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EAN : 9781250165343
320 pages
Feiwel & Friends (06/03/2018)
  Existe en édition audio
3.61/5   133 notes
Résumé :
Nous sommes en 1963, et Elisa Esposito survit tant bien que mal. Née muette, abandonnée par sa famille, elle travaille de nuit comme femme de ménage au Centre Occam de recherche aérospatiale.

Un soir, elle surprend quelque chose qu’elle n’était pas censée voir : un homme amphibie prisonnier d’une cuve, qui doit être étudié par les scientifiques pour faire avancer la course à l’espace de la Guerre Froide. La créature est terrifiante, mais aussi magnif... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (42) Voir plus Ajouter une critique
3,61

sur 133 notes
L'année s'annonce pleine de lectures séduisantes et ce roman de Guillermo del Toro et de Daniel Kraus fait parti du lot.
Attirée par une couverture intrigante où une femme enlace une créature écailleuse, je me suis plongée tout de suite dans ces années 60.
Tout d'abord ce sont les personnages qui m'ont interpellé. Notamment l'anti-héros Strickland, homme violent physiquement, odieux dans ses propos racistes et même sadique, gangréné par la guerre de Corée et un supérieur diabolique le général Hoyt.
Elisa l'héroïne est le miroir opposé du militaire , pleine de compassion pour les déshérités de la vie.

C'est donc la capture par Strickland d'une créature mi poisson mi lézard qui va opposer ces deux personnages mais sans véritable affrontement car Elisa est muette. Mais faute de mots la jeune fille, agent d'entretien dans le laboratoire du scientifique saura faire acte de rébellion.
Les autres personnages sont tout aussi fouillés apportant dans cette histoire sombre l'espoir d'une humanité plus juste et plus tolérante. Ils aideront Elisa et le Deus Brânquia torturé par le cynique scientifique qui n'a pas vu l'introduction d'un espion russe dans le F1 de l'OCCAM.
Nous sommes en pleine guerre froide et les deux grandes puissances de l'époque se confrontent pour la primeur de la conquête spatiale.
Mis à part les personnages et l'histoire d'amour, j'ai beaucoup apprécié le contexte historique de ces années 60: la condition féminine et l'emprise du masculin, les minorités méprisées par les classes dominantes tel Giles, ami d'Elisa et son homosexualité refoulé ou Zelda victime du racisme envers les noirs.
Tous ces problèmes sociétaux s'imbriquent avec le statut de l'animal qui est passé d'objet à être sensible; se pose donc le problème de la vivisection.
Même si les auteurs ont décrit des années boomers pleines de noirceurs, leur histoire fantastique explose en espoir. Il faut briser les chaines et laisser parler son coeur pour le progrès de l'humanité .
Un livre merveilleusement délicat que je vais prolonger par le film.
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Avant même que le film sorte et gagne plusieurs Oscars, j'avais envie de découvrir ce titre dont la couverture envoûtante m'intriguait… Or, lorsque j'ai vu le roman dans les sorties du mois, je n'ai pas hésité ! Merci encore aux éditions Bragelonne pour cet envoi dont je suis ressortie globalement conquise. J'ai beaucoup aimé la façon dont Elisa, femme de ménage et orpheline muette, a tissé une relation lente et progressive avec la créature. Speedy, une amie blogueuse, m'avait fait comprendre que, dans le film, l'attirance était directe, trop facile et réellement malsaine. Pour ma part, je n'ai pas eu cette impression avec le livre : on les voit prendre contact grâce aux oeufs durs, être fascinés l'un par l'autre, communiquer via la langue des signes, se rapprocher peu à peu, s'observer et s'écouter grâce à la musique qui joue un joli rôle dans cette romance naissante. Ce n'est pas si rapide que cela. Certes, on a du mal à concevoir cette union mais, après tout, pourquoi pas ! Si on compare leur amour avec celui de « La Belle et la Bête », c'est quasiment la même chose ! D'ailleurs, si on enlève les éléments historique et que l'on ne garde que l'histoire d'amour, on constate énormément de similitudes comme l'idée de physiques différents, le syndrome de Stockholm, le sauvetage, le triangle amoureux avec un rustre que l'héroïne n'aime pas et une part de la fin que je ne vous révèlerais pas (mais qui m'a agréablement surprise et qui, avec du recul, est assez logique)… On sent que les auteurs se sont inspirés de ce conte populaire. D'ailleurs, le message est le même : parmi tous les personnages, le monstre n'est pas la bête…

