La haine a besoin de patience pour devenir une émotion utile.
Le petit matin était lourd de brume, comme s'il portait dans sa couleur grise le souvenir de lieux oubliés.
Il prit alors l'enfant dans ses bras et revint lentement vers la maison des Mola. Un jour, quand Andrés serait grand, il faudrait qu'il lui explique pourquoi les choses s'étaient passées de cette façon, et comment fonctionnaient les règles complexes des adultes. Il essaierait de lui montrer la réalité absurde où les sentiments ne pèsent rien face aux raisons d'une autre nature. Le pouvoir, la vengeance et la haine étaient plus forts que tout, et les hommes étaient capables de tuer ceux qu'ils aimaient et d'embrasser ceux qu'ils haïssaient, si cela pouvait les aider à réaliser leurs ambitions.
Maria remarqua que le regard de son père se voilait. Ce n'était plus ce héros invincible et infaillible de son enfance. Elle avait maintenant devant elle l'homme sans défense, nu, plein de blessures, de bosses, de faiblesses, de misères et de contradictions . Parfois l'intransigeance durcit la chair, parfois les rancoeurs et les déceptions, les reproches et les affrontements cicatrisent mal, et on ne sait plus comment rompre ce silence, cette distance infinie , même après la mort, même dans le souvenir.
Isabel ne dit rien. Elle regardait l'horizon.
Elle aimait la monodie des lumières zénithales, le jour naissant. En revanche, la montre au poignet de l'homme lui faisait sentir sa propre absurdité, égarée dans une carrière oubliée et déserte où les trains et les êtres humains mouraient sans honneur, sans élégance, sans dignité. Elle était incapable d'estimer le prix de sa vie, mais à l'évidence sa mort n'allait rien acheter.
Rappelle-toi la devise du samouraï: L'honneur ou le déshonneur ne sont pas dans l'épée, mais dans la main qui l'empoigne.
Nous ne sommes pas des samouraïs. (...) Nous sommes des chiens et nous mourrons en nous mordant l'un l'autre.
Tu as su pardonner ? Accepter la souffrance qu'on t'a infligée ? tu n'as surement perdu ni une épouse ni une fille. Tu étais destiné a être une victime, tu as eu ce que tu voulais...Mais moi ? Je ne voulais pas être adoré sur la croix, je voulais juste vivre en paix avec les miens.
La tradition japonaise de s'ouvrir le ventre était réservée à la haute noblesse, à ceux qui considéraient que leur vie ne pouvait s'achever que de leurs propres mains, de façon cruelle et douloureuse, mais volontaire. C'est ainsi qu'ils montraient honneur et courage. C'était la tristesse suprême du samouraï.
Les yeux de Marta brillaient en silence. Comme toujours, on aurait pu croire qu'ils étaient au bord des larmes. Rien n'était plus envahissant que ce regard.