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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Ce dernier livre, peut-être inachevé, de Stefan Zweig est plus qu'une biographie.
C'est un hommage, une rencontre, presque une conversation.
Pour Zweig, l'oeuvre de Montaigne, même si elle apparaît toujours comme un véritable plaisir littéraire, ne peut emporter l''enthousiasme que d'un homme mûr marqué par les épreuves.
De plus, sa rencontre doit être favorisée par les événements.
Et comme Montaigne, fuyant la peste qui ravageait Bordeaux, Stefan Zweig a fui le nazisme."Il fait alors l'apprentissage du métier de réfugié".
Il s'installe à Pétropolis au Brésil où il vivra ses derniers mois.
Et comme Montaigne, il croit voir s'éteindre, avec la guerre, la grande espérance de voir le monde devenir humain.
Absorbé par "Les essais", le dernier écrivain qu'il lit et qu'il commente est donc Montaigne.
"Montaigne" 'est un livre beau, court et profond.
Le premier chapitre est une sorte de préface où les esprits des deux écrivains s'entremêlent.
Puis Stefan Zweig fait se lever le rideau pour que l'auteur des "Essais" puisse orgueilleusement signer son livre du nom de Michel Sieur de Montaigne et porter des armoiries qui ont coûté à l'origine la modeste somme de neuf cent francs.....
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Entre deux plats de noël, une petite critique : )
Superbe Zweig, comme d'habitude !
Cet homme ( Stefan, mais Michel aussi ) est parti trop tôt, début 1942. S'il avait attendu un an de plus, il aurait vu le basculement des forces en faveur des alliés.
Pour revenir à Montaigne, c'est un homme que Zweig admire car ils ont vécu des épreuves similaires : être capable de rester soi-même dans la tempête, Montaigne pendant les guerres de religion, Zweig face au nazisme ; et ce après une avancée de l'humanité :
la Renaissance et la perspective d'un nouveau monde pour Montaigne, la conquête du ciel pour Zweig.
Ce qui fascine l'auteur, c'est que, sans être un ermite, Michel de Montaigne se détache de plus en plus de ses fonctions administratives et même familiales pour réfléchir dans la grande tour de son château, et aller à la recherche, à la rencontre de son moi intime :
"Qui suis-je ?"
Mais pour se connaître, il faut étudier les autres, ce qu'il fait tellement bien qu'il finit par bien connaître l'Humain, et il est, à plusieurs reprises, négociateur entre le roi Henri III, catholique, et Henri de Navarre, huguenot.
.
Quelle belle écriture, et tellement simple. Je dis que la simplicité est la marque des Grands.
On n'est pas noyés dans les détails, l'auteur va à l'essentiel, c'est à dire ici, à ce qui intéresse Montaigne : l'Humain.
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Je n'avais jamais lu de biographie de Montaigne et pour palier ce manque, je me suis dit que j'allais me lancer dans celle élaborée par un des meilleurs écrivains de ce monde.
Et comme j'ai bien fait !
Car il ne s'agit pas seulement d'une biographie, mais aussi d'un essai et surtout, d'une déclaration d'amour.
Zweig n'hésite pas à nous expliquer pourquoi il aime autant Montaigne, pourquoi il l'admire et surtout pourquoi il s'en sent aussi proche. Et cet amour nous porte pour découvrir ce grand homme et philosophe un peu malgré lui.
Bon inutile de conclure en disant que j'ai beaucoup aimé car vous l'avez déjà compris. Quel dommage que Zweig ait décidé de nous quitter si vite...
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Voila un livre bien difficile à classer: c'est à la fois une biographie et aussi un essai. En effet, Stefan Zweig nous livre sa vision totalement personnelle et engagée de la vie de Montaigne. Il trouve dans l'auteur des Essais un frère dans l'esprit, un modèle de philosophe qui vit selon ses convictions dans une période troublée de la fin De La Renaissance. En fait, ce livre nous en apprend autant sur Montaigne que sur Zweig: c'est le dernier livre terminé de l'écrivain autrichien avant son suicide à Persepolis au Brésil, même s'il est probable qu'il ne s'agisse que d'une première mouture qui restait à peaufiner. Cependant, Zweig montre clairement ce qui le rapproche de Montaigne à tel point qu'on a bien des difficultés à voir ce qui sépare le maître du disciple et que l'on oublie que l'humaniste du XVème siècle était un bon vivant alors que l'auteur du Monde d'hier était facilement dépressif. Malgré ce travers, cette courte biographie nous fait pénétrer de façon passionnante et étonnamment pertinente dans la pensée de Montaigne dont la lecture m'a toujours parue particulièrement ingrate. Un livre donc très intéressant qui nous en apprend autant sur Zweig que sur Montaigne et qui donne envie de se replonger dans les Essais, surtout qu'il existe maintenant une version en français moderne (édition Quarto)
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Stefan Zweig (1881-1942) fut un auteur très inspiré et excella dans tous les domaines de la littérature, romans, nouvelles, poésie, théâtre, biographies.

