Il y a, à travers le monde, des lieux privilégiés. Ce sont ceux où les hommes ont accroché le plus de souvenirs.
Entre Athènes et Byzance, avant Grenade ou Paris, Rome la Ville immortelle, est un de ces lieux de rêve.
Prodigieuse et mortelle, Venise en est un autre. En suivant Chateaubriand à Venise et à Rome, nous l'avons fait et vu marcher parmi l'armée des ombres qui étaient venues avant lui.
Il faudrait pouvoir écrire le roman du silence. Le roman de toutes les absences. Le roman des grands espaces.
Ni le hasard ni la nécessité n'auraient suffi à créer le temps, la beauté, l'attente d'autre chose, le souvenir et l'espérance de l'éternel et de l'infini, la passion et l'émotion.
Si proches de Dieu, si loin de Dieu, le mal les travaillerait et les emporterait. Mais dans la souffrance et le crime, dans l'indifférence, dans la haine, ils aimeraient Dieu puisqu'ils s'aimeraient. Et, traversés d'orgueil, de cruauté, de mensonge, aspirés par le mal, ravagés par la douleur, toujours en quête d'autre chose, ils s'aimeraient entre eux parce que Dieu les aimerait.
Pour la première fois, parce qu'il s'opposait à Dieu, Lucifer sentit sa force et il sentit sa beauté. Il était fort puisque le temps ne prendrait que par lui ses couleurs et son sens. Et il était beau. Parce que la révolte est belle.
Ni la peinture ni la musique, ni philosophes ni tragédiens, ni poètes ni romanciers — ni les historiens, bien entendu — n'ont osé abordé le thème du tête-à-tête céleste entre le bien et le mal. Au moment de franchir le pas, on hésite à leur donner tort. L'absence de toute source, de toute espèce de référence autre qu'un sentiment collectif dépositaire de secrets qui remontent à des âges évanouis et mystiques rend la tâche presque impossible. Il faut pourtant répondre à la question fondamentale que les hommes se posent sans l'ombre d'une solution, depuis la nuit de temps : « Pourquoi y-a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » Et à la question subsidiaire : « Pourquoi Dieu a-t-il permis qu'il y ait du mal dans le monde ? » Puisque c'est la réponse à ces deux questions qui constitue l'origine et le sens de ce livre, il n'est plus temps de reculer.
Le monde est une fête en larmes.
Il me semble, à travers Dieu, me souvenir enfin de ce que je n'ai jamais su. Et peut-être de ce que personne n'a jamais pu savoir. Il me semble deviner déjà ce qui me restera toujours interdit et fermé par le temps encore à venir. Puisque je participe à la totalité, quelque chose de Dieu palpite dans ce que j'écris. Je l'écris parce que je souffre d'un étrange maladie : j'ai le vertige du monde. Je lutte contre le mal par la vaccination, par l'homéopathie : je prends quelques gouttes de l'océan universel et je les infuse dans ces pages. Au hasard, n'importe comment, en quantités imperceptibles et infinitésimales : traces, comme dit le jargon. Il y a, dans ce livre à la gloire du saint nom, des traces de l'univers, il y a des traces de Dieu.