La narration alternée permet au lecteur de découvrir les pensées de l'héroïne ainsi que celles des personnages secondaires. On se retrouve alors du côté de Richard Strickland, l'antagoniste principal, sa femme Lainie, la créature (mais il faudra attendre environ trois-cent pages avant de connaître ses réflexions), Zelda (la collègue d'Elisa), etc. Parmi eux, c'est vraiment Richard qui m'a marquée. Son caractère est exécrable, il est réellement fou, violent, orgueilleux, méprisable, destructeur et mauvais. Sa folie n'a d'égal que sa brutalité. Un antagoniste perfide comme j'aime détester ! Par contre, je dois avouer que j'aurais souhaité que les protagonistes soient moins manichéens. En effet, on a vraiment la gentille héroïne, le monstre qui va s'humaniser grâce à l'amour, le méchant sans scrupules, les amis qui donnent tout pour leur camarade et les autres. Un peu plus de nuances et moins de stéréotypes… Heureusement que j'ai accroché à l'ambiance, parce que cela aurait pu être rédhibitoire durant ma lecture… Tout comme les quelques longueurs que j'ai ressenties de-ci de-là…

Derrière la romance, on aborde diverses thématiques comme la religion, la course à l'armement, la science, la place de la Femme dans la société, le racisme, la discrimination, etc. Il y a donc de quoi faire ! le fait que ce ne soit pas qu'une simple histoire d'amour m'a plu… Par ailleurs, j'ai grandement apprécié l'ouvrage en lui-même : il y a une hard-cover, des chapitres illustrés ainsi que de superbes croquis accompagnant le récit. Je serai curieuse de voir le film afin de comparer les deux supports ! J'ai surtout envie de voir l'interprétation de Octavia Spencer, la superbe interprète de Minny dans « La Couleur des sentiments » ! Par contre, je regrette le fait que le résumé ET la bande-annonce du film dévoilent les trois-quarts de l'intrigue ! Certes, on est curieux de voir comment cette relation va s'établir, on souhaite découvrir les intrigues secondaires et on veut connaître la fin, mais ce spoil gâche un peu la découverte ! Pour ma part, j'ai pris la liberté de réduire le résumé sur mon blog, afin de ne pas trop en dire… Pour résumer, « La forme de l'eau » est donc un joli roman esthétique et onirique non sans défauts qui a globalement réussi à me convaincre.
Lien : https://lespagesquitournent...
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Une histoire d'amour entre une humaine et une créature qui a tout du monstre, ça sent le déjà vu, pour ceux qui connaissent "La belle et la bête".

Alors serait-ce ainsi un remake que l'on nommerait "La muette et le monstre amphibie" ?

Non, c'est plus que ça, c'est mieux que ça, c'est différent de ça. On oublie la Belle du conte ou de chez Disney et on découvre une histoire d'amitié, d'amour, différente de tout ce que l'on connait.

Différente car si le scénario pourrait être du réchauffé (tout à été écrit depuis le temps) la manière de nous le présenter est différente, bien amenée, notamment grâce à quelques personnages allant des plus sympathiques ou crétiniste à la Trump.

Elisa Esposito est muette, elle est insignifiante, personne ne la voit, ne fait attention à elle, ne prend la peine d'apprendre le langage de signes, sauf Giles, le vieil homo qu'elle a pour voisin et Zelda, une collègue de travail, Noire, que tout le monde considère comme une moins que rien, vu sa couleur de peau.

Face à ces trois personnages qui ont tout d'insignifiant, de laissés-pour-compte par le reste des gens, nous avons Richard Strickland, une espèce de militaire imbu de sa personne, qui va chercher une créature dans l'Amazonie et qui n'hésitera pas à tuer les témoins ou ceux qui se mettent en travers de la route.