Au cas présent, une biographie de Montaigne…

Une vie extra-ordinaire dès l'aube de son existence terrestre ; fils d'un père anobli de fraiche date, il est confié à une famille de pauvres bucherons. De retour dans l'enceinte familiale, il a comme langue d'apprentissage le latin, au point que les domestiques devront eux-aussi acquérir quelques rudiments.
Il ne brille pas particulièrement dans sa scolarité, ne disposant pas d'une « faculté de compréhension rapide et agile ». Après des études de droit, il devient conseiller au Parlement de Bordeaux, charge qui lui permet de rencontrer Etienne de la Boétie.

Rencontre fondatrice sur le plan humain et de la création. Pas d'Essais sans cette alchimie avec La Boétie.

A la suite d'un échec pour une promotion, il décide en 1571, à 38 ans, de revendre sa charge et de se retirer dans le château familial où il commence l'écriture des Essais avec une première édition en 1580.
Double retrait, d'abord de toute activité dans la société, mais aussi domestique en s'isolant le plus possible des sujétions de la vie domestique.
Mais en dépit du symbole apparent, son esprit ne s'est pas enfermé dans sa tour d'ivoire.
Tout le contraire, le scepticisme, l'ouverture d'esprit ponctuent ses pensées exprimées dans ces Essais « Quelle vérité est-ce ces montagnes bornent et mensonge au monde qui se tient au-delà ? » (Les Essais p. 615 aphorisme qui fera fortune sous la plume de Blaise Pascal…)
Son esprit pétille et son propos fait voler en éclat les opinions qui garrottent les esprits de ses contemporains. Il s'insurge contre le traitement infligé aux habitants du « nouveau monde », colonisé récemment ; les vrais barbares, ce sont les conquérants européens, pas les populations locales asservies. La torture utilisée par la justice comme moyen ordinaire, le révolte. Il dénonce la présupposée supériorité de l'humain sur les autres animaux.
En 1580, Montaigne entreprend un long voyage en Italie et à son retour il apprend qu'il a été nommé maire de Bordeaux, sans doute porté par le succès naissant de ses Essais. Cette désignation ne lui sied guère mais il ne peut la refuser, s'agissant en définitive d'un ordre royal. Cette fonction est exercée à distance, à partir de son domaine ce qui ne n'empêche pas sa réélection. L'exercice de cette magistrature se terminera dans des conditions peu glorieuses mais qui doivent être restituées dans ce quotidien à la Jérôme Bosch ; dans une région ravagée par la peste, Montaigne fuit avec sa famille, laissant derrière servitudes publiques et surtout cette farandole macabre infinie de villes et des paysages de désolation.
De retour dans son domaine, après quelques péripéties dans l'arrière-cour de l'histoire et des grands du royaume il n'aura de cesse de se remettre à l'ouvrage. Car Montaigne, sans doute avec un zest d'auto dérision comme Stefan Zweig se plaît à le citer « L'esprit je l'avais lent (…) l'appréhension » tardive, (…) et après tout un incroyable défaut de mémoire », écrit à son rythme, en ne fermant jamais les portes.
Mais cet apparent handicap, Montaigne le métamorphose en une richesse éclatante. Tel un ébéniste de l'écriture, passes après passes, il lisse, embellit sa pensée, prenant régulièrement à contre-pied le lecteur soit en l'engageant dans des chemins de traverse, soit en faisant des haltes qui ne se révèlent en définitive que des pauses en trompe l'oeil ; malicieusement, un peu comme Socrate auquel Montaigne fait régulièrement référence, qui dans ses dialogues feint de rejoindre son interlocuteur pour mieux le neutraliser.
Montaigne est le maestro de l'esquive, mais pages après pages, relectures après relectures, l'architecture des Essais, comme sa tour qui seule a résisté à l'incendie, est solide, puissante et défie le temps.
Et puis la rencontre de Marie de Gournay en 1588 ; la jeune femme a 23 ans, Montaigne 55 ans. A la demande de la femme de Montaigne, elle assurera la publication de la 3eme édition en 1598 avec une belle préface. le profil de cette femme est pour le moins singulier à cette époque : être une femme de lettres, célibataire, brise les codes ; tout au long de sa vie, Montaigne aura donc fait preuve d'une liberté d'esprit incroyable mais dans la discrétion. Un contraste violent avec les fracas et les clameurs hystériques de ce XVIéme siécle.
Montaigne ne connaît que trop les horreurs d'une époque de violence sanguinaire alors que les élans de la Renaissance laissaient espérer un monde nouveau. Pour les activistes de chaque parti il ne saurait y avoir de cohabitation avec l'autre, celui qui pense et prie différemment le même Dieu.

