où la Bête, qui ne dort jamais que d'un oeil, manifeste à nouveau les signes de son éveil.
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