L'archétype de l'Américain qui se prend pour le roi du Monde, qui pense que tout lui est dû, que ce qui appartient aux autres est à lui, enfin, à l'Amérique. D'ailleurs, les autres, ce sont des animaux, ça ne souffre pas, ça ne pense pas…

Bref, le salopard dans toute sa splendeur mais sous la carapace d'enculé de première on a aussi un homme qui a souffert et qui souffre encore. le portrait n'est pas que tout noir et on a l'impression que la rage qu'il passe sur la créature, c'est celle qu'il n'ose pas passer sur son chef, le général Hoyt, celui qui le tient par les roupettes.

Le récit prend le temps de planter son décor, de nous envoyer en Amazonie pour capturer la créature tout en nous faisant entrer dans la psyché de Strickland, dans les pensées de sa femme (Lainie), dans la vie d'Elisa Esposito et des autres personnages qui parsèment de leur présence importante les pages de ce roman (Giles, Zelda et Dmitri Hoffstetler).

N'allez pas croire que l'histoire d'amour/amitié entre la créature et Elisa ressemble à du mauvais Harlequin, del Toro a pris le temps de développer leurs différentes rencontres et de quelle manière cela va se dérouler. C'est bien amené et on ne sombre jamais dans la mièvrerie bas de gamme.

Anybref, voilà une histoire d'amour bien foutue, bien fichue que l'on repose sur la table avec une pointe de nostalgie à l'idée de devoir remonter à la surface.

Le tout est de se laisser entraîner par les auteurs et de vibrer pour cette histoire d'amûr non conventionnelle. Si vous ne voulez pas y entrer, vous serez comme Strickland, imperméable à tout.

Lien : https://thecanniballecteur.w..
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J'ai d'abord découvert cette oeuvre dans sa version cinématographique, qui m'avait beaucoup plu à sa sortie. je l'ai revue après ma lecture récente, et cela a confirmé mon attrait pour le film.
Concernant le roman, je dois dire que je reste assez perplexe. Car il m'a semblé très inégal mais propose pas mal de choses intéressantes qui sont moins exploités dans le film.

La forme de l'eau est définitivement et intégralement une romance. Il n'y a pas que cela dans le texte mais elle constitue son intrigue principale. Elle est le coeur du propos et l'âme de l'histoire. Mais cette romance n'est pas ordinaire, ni juste là pour faire joli. Elle véhicule un message assez fort. Ce n'est pas de la romance pour dire de faire de la romance.
On peut d'abord faire un lien assez évident avec La belle et la Bête. J'en dis plus sur le blog, je ne veux pas dévoiler des pans de l'intrigue ici. En fait, ce qui m'a surtout séduite, c'est le caractère onirique de l'histoire. Elisa semble vivre sa vie comme une automate, plongée dans ses rêves de vie qu'elle n'aura jamais. le début de son histoire commence d'ailleurs par une prépondérance de rêves; des rêves de boue, de rivières et d'herbes hautes. Giles passe également son temps à rêver sur la vie qu'il aurait aimé mener, à une autre époque. le film selon moi décrit vraiment bien cette ambiance; moins verbeux que le bouquin, plus musical, léger, aérien et flou comme un rêve. le caractère hautement improbable de certaines scènes renforce cette impression d'onirisme.
Enfin, dernier ingrédient qui m'a plu dans ce mélange, c'est cette touche de body horror qui parsème les pages du roman. Je trouve que c'est là encore plus marquant dans le livre qu'à l'écran. le roman offre tout un visuel horrifique lié aux tortures perpétrées, tant sur la créature amphibie que sur d'autres personnages du roman. Et il ne fait pas vraiment dans la dentelle, allant par moments jusqu'au grotesque – on imagine sans peine les giclées de sang qui nous éclaboussent les mains avec un peu de chair avec.
Et puis, et j'ai trouvé ça à la fois perturbant et réussi, c'est le mélange assez malsain de torture et de sensualité. le texte l'évoque d'ailleurs à la perfection : sonorités, gradation dans le phrasé mimant l'excitation sexuelle, phrasé saccadé et concis, absence de connecteurs entre les phrases (asyndètes), choix du vocabulaire sans équivoque : tout ici respire la sensorialité, la sauvagerie, l'excitation et l'imminence du sang sur le bout de la langue.
C'est assez nauséeux, mais on est bien dans la dénonciation d'un esprit malsain et dangereux.
Un cocktail assez riche donc, qui crée au final quelque chose d'assez singulier, à la fois cotonneux et flou, mais aussi très sensoriel sur tous les plans. Selon moi, c'est une oeuvre qui ne peut pas laisser indifférent.

