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Critique de Eric75


Une saga vendue à plus de 2,5 millions d'exemplaires, allèche le bandeau rouge ceinturant ce livre, c'est donc du lourd. Et quand la 4ème de couverture convoque simultanément Einstein et Bohr, mentionne la CIA, le CERN et la mécanique quantique, on s'attend à un techno-thriller des plus échevelés, savamment documenté et puisant son inspiration aux sources les plus high-level des officines secrètes et des laboratoires fréquentés par les derniers Prix Nobel de Physique. J'en salive d'avance.

Je m'étais auparavant méfié de cet auteur portugais surfant, comme bien d'autres, sur la vague du Da Vinci Code. Je m'étais abstenu de lire du Dan Brown, en raison, justement, du succès planétaire de ses livres, du film, des suites, des analyses et des autres produits dérivés dont je m'étais jusqu'à présent tenu à l'écart. Comme ceux de Dan Brown, les précédents titres de José Rodrigues dos Santos (La Formule de Dieu et L'Ultime Secret du Christ), annonçaient un mélange des genres mixant jamesbonderies et bondieuseries, brouet difficile à avaler, mais pain béni pour un lectorat candide, enclin aux amalgames ésotériques et avide de sensations mystiques. Paix à leurs âmes trop crédules, amen.

Ici, le religieux (hormis le nom de Salomon présent dans le titre, on ne se refait pas) semblait être éclipsé au profit de la mécanique quantique et donc d'une approche un peu plus scientifique. de quoi éveiller ma curiosité. La proposition qui m'avait été faite de rencontrer l'auteur et de participer à une séance de dédicace a achevé de me convaincre de lire ce livre.

Je m'attendais à un thriller, trouvant ses marques dans la recherche scientifique récente. Pour faire bonne mesure, le boson de Higgs surnommé « la particule de Dieu » – surnom non assumé par la communauté scientifique – est appelé à la rescousse dans la promotion du livre et, pour compléter le tableau, le célèbre tunnel circulaire du LHC et son détecteur de particules ATLAS servent de décor au prologue. le prologue est ici l'équivalent de la scène d'ouverture des films de James Bond, vous savez, celle qui scotche le spectateur, agrippé à son fauteuil, avant même qu'apparaisse le générique du film, qu'ondulent les sveltes silhouettes des James-Bond-Girls et que retentisse la musique de John Barry. Un techno-thriller scientifique sur fond de mécanique quantique ! Que demander de plus ?

Ouille ! Aïe ! Doux Jésus ! Par la clé de Monsalo ! Ce doux cantique a vite fait des couacs. Ce livre s'avère être une monumentale escroquerie et ne tient en réalité aucune de ses promesses. Pour faire simple, l'intrigue ne dépasse jamais le niveau du Club des Cinq, les personnages sont caricaturaux et inconsistants, l'alibi scientifique est totalement galvaudé par les thèses métaphysiques de l'auteur qui à tout bout de champ nous fait de l'enfumage.

La Clé de Salomon est le plus mauvais thriller que l'on puisse imaginer : grosses ficelles, personnages ballots et lourdingues, pas une seule scène crédible dans tout le roman. Je n'exagère rien, si le coeur vous en dit, jugez plutôt à partir de ces quelques exemples, que la décence m'oblige à masquer d'un anti-spoileur pudique pour le public non averti :

Arrêtons-là, scénario et dialogues, tout est à l'avenant : naïf, bête à manger du foin, affligeant… J'ai beau chercher, je ne vois rien d'équivalent au rayon thriller… Mais justement, ce livre ne figure pas au rayon thriller (sans doute un choix de l'éditeur pour toucher un lectorat non familiarisé avec les thrillers, on le comprend).

A tout moment, l'action est ralentie par des exposés sur la physique quantique, un peu comme si Tomas Noronha, le héros, appuyait sur la touche « pause », et alors, le temps s'arrête et les ennemis se figent. Tomas Noronha étale sa science, la greluche de service et le lecteur se mettent alors en mode « écoute » (c'est assez surréaliste). Concernant l'aspect vulgarisation, justement, qu'en est-il ? le livre tient-il ses promesses ?

