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Critique de enjie77


« Je crois à la mémoire des pierres. Elles absorbent l'écho des conversations, des pensées. Elles incorporent l'odeur des hommes. Les pierres sauvages des grottes et les pierres sages des églises rayonnent d'une force mantique. On est toujours saisi quand on pénètre sous une voûte de pierre qui a abrité des hommes. » Citation de Sylvain Tesson.

La sensibilité de Sylvain Tesson rejoint mon ressenti. Pénétrer dans un espace sacré, dans une grotte, dans une maison, c'est un peu comme pénétrer dans un livre. Les pierres nous racontent une histoire, elles peuvent nous émouvoir, nous attrister, nous angoisser, nous procurer du bien-être, nous communiquons avec elles.

C'est ainsi qu'au détour de l'une de ses multiples déambulations, dans la quête d'une forme de terre natale où Ruth pourrait poser sa caméra, parmi tous ces immeubles parisiens, qu'elle s'est arrêtée devant une porte cochère bleue. Pourquoi cette porte plutôt qu'une autre ? Elle était entrouverte, un peu comme une invitation. Elle est entrée, s'est glissée sous une voûte et s'est retrouvée au milieu d'une cour pavée surmontée de quatre façades en carré. C'est à ce moment là, dans cette cour, qu'elle a réalisé qu'elle avait enfin trouvé « son Amérique » : le 209, rue Saint-Maur Paris Xème.

De retour chez elle, elle consulte une carte éditée par Serge Klarsfeld. A cette adresse, ce sont neuf enfants juifs qui ont été déportés. Il lui faut reconstituer l'histoire de cet immeuble, redonner vie à tous ces êtres disparus et dont les pierres conservent le souvenir : ce palimpseste d'êtres de chair et de sang, gorgé de sentiments. Les pierres ont tant de choses à raconter, sur le combat des êtres humains, sur leur lâcheté, sur leur idéologie, sur leur solidarité et leur fraternité.

Ruth Zylberman a effectué une enquête titanesque sur cet immeuble. C'est passionnant. Elle remonte rapidement à la naissance de la rue Saint-Maur. Parcourt les Plans, les Archives Nationales - des photographies figurent dans le livre - et c'est ainsi que nous partons de 1840, où le 209 n'était encore qu'un jardin. Elle va rechercher l'origine de la propriété afin de pouvoir contacter les héritiers des propriétaires de l'époque, et reconstituer ainsi l'histoire du 209, rue Saint-Maur.

Ce quartier a toujours hébergé des ouvriers, des artisans, des immigrés. Avec ses retranchements, ses passages, ses ateliers, ses cours qui « deviennent les jours de lutte, autant de réduits pour des « coups de main », l'arrondissement favorise la rébellion. Foyer d'agitation en juin 1848, coups de feu avec les barricades de la Commune, atrocités de la guerre de 1870, celle de 1914/1918, pour parvenir à la seconde guerre mondiale, la rafle du Vel d'Hiv jusqu'à nos jours, c'est plus d' un siècle et demi de l'Histoire du Xème que nous murmurent les pierres. Magnifique ouvrage où nous sommes accompagnés et où nous accompagnons la présence de tous ceux qui ne sont plus. Hommage à ceux qui ne sont rien au regard de l'immensité de l'Univers mais qui sont tout au regard de ceux qui les aiment.

De ces neuf enfants déportés comme des habitants de l'immeuble, Ruth va parvenir à retrouver des survivants qu'elle va réunir au 209, rue Saint-Maur comme Odette de Tel Aviv, Albert de Nevers, ou Henry aux Etats-Unis. C'est une lecture particulièrement intense, dotée d'une très belle humanité. Ce récit résonne de toutes ces voix qui ne sont plus, de tout ce passé mêlant beauté et laideur, et nous vibrons avec elles.


« Nous autres du 209, les pauvres, les morts et les vivants, les disparus et les revenants, nous autres les communards et les artisans, les résistants et les dénonciateurs, nous autres les jeunes filles amoureuses et femmes de mauvaise vie, nous autres les Kabyles et les Polonais, les Juifs, les Portugais et les Bretons, les Marocains et les Italiens, nous autres, Odette, Albert, Henry, Charles, et les autres – Nous autres du 209 – c'était la forte et fière affirmation d'une patrie imaginaire dont l'étendard serait ce toit de ciel découpé en carré au-dessus de la cour." Tous ils ont été en quête d'une terre, d'une grande famille au 209, rue Saint-Maur.

Je remercie Kirzy pour son billet si sensible qui m'a incitée à lire ce livre et à regarder le documentaire, tourné par Ruth Zylberman, sur le 209, rue Saint-Maur. A la suite de sa chronique, j'ai regardé le documentaire une première fois puis une seconde fois après la lecture de ce livre. Ils sont indissociables et complémentaires. le documentaire est toujours visible et il permet de mieux s'imprégner de l'intensité des retrouvailles.


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