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Citations sur La Rivière contrariée (11)

- Vous voulez dire que c'est auprès de femmes légères que vous apaisez vos élans?
- Mon lieutenant, vous manquez vraiment d'imagination! L'amour, ça se prend, ça se donne, parfois ça se chipe, à la volée... J'en connais quelques-unes qui ne se font pas prier lorsqu'elles ont l'occasion de se faire cajoler en douce. Je ne les traite pas avec dédain, quoi que vous puissiez en penser.
- Des femmes mariées aussi?
- J'ai l'impression de me retrouver devant un curé, d'un coup... Bien sûr, des femmes mariées. Vous croyez qu'elles sont toutes comblées par leur homme, au point de rester cloîtrées à domicile? Les principes et les pieux serments, ça n'a pas été inventé par des gens comme nous... Parce que vous y croyez, vous, à la fidélité conjugale?
- Bien sûr. C'est même un des piliers de notre alliance, ma femme et moi.
- Mon lieutenant, je crois qu'il vaut mieux arrêter ici cette conversation. Je ne voudrais pas vous faire de la peine...
- Que du contraire, Deckers. Dites-moi en face ce que vous avez en tête!
- C'est vous qui l'aurez voulu... Ou bien vous êtes incroyablement naïf, ou bien vous êtes d'une race à part, lieutenant de Longchamps. Vous en connaissez donc beaucoup, des hommes et des femmes qui ne sont jamais allés cueillir un baiser ailleurs?
- Eh bien, oui. Je le pense...
- Vous êtes en train de me dire que... Il ne vous est jamais venu à l'idée d'avoir une aventure avec une autre femme que la vôtre? Est-elle donc tellement extraordinaire? Vous vous sentez depuis tant d'années à chaque fois rassasié dans ses bras?
- La question n'est pas là, Deckers... Ce serait trop simple. D'ailleurs, je crois que je vais regagner ma chambre.
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Ulysse s'apprête à rejoindre son cabriolet quand, tout à coup, il aperçoit une ombre à travers les rayons des roues. On dirait les pieds d'un individu occupé à fureter dans ses affaires! Ulysse s'accroupit pour se dissimuler. "Pourquoi diable ai-je laissé mon pistolet dans la voiture!"
Le malandrin est à moitié caché derrière la toile de la capote. Seules deux bottes de cuir, crottées de boue, et le bas d'un pantalon noir dépassent sous le véhicule.
L'homme porte des éperons aux chevilles "Mon imagination me joue des tours, s'énerve Ulysse. C'est sûrement un gendarme local... Si c'était un voleur, il y a longtemps qu'il se serait enfui avec ma malle ou avec mon cheval!"
Mais voici qu'un chien du voisinage débusque Ulysse dans sa posture bizarre. Ca y est : voilà qu'il se met à aboyer!
- Tais-toi, stupide quadrupède! Ce n'est vraiment pas le moment! Un volet s'ouvre, puis une porte de grange. Le temps pour Ulysse de se relever avec un semblant de dignité et l'autre individu a disparu.
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- Voici le premier puits d'extraction, claironne De Puydt en s'approchant d'une construction de bois de deux étages. C'est la plus petite des sept cheminées qui relient la galerie à la surface. C'est par ici que nous avons commencé à extraire les gravats du souterrain. Plusieurs jeunes gens se relaient en permanence pour en actionner le treuil. Tenez, dit-il en pointant l'index vers l'orient, la tourelle que vous apercevez là-bas est un deuxième puits, quasi identique à celui-ci.
Tout autour des deux hommes circulent des ouvriers chargés de paniers, de hottes de bricaillons à déverser sur les crassiers qui jalonnent les bords du chemin. La boue grasse du schiste dégouline en larges traînées sur les corps en sueur, puis remonte jusqu'aux visages avec les mains qui les épongent.
Ulysse aperçoit plusieurs jeunes filles dans le groupe et se laisse émouvoir par leurs yeux blancs cernés de suif. Un sourire, une plaisanterie fusent de temps en temps : le travail n'a pas complètement privé ces enfants trop tôt sevrés de leur spontanéité. Ils ont plus de chance que ceux qui vivent enfermés, de jour comme de nuit, dans l'étouffant souterrain.