Cette période si sombre de Montaigne, où on peut légitimement douter de tout, en particulier de l'existence du Bien, de la nature de l'homme, est apparue tragiquement familière à Stefan Zweig en relisant les Essais.
Les Essais ont manifestement accompagné le grand homme de lettres dans les dernières pages du livre de sa vie qu'il a décidé de fermer prématurément.
Mais il parait improbable que Stefan Zweig ait cru pouvoir trouver une forme d'encouragement au suicide dans les pages des Essais.
Montaigne est juste un homme, remarquable entre tous, pas un guru qui propose un système ou des recettes de (sur)vie, et encore moins un culte de la désespérance. « Mon métier et mon art c'est vivre » (Les Essais p.398)

Montaigne ou un extraordinaire et effervescent laboratoire de vie positive comme cette belle biographie le rappelle.
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La Feuille Volante n° 1272
MontaigneStefan Zweig – PUF,

La biographie de Michel de Montaigne est l'ultime ouvrage de Stefan Zweig avant son suicide au Brésil en février 1942, On peut sans doute y voir une dernière tentative de conjurer son projet de quitter cette vie que Montaigne aimait tant mais qui ne lui convenait plus à lui, à moins qu'il n'ait fait sienne cette pensée des Essais «  La plus volontaire mort est la plus belle » .
Du propre aveu de Zweig, la rencontre avec l'auteur des « Essais » n'a pas facile puisque, bien que nourri de culture française il n'était pas prêt, à vingt ans, à en recevoir le message. Il lui a fallu attendre longtemps qu'il mûrisse en lui pour qu'il lui consacre cette biographie comme on retrace la parcours d'un ami. Même si notre auteur, qui est aussi connu comme romancier et nouvelliste, a consacré son talent à nombre de biographies, ce sujet n'a peut-être pas été choisi par hasard à cause peut-être de similitudes qui existaient entre eux. Les voyages, la fuite de Montaigne quittant Bordeaux pour échapper à la peste à laquelle répond celle de Zweig fuyant le nazisme, une autre peste, mais brune celle-là, la violence des guerres de religion et celle qui poussa l'écrivain autrichien à errer par le monde... Il a souhaité honorer le combat de Montaigne pour la liberté, de penser, d'agir, d'écrire, d'aimer … une valeur si menacée en cette première moitié du XX° siècle en Europe et qui lui manqua tant parce que son absence signifiait aussi l'intolérance. Il célèbre sa lucidité face au naufrage de l'humanisme et à la folie meurtrière des hommes qui ne vivent que pour la violence, parle de sa dénonciation de l'inhumanité, de la fragilité de la condition humaine de son époque et de sa volonté d'être lui-même, c'est à dire un homme qui refuse de prendre part à toute ce déchaînement de haine à l'extérieur. Pourtant il attendra longtemps pour devenir véritablement Montaigne ; il renoncera aux charges publiques et se retirera dans sa tour comme en lui-même et bien sûr avec le rempart de ses livres, sans pour autant renoncer à ses richesses ni aux voyages. Pourtant, cette forme d'égoïsme de Montaigne qui ne parle que de lui, cesse d'une certaine façon quand il devient écrivain, c'est à dire accepte d'écrire non plus pour lui mais pour les autres en leur confiant le résultat de ses méditations personnelles et intimes. Son oeuvre est en effet une « quête de soi-même » menée au rythme d'une vie retirée dans sa tour. Pourtant sa notoriété littéraire le fait élire maire de Bordeaux, ce qu'il apprend quand il est en Italie et alors même qu'il n'a rien demandé . Plus tard ce mandat sera renouvelé et il sera, lui-même sollicité par le roi pour des médiations et des négociations dont l'avenir du royaume a peut-être dépendu, Ainsi, par un revirement du sort, quand plus jeune il avait sollicité des charges publiques et que, celles-ci lui avait été refusées , il se voit, alors qu'il avait décidé de se retirer du monde, de méditer et de se préparer à la mort, pressé par le roi lui-même d'intervenir dans les affaires de l'État. Est-ce à dire que Zweig voyait entre eux beaucoup de similitudes ? Peut-être.
L'auteur refait la généalogie des Eyquem, commerçants enrichis et anoblis qui s'allient à une demoiselle Louppe de Villeneuve, d'une famille de commerçants prospères d'origine juive espagnole , la mère de Michel, ce qui n'est pas sans rappeler es propres origines de Stefan. Si Montaigne chercha à cacher cette ascendance, Zweig ne se signalera pas comme écrivain juif mais, lui aussi, comme un humaniste brillant, éclairant le monde de sa pensée. Comme Michel il reçut une éducation de qualité caractéristique de chaque époque et chacun aura une lente maturation d'écrivain. Zweig comme Montaigne honoreront le nom de leur famille par la culture et le transmettront aux générations futures.
Pourtant si Montaigne, mis à part un « journal » de voyage, est l'homme d'un seul livre, ce n'est pas le cas de Zweig, plus prolixe. et si les « Essais » n'ont jamais cessé d'être une référence de notre littérature, les écrits de l'écrivain autrichien ont longtemps été dans l'oubli même s'ils sont heureusement redécouverts actuellement
Montaigne s'interroge abondamment sur lui-même, cherche à se connaître, se demandant notamment « Que sais-je ? » ce qui le distingue des érudits et des religieux de son époque qui affirmaient péremptoirement détenir la vérité. Je note que s'il revenait aujourd'hui, il pourrait utilement se poser la même question. Ainsi,se peignant lui-même, il constate au long de sa vie des changements que le font passer de l'épicurisme au scepticisme, au stoïcisme pour finalement lui conférer une certaine sagesse mais aussi un forme de solitude, Cela , à mes yeux, fait de lui un écrivain de l'humain, de « l'humaine condition ».

© Hervé Gautier – Août 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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1ère édition 1982 (date d'édition de la première traduction en français)
Lu dans la 6ème édition « Quadrige » 2012, 4ème tirage avril 2018

J'ai l'impression de commenter une oeuvre exceptionnelle après avoir lu cette biographie de Montaigne, rédigée comme une sorte de testament par l'immense Stephan Zweig. Talent de ces deux écrivains, imbrication de leur vie dans la grande Histoire, engagement personnel dans les énormes difficultés de leur temps, legs moral à nos générations, tout cela me touche et m'éclaire profondément.

Zweig s'est exilé au Brésil afin de fuir le chaos provoqué par le régime nazi, un peu comme Montaigne qui s'était retiré sur ses terres du Périgord, le plus à l'écart possible de la fureur des guerres de religions. Stephan Zweig s'est installé sur les hauteurs de Rio de Janeiro, à Petrópolis, et Montaigne sera le dernier penseur qu'il lira. Mais contrairement à Montaigne qui restera debout malgré un siècle terrible de violence, Stephan Zweig mettra fin à ses jours en février 1942. L'ultime biographie qu'il a rédigée ne sera pas publiée de son vivant.
Immense écrivain, traduit et adulé alors dans le monde entier, sa renommée a été en grande partie effacée dans l'exil — il est interdit en Autriche puis en Allemagne en 1933 — au fur et à mesure que ce qu'il défendait passionnément, l'unité culturelle de l'Europe, le pacifisme et le rapprochement des cultures, volait en éclat partout dans le monde. L'oubli de Zweig a été terrible puisqu'il a duré au moins jusqu'au centenaire de sa naissance en 1981. Depuis, ses livres ont été publiés dans de nouvelles traductions et son oeuvre a trouvé un nouveau public.

Zweig reconnaît qu'il ne s'est pas intéressé à Montaigne quand il était encore jeune.
« Il est quelques écrivains qui s'ouvrent à tout lecteur, quel que soit son âge, à tout moment de sa vie : Homère, Shakespeare, Goethe, Balzac, tolstoï, mais il en est d'autres dont la signification ne se révèle qu'à un moment précis. Montaigne est l'un de ceux-là. »
Il est clair qu'il l'a lu au moment terrible de son exil en espérant certainement trouver des réponses à ce qu'il était en train de vivre. « Montaigne m'apporta son aide, sa consolation, son amitié irremplaçable. » Ce sera l'ultime écrit de cet immense écrivain dont j'ai du mal à me représenter la célébrité à son époque. Espoirs des peuples après la guerre mondiale de 1914 qui faisait suite à bien d'autres déjà au 19ème siècle ? La « der des Ders » était passée par là et l'homme voulait rêver et construire des lendemains qui chantent.
« Il semblait donc à notre génération que Montaigne secouait des chaînes que nous pensions depuis longtemps rompues, et nous ne nous doutions pas que, déjà, le destin les avaient à nouveau forgées pour nous, plus dures, plus cruelles que jamais. »
L'utopie avait vite été balayée par des dictateurs suivis par des foules nombreuses, paupérisées, ignorantes, revanchardes et des cercles puissants, cupides et/ou haineux envers les pauvres et les étrangers ?

Ce regain d'intérêt pour Zweig est vraiment intéressant car il véhicule des valeurs de notre temps. J'ai envie de faire un parallèle avec un autre écrivain dont j'ai parlé précédemment sur ce blogue — l'immense Romain Gary — qui semble connaître également un engouement qui me plaît. Tout comme deux arguments contraires peuvent à la fois être tout à fait exacts, je veux dire que le récent intérêt pour Zweig m'inquiète tout autant qu'il me réjouit ! Peut-être signifie-t-il qu'il se trouve des lignes de force communes avec le monde qu'a connu Stephan Zweig (et aussi Montaigne dont parle ici Zweig). Les personnages élus (plus ou moins ?) malhonnêtement tel que Trump, Poutine, Bolsonaro, Netanyahou... Et j'en oublie volontairement... n'ont pas encore déployé toute leur capacité de nuisance. C'est à la fin de tous ces processus que sera seulement connu de quel côté tombera l'avenir. Alors que certains comme Zweig se seront exposés, d'autres auront évité prudemment de prendre position et d'autres encore espéré tirer profit du ralliement aux puissants. On sait ce qu'il en advient aux époques de Montaigne et de Zweig... Mais pour nous qu'en sera-t-il ? Nul ne peut le dire mais force est de constater une montée des peurs, de la haine, du rejet de l'autre et la présence inquiétante d'ambitieux sans scrupules qui utilisent les ingrédients de cette triste recette afin de conserver ou gagner le pouvoir.

Cette biographie de Montaigne est aussi une autobiographie de Zweig. La biographie est un genre complexe et intéressant quand elle se situe à ce niveau (voir « Mes vies secrètes » de Dominique Bona).
« Lorsque je prends en main les Essais, le papier imprimé disparaît dans la pénombre de la pièce. Quelqu'un respire, quelqu'un vit en moi, un étranger est venu à moi, et ce n'est pas un étranger, mais quelqu'un que je sens aussi proche qu'un ami. » Zweig

L'auteur nous apprend bien des choses passionnantes sur Montaigne :
• L'origine de la famille bourgeoise Eyquem, ayant fait fortune dans le commerce de poissons, alliée par la mère de Michel de Montaigne à une famille juive d'origine espagnole ayant dû fuir l'Inquisition espagnole.
• L'éducation de Michel dans un château solitaire de Gascogne, au coeur du XVIème siècle, 250 ans avant Jean-Jacques Rousseau
• Un père tout à fait original qui organise l'éducation de l'enfant afin que celui-ci s'élève aux plus hautes sphères, jusqu'au conseil des rois et influence les évènements par leur parole — cela me rappelle l'éducation de Romain Gary, bien décrite dans « La promesse de l'aube ».
• L'apprentissage en latin dès le plus jeune âge, avec un entourage sommé de ne lui parler uniquement dans cette langue, ce qui les obligeait tous à pratiquer un peu cette langue (clé du petit monde des lettrés). Il l'apprendra sans difficulté, sans contrainte et presque par jeu. Zweig parle d'éducation indulgente d'enfant gâté... Montaigne pensera toute sa vie plus facilement en latin et écrira ses Essais en français afin de les mettre à disposition de tous (admirable, non ?)
• A la mort de son père, il abandonne les charges publiques au Parlement de Bordeaux, pour se consacrer à la gestion du domaine familial et surtout se réfugier dans sa tour, isolé du monde extérieur en proie aux violences des guerres de religion. On est en 1570 et Montaigne a seulement 38 ans.
• Il passera une dizaine d'années à « être soi », méditer et écrire à partir de ses lectures pour lui-même et parce qu'il n'a pas de mémoire, volonté de fixer autant que possible ses réflexions.
• Ensuite ce sera le temps de grands voyages à travers l'Europe avant de revenir aux plus hautes charges, puisqu'il sera maire de la ville de Bordeaux et qu'il sera demandé comme négociateur entre Henri III et Henri de Navarre, futur Henri IV, pour rien de moins qu'éviter une nouvelle guerre civile. Dommage que nos présidents des dernières décennies n'aient pas eu un conseiller de cette stature (BHL conseillant Nicolas Sarkozy ayant été, selon moi, un contre-exemple tout à fait réussi et un épisode consternant de notre histoire récente)

Montaigne rédige ainsi ses essais pendant une dizaine d'années dans cette tour avec sa chapelle au rez-de-chaussée et son petit escalier en colimaçon qui mène à la modeste chambre à coucher au 1er étage. Il installe sa bibliothèque, au second étage tout en haut, afin de méditer. Aux poutres du plafond, il fait peindre cinquante-quatre maximes latines, de telle sorte qu'il trouve toujours quelque mot apaisant et sage. Seule la dernière est en français, c'est le célèbre « Que sais-je ? ».

Reprenant en interprétant un peu l'auteur, je dirais qu'en lisant cette courte mais dense biographie, et en lisant Zweig et Montaigne si l'envie ou le besoin se fait sentir, on peut avoir la possibilité de se fortifier à leur exemple. Je les vois comme des protecteurs, des amis de chaque homme libre sur terre...

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Une bibliographie de 138 pages sur Montaigne, une de plus ! mais c'est sans compter sur son auteur Stefan Zweig qui n'a pas son pareil pour vous faire vivre, comprendre ce « prince des philosophes » qu'est Michel de Montaigne.
Ce texte est une véritable porte sur ce que fût cet homme exceptionnel et tout le talent de Zweig est de nous le rendre si vivant et de découvrir, pour ceux comme moi qui n'en avait qu'un vague souvenir de lycéen, le message de vie qu'il nous a transmis.
On a bien là un texte puissant qui vous donne qu'une envie c'est de lire les Essais, ce qui s'avère dans notre époque incertaine et soumise à de nombreux bouleversements est un message encore plus d'actualité et comme toute philosophie est une aide à se comprendre et comprendre le monde qui nous entoure.
Un passage du livre de Stefan Zweig résume à lui seul tout le talent de l'auteur pour nous faire vivre et mieux connaître Montaigne :
« Je ne suis pas avec un livre, je ne suis pas avec de la littérature, de la philosophie, mais avec un homme dont je suis le frère, un homme qui me conseille, me réconforte, un homme que je comprends et qui me comprend.
Quand je prends les Essais, le papier imprimé disparaît dans la pénombre de la pièce. Quelqu'un respire, quelqu'un vit avec moi, un inconnu est venu à moi, qui n'est plus un inconnu mais une personne dont je me sens aussi proche que d'un ami ».
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Une courte et excellente biographie. Comme à son habitude, Stefan Zweig est limpide et lumineux. Il permet de penetrer la personalité de Montaigne, de s'approprier le personnage dont la lecture me parait plutôt complexe. C'est l'essence meme de cet humaniste qui nous est proposée, meme si l'ouvrage compte-tenu de sa petite taille plutôt inhabituelle me parait inachevé. Les biographies de stefan Zweig me font penser à de long fleuves paisibles et reflechis, qui se deroulent tout au long de la vie des personnages étudiés...
Un bonheur de lecture!
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Stéphane Zweig n'a pas écrit seulement des romans mais aussi des biographies. Leur intérêt est qu'elles ne se cantonnent pas à un relevé chronologique et à une analyse proprement historique. Stéphane Zweig bâtit dans chacune d'elles un portrait. C'est la profondeur psychologique des personnages qu'il étudie qui l'intéresse. J'ai lu plusieurs de ces biographies (dont celle qui concerne Marie-Antoinette) avec beaucoup de plaisir.

Ce livre sur Montaigne est le dernier de son existence et a été écrit juste avant son suicide. Zweig ne pouvait que se sentir proche de cet humaniste qui avait été confronté à la peste et aux guerres de religion comme lui l'était à la "peste brune". Quelques détails précis sur l'existence de Montaigne retiennent son attention. D'abord son éducation humaniste : les quatre premières années chez un paysan à apprendre la frugalité et le sens de l'effort, les années suivantes dans le château de Montaigne à ne converser qu'en latin même avec sa famille et avec les domestiques.
La langue française n'est découverte que plus tard, ainsi que la vie sociale dans les années-collège qu'il supporte très mal (il se réfugie dans la lecture et l'écriture). de retour dans ses terres, il jouit d'une éducation libertaire où tout est fait pour qu'il prenne plaisir à chaque moment de l'existence (réveil en musique) et pour qu'il puisse agir toujours selon son libre arbitre.
Le lecteur recueille d'autres informations sur sa gestion du domaine (qui ne le passionne guère), sur sa fonction de Maire de Bordeaux (pour laquelle il n'avait fait aucun acte de candidature), sur son attitude face à la peste (qui l'a fait considérer comme un lâche), sur le rôle politique entre les différents partis qu'on veut lui faire jouer, sur ses échecs. Ainsi se constitue peu à peu un portrait qui rend compte de la personnalité complexe de l'auteur des Essais.
La conclusion qu'on peut en tirer est que Montaigne "se prête aux autres" mais qu'il ne "se donne pas". Il veut coûte que coûte préserver en toute chose sa liberté intérieure.
Stéphane Zweig énumère dans son livre les règles qui, selon Montaigne, permettent à l'homme de rester un homme libre :
"être libre de la vanité et de l'orgueil, ce qui est sans doute le plus difficile,
se garder de la présomption,
être libre de la crainte et de l'espoir, de la superstition, libre des convictions et des partis,
être libre des habitudes : "l'usage nous dérobe le vrai visage des choses",
être libre des ambitions et de toute forme d'avidité (...),
être libre de la famille et des amitiés, libre du fanatisme : "chaque pays croit posséder la plus parfaite religion" et être le premier en toute chose,
être libre devant le destin, nous sommes ses maîtres ; c'est nous qui donnons aux choses leur couleur et leur visage,
Et la dernière liberté : devant la mort."
En maints endroits, Stéphane Zweig fait des rapprochements entre le monde qui l'entoure et celui de Montaigne et semble trouver en lui un modèle inaccessible.
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