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EAN : 9782070750436
120 pages
Gallimard (06/01/1998)
4.59/5   11 notes
Résumé :
« Le romance appartient à la famille des formes romanesques. Sa structure musicale permet de traiter à la fois les angoisses des personnages et leur aspiration à la beauté. » Antoine Volodine.

Après avoir aidé à construire une société où vivre en camp allait de soi, Jean Vlassenko et Maria Samarkande essaient de s'évader en créant des objets poétiques d'un type nouveau. Sous leur signature naissent des romances, des narrats, des Shaggas. Ils cristal... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Me revoilà dans l'univers post-exotique où le projet utopique et fraternel d'un monde meilleur a basculé dans le cauchemar. Me revoilà dans une lumière pisseuse, derrière des murs sans fenêtre d'une consternante grisaille de blockhaus. C'est là que Maria Samarkande est enfermée, là qu'elle subit un sinistre interrogatoire.
Ce qui, d'une certaine façon, rend les choses moins plombantes, c'est que Maria est déjà morte, elle le dit clairement: « Je m'appelle Maria Samarkande et je suis morte. » C'est une caractéristique de l'univers post-exotique que j'aime assez, les frontières entre la vie et la mort y sont beaucoup moins nettes que dans notre monde.

Maria raconte d'ailleurs sa mort dans un livre intitulé, comme celui de Volodine, «Vue sur l'ossuaire», qui fait suite au récit de son interrogatoire. Sa mort et celle de Jean Vlassenko, l'homme avec qui elle a «passionnément vécu et passionnément fabriqué de petits mondes littéraires intimes, qui ont reflété notre désarroi, nos peurs, notre constante espérance». le livre d'Antoine Volodine est construit en miroir - comme pour exprimer leur complicité inextricable mais peut-être aussi la séparation, chacun d'un côté du miroir, voire l'angoisse d'une impensable trahison, «coeur goudronneux de notre mauvais rêve»-, il présente dans sa seconde partie le récit de l'interrogatoire de Jean Vlassenko, suivi d'un troisième «Vue sur l'ossuaire», qui lui est attribué.
Les 7x2 «narrats» de Maria et Jean se font écho, demandent à être rapprochés, mettant en scène les mêmes personnages, les mêmes lieux, se complétant, se prolongeant, protestant contre une séparation arbitraire qui les mutile.
On y rencontre des personnages soupçonnés d'être des dissidents, leur réel est terrible, et leurs rêves qui parfois y plaquent des images se confondant avec celles du jour ne valent pas toujours mieux.
On y apprend que « La nuit nous habite: on a des pulsions de prédateurs. On met longtemps avant de respecter ce qui tressaute; on obéit à des ordres laids, venus du fond des âges… La nuit et la stupidité nous habitent. »
Mais on croit aussi y voir, dans le « gâchis sans remède » de 1914, un dirigeable, «une merveilleuse invention argentée, grise, tout à fait indépendante du massacre en cours: une porte enfin ouverte sur les rêves les plus purs, une promesse de beauté pour les décennies à venir.», on se met donc à rêver: « Ce n'est plus la peine de mourir… le siècle a eu un hoquet de sang, mais à partir d'aujourd'hui il sera lumineux jusqu'à sa fin… Plus personne ne sera victime des riches… L'intelligence commandera… » Et même s'il est évident que le règne de l'intelligence n'est pas advenu, ils continuent à aimer le rêve du dirigeable, à parler de grandes insurrections qui malheureusement « déferleraient trop tard, si jamais elles déferlaient, pour sauver les yacks sauvages, les lémuriens et les fourmiliers», et à construire des passerelles poétiques entre la réalité de leurs rêves et la réalité du monde des illusions.

Évidemment, les « narrats » et « récitats lunaires », c'est trouble, c'est bizarre, ce n'est pas clair, et ça énerve les Comités de vigilance qui espéraient bien par leurs interrogatoires amener Vlassenko à décrypter « ces messages soi-disant post-exotiques ».
Mais les « champs oniriques » que Jean laisse en friche au fond de sa mémoire demeurent inaccessibles à ses tourmenteurs, et ils ne peuvent saisir que l'écriture commune des narrats est un acte de tendresse et de volupté, de survie, quelque chose qui ne peut que leur échapper. Et c'est la force de cet amour, indestructible malgré la mort et la barbarie, de ce partage dans la créativité littéraire, qui introduit dans l'obscurité post-exotique une lueur certes vacillante, certes fragile, certes incertaine, mais pleine de grâce.

C'est difficile à noter, une oeuvre post-exotique, bien sûr chacune a son indépendance, mais le plaisir de lecture tient aussi à la sensation de s'enfoncer un peu plus dans cet univers fascinant, cet édifice qui se construit livre après livre, et où chacun d'eux puise une profondeur dans cet au-delà du texte où se tient toute une communauté fraternelle d'écrivains incarcérés, avec leur idéologie, leur imaginaire, leur histoire collective… Alors même si Vue sur l'ossuaire a pu être qualifié de livre mineur dans l'oeuvre de Volodine, j'ai beaucoup apprécié cette lecture.