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Il n'est pas loin de trois heures. Ulysse de Longchamps a quitté Barvaux juste après l'angélus. Il espère atteindre La Roche avant la nuit. Dans son cabriolet tapissé de cuir vert, il a l'air d'un citadin égaré, avec sa redingote ourlée de velours, son col raide et ses bottes à boutons dorés. Sous son claque noir, on devine un regard en main tendue, gendarmé par des sourcils en broussaille. Il fait à peine ses quarante ans, avec les longs favoris blond cendré qui encadrent ses joues. La rigueur de son maintien, la pression de ses pouces sur les rênes, tournés vers le ciel, l'assise de ses jambes sur le marchepied lui confèrent une dignité un peu singulière en ce décor. Si la trace d'un sourire ne venait détendre son visage, on pourrait se laisser impressionner par cette attitude conventionnelle. Simple vestige d'éducation.
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La Roche apparaît soudain au détour du chemin sertie dans une boucle de la vallée. Encore quelques minutes, le temps de franchir un dernier gué, et Ulysse atteindrait la porte de la ville.
Le bourg se blottit au pied du piton rocheux où se dresse son vieux château. Seules quelques tours en ruine se détachent, impressionnantes, sur la profondeur de la nuit. Les habitations sont exiguës, collées les unes aux autres à la manière dont s'agglutinent celles des bourgades moyenâgeuses. Au sol, de gros pavés sans âge n'en finissent pas de résister au passage des roues. Des ruelles en escaliers se faufilent entre les bâtisses à pans de bois, à l'assaut de la pente raide. Sur la place, plusieurs échoppes rappellent l'activité du jour. Quelques ombres s'écartent au passage du cabriolet, furtives. Dix heures sonnent, là-haut, à la "tour de l'horloge" du château. La façade accueillante d'une auberge apparaît bientôt au coin d'une rue. Ulysse pousse son cheval sous le porche et parque sa voiture dans la petite cour encombrée du gîte. Quelques vieilles charrettes et un robuste "tape-cul" semblent indiquer la présence d'autres voyageurs.
- Holà, crie-t-il en poussant la porte basse, est-il possible de passer la nuit ici?
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Les clameurs des ouvriers du chantier parviennent à présent aux oreilles d'Ulysse, de plus en plus distinctement. On approche du Saint des saints, du coeur même de la grande entreprise. Cris, chocs métalliques, percussions répétées en chaîne, rumeurs étouffées se répandent dans la vallée artificielle, amplifiés par les parois en porte-voix.
Et puis brusquement, au-delà d'un coude de la tranchée, voilà qu'apparaît l'entrée du souterrain de Buret, émergeant du flanc même de la colline. Elle a l'air fort éloignée encore, écrasée sous la masse des déblais qui alourdissent l'horizon. Peut-être est-elle simplement plus petite qu'Ulysse ne l'avait imaginée. Oui, c'est cela, plus petite. A vrai dire, à côté du canal, élargi à cet endroit pour permettre aux bateaux de se croiser, elle donne l'impression d'avoir été calculée trop juste. Quelle discrétion par rapport à la cuvette évasée qui lui sert d'antichambre!
L'ouverture du souterrain, aux angles soigneusement renforcés de pierres de taille, étire fièrement ses quatre mètres et demi d'obscurité. La baie qui semblait si menue prend à présent des allures plus impressionnantes. Deux hommes pourraient quasi s'étendre dans sa largeur sans se toucher des pieds. Heureusement, car le va-et-vient des ouvriers est continu : ils entrent et sortent, se faufilent entre brouettes et chariots avec une régularité de métronome. Triste défilé de travailleurs drapés de bleu noirci, si jeunes encore. Tant d'enfants, de jeunes filles, pliés en deux d'avoir trop éprouvé leur petit dos. Et quelle sévérité dans le regard! La vie a-t-elle déjà durci leur âme, enchaîné leurs rêves?
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Dans les premières décennies du 19 ème siècle, des hommes ingénieux et intrépides entreprirent de joindre la Meuse à la Moselle par l'Ourthe et un canal sous le massif des Ardennes. Ils échouèrent, pas très loin du but, et la mémoire de leur aventure se perdit, tandis que la forêt souveraine reprenait possession de leurs orgueilleux travaux.