Enfin, et j'en parlais plus haut : le gros atout du livre par rapport au film est son regard très critique porté sur la société WASP des Etats-Unis des années 60. On est à une époque où le modèle de l'American way of life va inonder petit à petit toutes les sociétés occidentales. C'est beau, c'est chic, l'argent rentre, la prospérité est là, la richesse aussi… Mais l'envers de la vitrine est beaucoup moins chic.
La forme de l'eau est la voix des minorités de l'époque. le texte met en scène des personnages en marge dans une société fière de son succès et du modèle qu'elle propose. En parallèle, on a la figure du pater familias par excellence avec Strickland mais on constate avec lui les fissures qui commencent à poindre dans cette société du paraître, annonciatrices des grands bouleversements sociétaux à venir.
Sous la forme de l'eau donne alors un aperçu de tout le discours homophobe, sexiste et raciste de l'époque. Mais le rendu n'est pas optimal. D'abord parce que ce n'est pas finement intégré à l'histoire, comme je l'ai dit plus haut. Et puis c'est fait avec de gros sabots. Les victimes de ces violences insidieuses sont toutes des gentils. Ils n'ont absolument aucune nuance. Il n'y a bien que le méchant qui offre quelque chose de plus complexe (malgré sa cruauté sans borne assez grotesque parfois). Vous me direz que c'est l'effet conte qui joue. Peut-être !
Malgré tout, j'ai quand même apprécié deux figures. Celle de Zelda d'abord. Elle fait la conversation pour deux avec Elisa pendant leurs travaux de nettoyage, et son franc parler est très drôle, surtout quand elle évoque son mari. Et puis un personnage quasiment absent du film : Lainie, l'épouse de Strickland. Les chapitres centrés sur elle sont intéressants. On y lit sa métamorphose d'épouse soumise à travailleuse indépendante, d'une part. Et puis le roman donne un aperçu de toutes les injonctions données aux femmes à l'époque. Fais ceci, sois comme ça, ne fais pas ça comme ça, souris, cuisine, talons, cheveux, rouge à lèvres, etc. etc. Etouffant. Mais ces chapitres sont les plus désolidarisés de l'intrigue, même s'ils permettent de comprendre la descente aux enfers de Strickland d'autre part.


En conclusion, le roman possède des atouts évidents. D'abord, il explore davantage le passé et la psyché des différents personnages, tant principaux que secondaires. Cela les rend plus consistants et surtout nuancés (notamment pour Strickland, le méchant).
Mais c'est surtout le propos social qui est fort intéressant dans le livre, et beaucoup moins exploité dans le film. Quant à l'écriture, elle est également assez inégale. Globalement, le premier tiers m'a plu pour sa poésie, le dernier tiers pour les émotions générées, mais le milieu tire en longueur, avec une plume beaucoup plus banale à mon sens.
Lien : https://zoeprendlaplume.fr/g..
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Les avis concernant le film sont très élogieux.
Parfait, je ne l'avais pas encore vu et comme je préfère lire les romans avant de visionner leurs adaptations cinématographiques je me suis lancée.
Grossière erreur, je ne suis plus sure de vouloir le regarder maintenant.

Tout d'abord, la quatrième de couverture en dévoile beaucoup trop et j'avais l'impression de connaitre tout le récit avant de commencer.
L'histoire reste intéressante, mais j'ai eu un mal fou à rentrer dedans, je n'ai pas réussi en fait.
Impossible de ressentir la moindre émotion pour les personnages. Je les ai trouvé sans saveur, plat, trop caricatural aussi. Je pense notamment au personnage de Strikland, le stéréotype du gros méchant.

Le rythme est inégal. Trop rapide pour certains passages qui demanderaient à être approfondis et trop lent, trop détaillés pour d'autres qui semblent presque inutiles.
On alterne les points de vues, les protagonistes, on se ballade d'un endroit à un autre sans véritable intérêt. Il y a de nombreuses scènes d'action mais elles n'offrent aucune forme immersion au lecteur. On est juste spectateur d'un moment.

