Notre colère n'est pas un détail de l'histoire qu'on peut passer sous le tapis
Des agressions sexuelles, hier « il n'y avait personne à qui
parler, personne vers qui se tourner, à qui dire ce qui se passait », des jeunes filles sexualisées « réduites à cela », des actrices « devenue un objet sexuel », des femmes violées par un producteur de cinéma, « Je voudrais pouvoir reprendre cette nuit, revenir en arrière et ne pas la vivre, ne jamais avoir passé la porte de cette chambre. Ce qui est arrivé là, ce qui est arrivé ensuite, a changé ma vie pour toujours. J'étais salie. J'ai perdu mes illusions sur la vie, sur les gens » (Asia Argento), les monstres glissés sous les tapis, le secret enfin ouvert, le viol hier considéré comme « un crime contre la « morale publique » » et non comme un crime contre la personne, tout ce qui est fait pour empêcher les dénonciations de viols, les re-victimisation des femmes violées et leurs mises en accusation lors des rares procès…
Un recueil de textes « disparates ». Certains très intéressants, d'autres moins, d'autres encore plus que discutables (dont les réécritures de l'histoire du mouvement de libération des femmes au prisme d'un seul courant). Je choisis de ne présenter que certains thèmes traités et quelques articles. Je privilégie ceux écrits par des femmes. Des hommes pro-féministes peuvent être des alliés des combats féministes – voir en fin de note, deux appels initiés par des hommes -, pour autant que des femmes les reconnaissent en tant que tels et que les paroles masculines ne se substituent pas aux leurs.
1. Généalogie de #metoo : Scansions et enjeux
Comme le souligne
Michelle Perrot, « #MeToo s'inscrit dans un mouvement de longue durée ». Les femmes ont parlé et parlent « sans qu'on les entende », sans que l'on prête attention à ce qu'elles disent. Et lorsqu'elles parlent, on essaye de discréditer leurs paroles, de les discréditer…
Des expériences partagées par toutes les femmes, la domination au travers du corps et de la sexualité, les yeux fermés – le silence socialement construit – sur les violences exercées par les hommes, le refus de l'égalité (la subversion possible des normes et des comportements), le lieu principal des agressions, « la majorité des agressions et crimes sont commis par des proches dans la sphère privée » (Catherine Deschamps), le temps – pas si ancien – ou l'avortement était un crime mais où le viol ne l'était pas,
le corps des femmes (« ni un terrain à conquérir, ni une marchandise »), le privé et sa régulation, les atteintes sexuelles pendant l'enfance et l'adolescence, les « histoires de déni, de culpabilité, d'amnésie traumatique » (
Janine Mossuz-Lavau), la peur de l'indifférenciation sexuelle, les féminicides en Amérique centrale et du sud, Ni Una Menos, Vivas y libres nos queremos, vaincre la peur de
parler, « les victimes sont toutes toujours accusées de mentir, d'être instables et manipulatrices » (
Sandrine Rousseau), le traumatisme très spécifique subi en cas de violences sexuelles, le verbe et ses effets libératoires…
2. Prendre la parole, dire le corps : Transgression, transformation, émancipation
Un crime n'est jamais une « marque de passion », l'oubli comme relativisation de la dimension révolutionnaire de la parole, ceux qui parlent « à la place de », la mise en cause de l'opposition entre public et privé, la honte dont le corps féminin est revêtu…
Je souligne l'article de Mona Gérardin-Laverge, « Trouble-fêtes. le pouvoir insurrectionnel de la prise de parole ». L'autrice aborde entre autres, le sens politique des violences, « les violences ne sont pas des « bavures », des accidents ou des dérapages causés par la personnalité ou la psychologie de l'agresseur », la parole n'est pas donnée mais bien prise par les femmes, « Prendre la parole, c'est
parler sans attendre qu'on nous y autorise », l'espace des discours comme « espace social, hiérarchisé et inégalitaire », il ne s'agit jamais d'un simple lieu d'expression des facultés individuelles d'un·e locutrice.
Mona Gérardin-Laverge fait l'hypothèse du pouvoir transformateur du discours : « c'est un acte polyphonique et collectif (1) ; c'est un acte qui conteste l'ordre social en contestant l'ordre du discours (2) ; c'est un ace d'émancipation individuelle et collective (3) ». Les discours sont des pratiques sociales, certain·es sont autorisé·es à
parler et le discours des autres est considéré comme du bruit, le non qui ne voudrait pas dire non et l'autrice insiste sur la délégitimation de celles qui le prononcent, une dépossession de la capacité de refuser. Elle aborde aussi les stratégies pour désactiver les effets de la prise de parole, en diminuer la portée politique et féministe, disqualifier l'objet de leurs discours, la « nature » non comme réalité mais comme argument politique, l'impact des violences sur les conditions de vie et sur « notre vécu intime »…
J'ai été particulièrement intéressé par l'article de Deborah de
Robertis, « #metoo, l'émancipation
par le regard », la nudité féminine, le « corps qui regarde » (
Geneviève Fraisse), le travail sur le regard, son oeuvre Miroir de l'origine, l'émancipation de la nudité, « Par l'ouverture de mon sexe, je révèle alors ce vide, cet angle mort, ce point de vue inexistant dans l'histoire de l'art », la nudité féminine comme objet du regard des hommes sur
le corps des femmes, le désir et la jouissance, la tension entre la nudité féminine et la question du regard, la subversion des regards, ce n'est pas la nudité féminine qui offense, « c'est l'émancipation, la liberté d'expression de la nudité », la qualification exhibition sexuelle et la censure, les lieux où l'autrice peut imposer son corps de femme….
