Guillaume IX, comte de Poitiers et duc d'Aquitaine, le grand père d'Aliénor, fut certes un grand féodal, mais aussi le premier troubadour, préférant au latin la langue d'oc. Il nous reste de Guillaume onze chansons, lesquelles montrent d'un personnage qui fit souvent scandale plusieurs facettes. Il n'hésite pas dans une veine volontiers grivoise et facétieuse à mettre en scène ses prouesses sexuelles ou ses dilemmes amoureux, tandis que dans d'autres chansons il se fait plus délicat ouvrant la voie à l'amour courtois. Cet homme, si épris de plaisirs et de liberté, devient même, à la fin de sa vie, face aux périls qui l'entourent, d'une gravité soudaine. Bref ce guerrier intrépide, cet amant fougueux et parfois malheureux sait par sa sincérité et sa sensibilité nous toucher.
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Ce livre donne une version bilingue des onze poèmes (ou chansons) parvenus jusqu'à nous de Guillaume IX d'Aquitaine. Grand seigneur, il est considéré comme le premier poète médiéval, le premier en langue d'oc, un précurseur, voire le premier des troubadours, par les thématiques et les formes utilisées.
Il nous en reste juste une poignée de poèmes, sans la musique qui l'accompagnait, qui était incontournable à l'époque. Cela parle d'amour, de façon très crue parfois, parfois plus poétique, plus proche de ce que l'on imagine d'un troubadour. de la mort qui vient également, de l'identité. Il y a de beaux passages, et c'est forcément émouvant de lire quelque chose de si ancien, un peu à l'origine.
Le livre paru aux éditions fédérop est un bel objet, sobre et agréable à tenir en main. La présentation de Katy Bernard est enthousiaste, mais n'apporte à mon goût pas suffisamment d'éléments fouillés pour la compréhension de l'époque et du poète.
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Puisque j'ai désir de chanter,
Je ferai un « vers » sur ma peine :
Je ne servirai plus
Amour
En
Poitou ni en
Limousin.
Je m'en vais partir pour l'exil :
En grande peur, en grand péril.
En guerre laisserai mon fils :
Ses voisins lui feront du mal.
Qu'il m'est cruel de m'éloigner
De ma seigneurie de
Poitiers !
Je laisse en garde de
Foucon
Toute la terre et son cousin.
Si
Foucon d'Angers - ni le roi
De qui je tiens mon fief- ne l'aident,
La plupart lui feront du mal :
Félons
Gascons et
Angevins.
S'il n'est très prudent et très preux.
Quand je serai parti de vous,
Ils l'auront vite mis à bas,
Le voyant si jeune et si faible.
Si je fis tort à mon prochain,
Je crie merci, qu'il me pardonne !
J'en prie
Jésus, le roi du ciel,
Dans mon roman et mon latin.
J'ai été tout
Joie et
Prouesse,
Mais je dois quitter l'une et l'autre,
Et partir, ores, vers
Celui
Où tous pécheurs trouvent la
Paix.
J'ai été bon vivant et gai,
Mais le
Seigneur ne le veut plus ;
Et j'ai peine à porter le faix.
Tant je suis proche de la fin.
J'ai laissé tout ce que j'aimais :
La chevalerie et l'orgueil...
Tout ce que
Dieu veut, je l'accepte,
Et le prie de m'unir à lui.
Je prie mes amis qu'à ma mort
Ils viennent tous et fort m'honorent
Car j'ai connu
Joie et
Liesse,
Loin et près, et dans ma demeure ;
Je quitte ici
Joie et
Liesse
Et vair et gris et zibeline...
Dans la douceur du Renouveau
Viennent les feuilles, et les oiseaux
Chantent, chacun en son langage,
Selon le son du nouveau chant :
Il est donc bon que l'on jouisse
De ce que l'on désire le plus.
Farai un vers de dreit nien :
Non er de mi ni d’autra gen,
Non er d’amor ni de joven,
Ni de ren au,
Qu’enans fo trobatz en dormen
Sus un chivau.
Je fais un chant de pur néant :
Il n’est de moi ni de nul autre,
Il n’est d’amour ni de jeunesse,
Ni de rien d’autre,
Puisqu’il fut trouvé en dormant
Sur un cheval.
Je ferai chansonnette neuve
Avant qu'il vente, gèle ou pleuve.
Ma dame me tente et m'épreuve
Pour savoir quel amour me tient.
Malgré les peines qui m'émeuvent
Je ne dénoue pas ses liens.
Je me rends à elle et me livre.
Elle peut m'inscrire en ses livres.
Ne croyez pas que je sois ivre,
Désir de ma
Dame me tient.
Sans elle je ne peux pas vivre.
De son amour j'ai si grand faim !
Vous êtes plus blanche qu'ivoire,
Je vous adore et vous veux boire.
Je veux bien mourir de mort noire
Si je n'ai secours d'amour vrai.
Par la tête de saint
Grégoire
Au lit ou sous l'arbre, un baiser !
Que gagnerez-vous jolie
Dame À me tenir loin de votre âme ?
Ne jouez pas la sainte femme !
Sachez donc, tant je vous chéris,
Que je crains dur tourment de larmes
Si vous n'entendez pas mon cri.
Je sombrerai en patenôtres
Si vous ne me tenez pour vôtre.
Toute la joie du monde est nôtre
Bonne dame, si vous m'aimez.
Je te prie, mon ami
Daurostre
De chanter ces vers sans bramer !
Car pour elle j'ai froid, je tremble
Tout amour en elle s'assemble.
Il n'en est point qui lui ressemble
Dans la lignée du père
Adam.
Chanson
Dans la douceur du temps nouveau
Les bois verdissent, les oiseaux.
Chacun dans son langage, chantent
Les vers plaisants du renouveau.
Il faut bien que tout être cherche À satisfaire son désir !
Tant que j'ignore en vérité
Si nos cœurs sont bien accordés.
Ainsi va-t-il de notre amour
Comme la branche d'aubépine
Tout au long de la nuit, tremblante
Elle endure le froid, la pluie,
Le lendemain vient le soleil
Sur la feuille et le rameau vert.
Je me souviens d'un beau matin
Où nous mîmes fin à la guerre.
Elle me fit le don, ce jour-là
De son amour, de son anneau.
Dieu veuille que je vive assez
Pour passer les mains sous sa cape !
Peu m'importe ce que l'on dit
Pour me pousser à fuir
Voisine.
Je sais ce que valent les mots.
Et comment ils vont çà et là.
D'autres d'amour se gargarisent
Moi j'en ai la chair et le dard.
Ne me viennent du lieu béni
Ni message ni lettre close,
Et mon cœur ne dort ni ne rit.
Accourir vers elle je n'ose
Je ferai un poème de pur rien, Guillaume d'Aquitaine
lu par Sapho