J'ai quand même réussi à allé au bout de ma lecture mais pas sans difficultés. Grosse déception donc.
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critiques presse (2)
SciFiUniverse
11 septembre 2018
Créer un conte de fée pour une époque troublée... Peu de réalisateurs pouvait le faire et Guillermo Del Toro en fait partie. Onirique, envoûtante, sa romance inspirée de L’étrange Créature du lac noir, était un chef d'oeuvre esthétique à défaut d'être son meilleur film. Et là est le point fort de cet ouvrage magnifiquement édité : même si vous n'avez pas apprécié le film, plonger dans ses coulisses est un régal.
Lire la critique sur le site : SciFiUniverse
TPLF
18 juillet 2018
Entre fantastique, romance et horreur, La Forme de l’eau est un véritable hymne à l’amour, à la tolérance et une belle leçon d’humanité !
Lire la critique sur le site : TPLF
Citations et extraits (27) Voir plus Ajouter une citation
Le réveil secoue la table de chevet. Sans ouvrir les yeux, Elisa tâtonne en quête du bouton d’arrêt glacé. Elle était plongée dans un rêve profond, doux et chaud, et elle veut y retourner rien qu’une minute. Mais comme toujours, son rêve se dérobe à sa poursuite consciente. Il y avait de l’eau, de l’eau noire – ça, elle s’en souvient. Des tonnes d’eau qui l’entouraient de toutes parts ; pourtant, elle ne se noyait pas. En fait, elle respirait mieux qu’elle ne le fait dans sa vie éveillée, dans des pièces pleines de courants d’air, dans la bouffe bon marché et l’électricité crachotante.

Des tubas claironnent au niveau de la rue. Une femme crie. Elisa soupire dans son oreiller. C’est vendredi ; l’Arcade Marquee, le cinéma vingt-quatre heures sur vingt-quatre du rez-de-chaussée, diffuse un nouveau film – autrement dit, elle va devoir intégrer de nouveaux dialogues, de nouveaux effets sonores et une nouvelle bande-son à son rituel matinal si elle ne veut pas risquer la crise cardiaque en permanence. Maintenant, des trompettes. Maintenant, une foule d’hommes hurlants. Elle ouvre les yeux et voit d’abord le « 22:30 » affiché par le réveil, puis les lames de lumière du projecteur qui jaillissent entre les lattes du plancher, parant les moutons de poussière de teintes Technicolor.

Elle s’assoit et carre les épaules pour se protéger du froid. Pourquoi ce parfum de chocolat chaud dans l’air ? L’étrange odeur s’accompagne d’un bruit désagréable : un camion de pompiers au nord-est de Patterson Park. Elisa pose ses pieds sur le sol glacé et regarde clignoter la lumière du projecteur. Du moins ce nouveau film est-il moins sombre que le précédent, un truc en noir et blanc appelé Carnaval des âmes ; les riches couleurs qui se déversent sur ses pieds l’autorisent à glisser dans un confortable rêve éveillé. Elle a de l’argent, beaucoup d’argent, et des vendeurs obséquieux lui présentent un assortiment d’escarpins multicolores. « C’est ravissant, mademoiselle. Avec une paire de chaussures pareille, ma foi, vous allez conquérir le monde. »

Au lieu de ça, c’est le monde qui l’a conquise. Aucune quantité de babioles achetées dans des vide-greniers pour quelques pennies et punaisées aux murs ne pourrait dissimuler le bois rongé par les termites ou détourner l’attention des cafards qui s’éparpillent dès qu’elle allume la lumière. Elle choisit de les ignorer ; c’est son seul espoir de traverser la nuit, le lendemain, le reste de sa vie. Elle se dirige vers le coin cuisine, règle le minuteur, plonge trois œufs dans une casserole d’eau et passe à la salle de bains.

Elisa ne prend que des bains. Elle ôte son pyjama en flanelle tandis que l’eau coule. Au boulot, ses collègues abandonnent des magazines féminins sur les tables de la cafèt’, et d’innombrables articles ont informé Elisa des zones précises de son corps sur lesquelles elle doit faire une fixation. Mais les hanches et les seins ne peuvent rivaliser avec les chéloïdes roses et boursouflées des cicatrices sur les deux côtés de son cou. Elle s’enfonce dans la baignoire jusqu’à ce que son épaule nue touche le fond. Chaque cicatrice mesure sept ou huit centimètres de long et file de sa jugulaire à son larynx. Au loin, la sirène se rapproche. Elisa a passé toute sa vie à Baltimore, trente-trois années, et elle peut suivre la progression du camion dans Broadway. D’une certaine façon, ses cicatrices aussi dessinent un plan, pas vrai ? Le plan d’endroits qu’elle préfère ne pas se rappeler.