Groupe post-exotisme
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Dans ce livre publié en 1998 chez Gallimard, deux écrivains, Maria Samarkande et Jean Vlassenko, sont les porte-paroles d'Antoine Volodine, un homme et une femme unis par un amour que ni la barbarie ni la mort ne pourront entièrement effacer. Enfermés arbitrairement, ils sont torturés par un pouvoir, la Colonie, qui voudrait leur faire avouer que «Vue sur l'ossuaire», ensemble de récits qu'ils ont écrit à quatre mains, est l'oeuvre de dissidents.

«Les réseaux clandestins n'existaient pas, c'était une invention littéraire qu'elle-même avait contribué à forger, dans des écrits propagandistes que l'officier de l'Aviation et le référent décortiquaient devant elle ligne à ligne afin d'y traquer des flous et des contresens, et des métaphores qui montraient qu'elle vacillait idéologiquement depuis longtemps et que, loin de servir avec loyauté la Colonie, la société à laquelle elle devait tout, elle préparait avec cynisme sa défection.»

Anciens serviteurs des intérêts de la Colonie aujourd'hui emprisonnés, Maria Samarkande et Jean Vlassenko ont composé ensemble cette somme de narrats, sept récits composés par chacun et qui se répondent comme un jeu de miroirs. Ces narrats racontent des destins individuels (ceux de Swain, Andersen, Tacharlski…) et à travers eux les échecs des révolutions, les atrocités des arrestations et exécutions arbitraires, la solitude et l'impuissance des derniers révolutionnaires qui, ayant échoué dans l'avènement de leur rêve d'établir une société égalitaire, ont été défaits et s'expriment maintenant de l'intérieur d'un espace carcéral.

«La maison qu'on avait attribué à Pilgrim dans le cadre de sa rééducation, pour lui permettre de se ressaisir, de réécrire son manuscrit en s'inspirant, cette fois-ci, de valeurs plus conformes à l'esthétique officielle de la Colonie et au bien public, grinçait, elle grinçait terriblement […] Quelqu'un avait souffert là, intensément et longtemps, et les échos de son désespoir persistaient à hanter les matériaux de construction.»

Ces récits à miroirs, appelés «Vue sur l'ossuaire», sont une romånce, un genre dont on pourra trouver les traits caractéristiques dans «Le post-exotisme en dix leçons, leçon onze», également paru en 1998, et lecture passionnante. Plus on lit et relit Antoine Volodine, plus on s'imprègne de ses voix singulières, de son édifice romanesque et de tout ce qui le sous-tend, du rapport au temps si particulier qu'il établit - enchevêtrement du rêve et de la réalité, continuum entre vie et mort -, résultat de la torture, de la barbarie et de la déconstruction des identités.

«Les filières souterraines appartenaient au domaine des contes, et dans la réalité, loin des féeries romanesques, il y avait seulement deux systèmes totalitaires très semblables, la Colonie et les Nouvelles Terres, et, où que l'on se tournât, des camps : d'isolement, de relégation, de transit, de concentration, sanitaires, d'expérimentation, de bûcherons, de rééducation, d'extermination, de semi-liberté, autogérés, de quarantaine, de vacances.»

Ces récits, fruits d'une collectivité de prisonniers, semblent comme l'incarcération être ici pour la perpétuité. Et Volodine bouleverse, car aux confins de l'horreur, même quand l'individu est anéanti par la barbarie, l'amour et la fiction restent indestructibles, jamais détruits même au coeur du noir.
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Citations et extraits (1) Ajouter une citation
les filières souterraines appartenaient au domaine des contes, et dans la réalité, loin des féeries romanesques, il y avait seulement deux systèmes totalitaires très semblables, la Colonie et les Nouvelles Terres, et, où que l'on se tournât, des camps: d'isolement, de relégation, de transit, de concentration, sanitaires, d'expérimentation, de bûcherons, de rééducation, d'extermination, de semi liberté, autogérés, de quarantaine, de vacances. Quant aux proches qui auraient pu la cacher, la plupart avaient été déportés dans des lieux inconnus, où ils avaient fui, sans espoir et sans laisser de trace.
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Vidéo de Antoine Volodine
Rencontre animée par Pierre Benetti
Depuis plus de trente ans, Antoine Volodine et ses hétéronymes (Lutz Bassmann, Manuela Draeger ou Eli Kronauer pour ne citer qu'eux), bâtissent le “post-exotisme”, un ensemble de récits littéraires de “rêves et de prisons”, étrangers “aux traditions du monde officiel”. Cet édifice dissident comptera, comme annoncé, quarante-neuf volumes, du nombre de jours d'errance entre la mort et la réincarnation selon les bouddhistes. Vivre dans le feu est le quarante-septième opus de cette entreprise sans précédent et c'est le dernier signé par Antoine Volodine. On y suit Sam, un soldat qui va être enveloppé dans les flammes quelques fractions de seconde plus tard, quelques fractions de seconde que dure ce livre, fait de souvenirs et de rêveries. Un roman dont la beauté est forcément, nécessairement, incandescente.
À lire – Antoine Volodine, Vivre dans le feu, Seuil, 2024.
Son : Axel Bigot Lumière : Patrick Clitus Direction technique : Guillaume Parra Captation : Claire Jarlan
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