Bien longtemps après, au hasard d'une randonnée, Géry de Pierpont découvre le tunnel de Bernistap. Fasciné par ces eaux mortes, il se fait archiviste, topographe, géologue, généalogiste, archéologue industriel, jusqu'au moment où la piste se perd dans le labyrinthe des "pourquoi". Alors, il met l'histoire au défi du roman, et il écrit La Rivière contrariée.

Robert Halleux - Membre de l'Académie Royale de Belgique - Directeur du Centre d'Histoire des Sciences et des Techniques de l'Université de Liège.
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« À la forêt de vallée, peuplée de grands troncs d’arbres, succédait une végétation plus trapue, plus rabougrie. C’étaient de petits chênes, des bouleaux ou des noisetiers qui formaient à présent les bosquets le long du chemin. Les étendues de genêts et de bruyères l’avaient aussi frappé, avec leurs allures de chevelure mal peignée. Le plus étonnant, cependant, c’étaient ces prés constellés de milliers et de milliers de pissenlits en fleurs. Comme si, en une nuit, une immense nappe à pois jaunes avait été étalée sur tous »

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Ulysse a quitté la fête et s’égare dans la nuit. Cette fois, il n’en peut plus. Trop de choses bouillonnent en lui. À commencer par cette pulsion animale, cette frustration de la chair, encore une fois réprimée. Puis cette avalanche d’événements, ces derniers jours, les vexations de Fondry, le poids de ses nouvelles responsabilités, au pied levé, la fatigue du voyage, les sermons philosophes d’un De Puydt désillusionné…
La tête dans les étoiles, il respire à pleins poumons, quitte le chemin, tourne sur lui-même. Voilà qu’il se met à courir, à crier vers la Voie lactée. Est-ce l’excès de vin qui le rend soudain malade ou ce trop-plein d’émotions ? Un vicieux haut-le-cœur s’empare de lui, retors et acide. Ulysse ne peut retenir une gerbe de vomissements. Son barrage intérieur viendrait-il de lâcher brusquement ?
Comme les eaux d’un lac, tout à coup libérées, jaillissent follement vers la vallée, ainsi s’épanchent ses tensions, ses contradictions, ses interrogations. Elles s’élancent, bouillonnantes, vers l’air libre, bousculent tout sur leur passage… Puis l’intensité du courant décroît progressivement, les flots perdent de leur hargne et finissent par s’écouler, fuyants, au ras du sol.
Ulysse, vaseux, rejoint lentement la rivière. Il se rince la bouche, s’asperge le visage d’eau. À tâtons, il s’assied sous un petit saule. Près de lui, l’Ourthe glisse, fraîche et insouciante, murmurant son doux gazouillis. Si elle savait le grand voyage qui l’attend, à travers l’inconnu… Elle se répand dans les anfractuosités de son lit, le long des méandres tracés par le temps, ignorant encore les berges de pierre et les écluses que les hommes ont aménagées pour corseter son cours. Ulysse se prend à envier cette eau innocente. « Elle n’a d’autre choix que de s’abandonner à la pente, en confiance » se dit-il naïvement. Puis il ferme les paupières, emplit ses poumons d’air humide et se laisse enlacer par la nuit fauve.
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Clô t' geûye( ferme ta gueule.... en francais)à la fin on ne sait plus roupiller en paix ici?

Un livre bien wallon ;-)
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