Enfoncer ses oreilles dans l’eau du bain amplifie les bruits du cinéma. « Mourir pour Chemosh, crie une fille dans le film, c’est vivre éternellement ! » Elisa n’est pas sûre d’avoir bien entendu. Elle presse un bout de savon entre ses mains savourant la sensation d’être plus mouillée que l’eau, si glissante qu’elle pourrait la fendre tel un poisson. Des bribes de son rêve agréable pressent sur elle, aussi lourdes que le corps d’un homme. Brusquement submergée par leur érotisme, elle insinue ses doigts savonneux entre ses cuisses. Elle est sortie avec des hommes et a eu des rapports sexuels, tout ça. Mais cela fait des années. Quand ils tombent sur une femme muette, les hommes profitent d’elle. Pas un seul d’entre eux n’a tenté de communiquer vraiment lors d’un rendez-vous. Ils se sont contentés de l’empoigner et de la prendre comme si, n’ayant pas plus de voix qu’un animal, elle en était un. Ça, c’est bien mieux. Si flou soit-il, l’homme de son rêve est bien mieux.

Mais le minuteur, cet avorton infernal, se met à couiner. Elisa postillonne, embarrassée même si elle est seule, et se dresse dans la baignoire, ses membres luisants et dégoulinants. Elle s’enveloppe d’un peignoir et, frissonnante, revient vers la cuisine où elle éteint le feu et accepte la mauvaise nouvelle dispensée par l’horloge : il est « 23:07 ». Comment a-t-elle perdu autant de temps ? Elle enfile un soutien-gorge au hasard, boutonne un chemisier au hasard, lisse une jupe au hasard. Elle se sentait intensément vivante dans son rêve, mais à présent, elle est aussi inerte que les œufs qui refroidissent sur une assiette. Il y a un autre miroir dans la chambre, mais elle choisit de ne pas le regarder, au cas où son impression serait justifiée et où elle serait invisible.
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Incapable de percevoir Ta forme, je Te trouve tout autour de moi. Ta présence emplit mes yeux de Ton Amour, Elle rend humble mon coeur, Car Tu es parTout.
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Ce qu'elle ignore, c'est à quoi elle servira une fois là-bas, et quelles seront les conséquences. Mais on ne peut jamais savoir ces choses à l'avance, pas vrai ? Le monde change, ou il reste le même. On se bat pour ce qu'on croit juste, et on se réjouit de l'avoir fait.
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On vous apprend surtout à connaître les flingues et les balles, hein ? La plupart des indigènes croient que le dauphin d’eau douce rose est un encantado, un métamorphe. Par les nuits comme celle-ci, il se change en homme d’une beauté irrésistible et se rend au village le plus proche. On peut le reconnaître au chapeau qu’il porte pour dissimuler son évent. Grâce à son déguisement, il séduit la plus belle femme du village et l’emmène dans sa maison sous l’eau. Attendez et vous verrez. Nous ne croiserons que très peu de femmes le long de la rivière la nuit ; elles ont trop peur d’être enlevées par l’encantado. Mais je trouve que c’est une histoire pleine d’espoir. Ne vaut-il pas mieux un paradis sous l’eau qu’une vie de pauvreté, d’inceste et de violence ?
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La plupart des indigènes croient que le dauphin d’eau douce rose est un encantado, un métamorphe. Par les nuits comme celle-ci, il se change en homme d’une beauté irrésistible et se rend au village le plus proche. On peut le reconnaître au chapeau qu’il porte pour dissimuler son évent. Grâce à son déguisement, il séduit la plus belle femme du village et l’emmène dans sa maison sous l’eau. Attendez et vous verrez. Nous ne croiserons que très peu de femmes le long de la rivière la nuit ; elles ont trop peur d’être enlevées par l’encantado.
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