Contrairement à ce qu'on laisse entendre, La Clé de Salomon n'est pas un ouvrage de vulgarisation scientifique. Les développements sur la physique quantique tiennent la route, mais les conclusions nous font systématiquement verser dans le fossé de la démarche intellectuelle douteuse. José Rodrigues dos Santos annonce comme un scoop (tintzouin♫) et une vérité scientifique révélée l'intervention de la conscience dans la création de la réalité. L'auteur confirme ce résultat de vive voix et non sans un certain culot lors de la rencontre organisée. Cette idée, loin d'être neuve, a été rendue célèbre par Eugene Wigner et John von Neumann dans les années 30. A aucun moment, cette interprétation n'a fait l'objet d'expérimentations scientifiques valides : il s'agit de discussions « philosophiques » entre savants qui imaginent des « expériences de pensée » censées éclairer, confirmer ou invalider certaines interprétations de la théorie (l'outillage de l'époque ne permettait pas de réaliser de véritables expériences). le débat entre Bohr et Einstein a duré pendant 20 ans. Aujourd'hui, le rêve des physiciens des années 30, qui imaginaient des dispositifs théoriques, est devenu réalité. Serge Haroche, prix Nobel de Physique 2012, a pu expérimenter avec son équipe du Laboratoire Kastler Brossel (qui dépend de l'ENS et du CNRS) les lois de la décohérence quantique, bien vite évacuées par José Rodrigues dos Santos lors de la rencontre. On peut aujourd'hui travailler sur des « chats de Schrödinger » et étudier le passage du monde quantique au monde macroscopique. On peut montrer que la conscience n'a rien à faire là-dedans et ne joue aucun rôle dans l'effondrement de la fonction d'onde. (1).

José Rodrigues dos Santos va jusqu'à affirmer que lorsque l'on ne regarde pas la lune, celle-ci n'existe tout simplement pas (on prête la phrase exactement inverse à Einstein, pour contrer Bohr à propos de l'interprétation de Copenhague), c'est la conscience de l'observateur qui « crée » la lune. Alors, quid des cratères de météorites à sa surface, preuves tangibles d'une lune et d'un système solaire existant bel et bien avant l'apparition de la vie sur Terre et l'existence d'un quelconque observateur conscient (sans parler des galaxies lointaines, dont la lumière met des milliards d'années à nous parvenir) ?

Si tout ceci était légitimé par la liberté d'écriture romanesque, il n'y aurait rien à redire, un auteur de romans peut écrire ce qu'il veut, y compris de la science-fiction, ou reprendre à son compte de vieux débats aujourd'hui dépassés. Mais le fait est que l'auteur pratique le tri sélectif entre les interprétations, choisit celle qui sera la plus « bankable » pour ses livres (même si elle est obsolète) et annonce crûment qu'il s'agit là d'une vérité scientifique actuelle (qui aurait échappé au grand public jusqu'à présent). Une démarche pas très scientifique en vérité, pour ne pas dire une escroquerie intellectuelle.

(1) : http://fr.wikipedia.org/wiki/Décohérence_quantique

Extrait : « Typiquement, le simple fait d'éclairer un système quantique suffit à provoquer une décohérence. Même en l'absence de tout éclairage, il reste au minimum les photons du fond diffus cosmologique qui provoquent également une décohérence, bien que très lente. Naturellement, le fait de mesurer volontairement un système quantique provoque des interactions nombreuses et complexes avec un environnement constitué par l'appareil de mesure. Dans ce cas, la décohérence est pratiquement instantanée et inévitable. Donc, pour la théorie de la décohérence, l'effondrement de la fonction d'onde n'est pas spécifiquement provoqué par un acte de mesure, mais peut avoir lieu spontanément, même en l'absence d'observation et d'observateurs. Ceci est une différence essentielle avec le postulat de réduction du paquet d'onde qui ne spécifie pas comment, pourquoi ou à quel moment a lieu la réduction, ce qui a ouvert la porte à des interprétations mettant en jeu la conscience et la présence d'un observateur conscient. Ces interprétations sont actuellement sans objet. »
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