3. Scènes du désir : Agression, séduction, consentement
La qualification des actions, la misogynie souriante, la galanterie comme mythe national, la valeur de l'agresseur et son absence de valeur à elle (
Catharine A. Mackinnon, voir lien à la fin de cette note), les regards libidineux lors de casting lubriques, « Si les faits s'étaient déroulés dans une cave, le viol serait appelé une tournante. Ici cela s'appelle un casting » (
Isabelle Steyer), les viols en temps de guerre considérés aujourd'hui comme des crimes contre l'humanité, l'incapacité à entendre et l'incapacité de dire, l'omerta et ce qui « coud les bouches des victimes », la surexploitation judiciaire de la vie privée, « le juge devient le juge de la moralité de la femme et non plus de l'acte de viol » (
Isabelle Steyer), ce qui fait bander les hommes, l'autorisation et la permission, « Il est parfois plus difficile de dire « non » qu'on ne l'imagine » (
Michela Marzano), ce qu'est et n'est pas la liberté sexuelle avec « l'asymétrie structurelle des rapports de pouvoir », la divulgation d'agressions renommée dénonciation, l'absence de réflexivité des hommes sur leurs conduites, la sphère dite privée « hors du champ des droits fondamentaux » et les assignations sociales et sexuelles, les acceptations explicites, « pas un geste ni une pratique ne devrait être effectué ou proposée sans l'accord préalable des personnes concernées » (
Camille Froidevaux-Metterie), être crue sur parole…
4. Devenir-femme : Situations, positions, postures
Les mots du sexe, les femmes condamnées, « les violences de genre et la division sexuelle du travail sont constitutives du parcours des femmes condamnées pour de longues peines » (Natacha Chetcuti-Osorovitz), l'imbrication des rapports sociaux, les représentations sociales et les positions sociales naturalisées, le passage à l'acte des femmes comme « une manière de mettre fin à l'accumulation de violences »…
5. Un féminisme, des féminismes : Communautés, subversions et dérèglements
Les féministes du monde entier, bell hooks, les personnes « concerné·e·s de choisir leurs allié·e·s » (
Valérie Gérard), l'oubli de l'histoire des femmes, les effets du « féminisme néolibéral », l'intersectionnalité, la contradiction entre libertinage et droits des femmes comme lieu commun, les féministes en Chine, le contrôle autoritaire des naissances, l'alliance du conservatisme et du libéralisme, la domination esthétisée et érotisée, « L'essentialisme est un déterminisme qui fige nos vies d'emblée, comme le nationalisme nous rappelle aux frontières territoriales tout autant que mentales, limitatives et non transitionnelles, qui pour autant qu'elles soient imaginaires manquent cruellement d'imagination. Les réactionnaires aiment les frontières surtout lorsqu'elles se referment comme un cocon autour d'elles et eux, qu'il s'agisse de différences sexuelles, raciales, géographiques ou identitaires » (
Emilie Notéris),
Le titre de cette note est emprunté à
Maïa Mazaurette.
Il n'y a pas de tout temps, les rapports sociaux (pour utiliser des termes actuels) sont historiques, « la » femme n'existe pas, mais les femmes et leurs combats sont inscrit·es dans l'histoire. Les violences envers les femmes ne sont pas des faits divers, un simple ensemble d'actions d'individus, mais une manifestation du système de domination d'un groupe social, les hommes, sur un autre groupe social, les femmes. Cette domination s'imbrique à d'autres dominations, elle est située et contextualisable. #metoo est le fait de sujettes politiques, pensantes et parlantes, un acte politique de résistance. Contre les dénis, les invisibilisations, les discours individualisés et dé-sexués, les paroles de femmes brisent le mythe de l'égalité-déjà-là, interrogent ces contrats sociaux – et le déni du « contrat sexuel » (voir à ce sujet,
Carole Pateman :
le contrat sexuel).
Nous sommes bien dans ce livre du coté de l'historicité, des contradictions, des sexualisations, du continuum des violences exercées contre les femmes, de la division sexuelle du travail, des rapports sociaux de sexe…
Lien :
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