Un p'tit bijou. Ce roman de littérature jeunesse aurait pu s'apparenter à une banale enquête au style policier menée par des ados, sauf que l'intrigue se passe en Afrique… avec des moeurs, des coutumes, une « way of life » et des conditions de vie qui ne nous sont pas familiers…et là, ça change tout…
Notre héroïne s'appelle Tina, 16 ans, orpheline. Sa mère a été assassinée cinq ans plus tôt, presque sous ses yeux. Livrée à elle-même (elle ne connaît pas son père), se retrouvant dans la rue, elle a intégré un dangereux gang kenyan. Pour s'en sortir, elle est passée maître dans l'art du vol. « Règle numéro un : un voleur n'existe pas ». On tient sans doute là une explication du titre français, un voleur devant passer inaperçu pour arriver à ses fins… Mais attention, un voleur en Afrique n'a pas le même traitement qu'en France. En France, que risque un voleur qui se fait attraper ? La prison. Dans certains pays d'Afrique, les gens se font justice eux-mêmes : on tue les voleurs. La police n'intervient pas. Ce point est bien rappelé dans le roman. Il y a quelques semaines, une de mes amies m'a raconté son voyage au Togo l'an dernier ; elle a assisté devant chez « elle » (elle était chez l'habitant) à un « lynchage en règle » d'un voleur par la populace, en pleine rue. Une autre vision des choses…
L'intrigue tourne autour du but ultime de Tina : venger sa mère. