Un mariage à Lyon

La gloire à laquelle elle aspirait, l'immortalité qu'elle voulait obtenir de force au prix de sa vie ne s'attachèrent pas à son nom : son sort fut enseveli sous la poussière et les gravats d'événements sans importance. Car l'histoire ne tolère aucun intrus, elle choisit elle-même ses héros et rejette sans pitié les êtres qu'elle n'a pas élus, si grande soit la peine qu'ils se sont donnée. Qui est tombé du char de la fortune ne peut plus jamais le rattraper.

(dans Histoire d'une déchéance)

On peut se sacrifier pour ses propres idées, mais pas pour la folie des autres.

On peut appartenir à son peuple, mais quand les peuples sont devenus fous, on n'est pas obligé de l'être en même temps qu'eux.

Le soir pénétra lentement dans la chambre et elle ne s'en aperçut pas. Car discret est le soir. Il ne regarde pas effrontément aux fenêtres comme le soleil de midi ; ainsi qu'une eau sombre il s'écoule des murs, plonge le plafond dans le néant, entraîne doucement, sans bruit, tous les objets dans ses flots.

Les prisonniers jetèrent un regard peu amène sur ceux qui venaient d’arriver, car tel est bien le caractère étrange de la nature humaine que de s’adapter partout très vite et de se sentir chez soi même dans l’éphémère, comme si là était son bon droit. Ainsi les premiers occupants considéraient déjà malgré eux que la pièce humide et putride, la paillasse moisie, la place autour du feu leur appartenaient et chacun des nouveaux était à leurs yeux un intrus qui leur portait préjudice.

Histoire d'une déchéance

Mais que la journée fut longue ! Les heures à la campagne semblaient passer à la même allure circonspecte que les gens et elle ne connaissait aucun moyen d'en accélérer la marche. Elle ne savait à quelle activité se livrer, tout en elle était muet, son coeur était pareil à un carillon dont on a égaré la clé et la pétulante musique qu'il renfermait s'était tue. Elle se livra à diverses tentatives, elle se fit apporter des livres, mais même dans les plus spirituels elle ne voyait rien d'autre que du papier imprimé. Une grande agitation s'empara d'elle, les nombreuses personnes parmi lesquelles elle avait vécu pendant des années lui manquaient. Elle harcela inutilement ses serviteurs de ses ordres capricieux. Elle voulait entendre les marches d'escalier claquer sous les pas, voir des gens, susciter artificiellement le bourdonnement des messages ; elle voulut se mentir mais le résultat fut peu satisfaisant, comme celui de tous ses projets actuels. Le repas la dégoûta, de même que la chambre, le ciel et les domestiques. Elle ne désirait plus qu'une chose : la nuit, les ténèbres d'un profond sommeil sans rêves, jusqu'au lendemain où de meilleures nouvelles lui parviendraient.

Et déjà, pareils à deux flammes d'un même feu, ces deux êtres flamboyaient corps contre corps, bouche contre bouche et ils brûlaient si intimement ensemble que les larmes de ravissement qui jaillissaient brusquement des yeux de l'un innondaient les joues de l'autre et leurs sanglots semblaient provenir d'une même gorge prête à exploser. - "Un mariage à Lyon"

"Pour la première fois, elle était seule avec elle-même"
"Elle se sentait vide de cette solitude où personne ne la réclamait"
Nouvelle " Histoire d'une déchéance"

Il leva les yeux et reconnut avec émotion fervente qu'il n'est d'autre loi pour l'Homme que celle de l'univers, et que rien ne le lie véritablement que son union avec lui.

Non, elle était heureuse, parfaitement heureuse, maintenant qu'elle savait qu'elle allait mourir en même tant que celui qu'elle aimait et qu'aucun des deux n'aurait à pleurer l'autre. Il y avait une seule ombre à son bonheur : elle allait se présenter avec lui devant Dieu sous un nom qui ne serait pas le sien, et non comme son épouse.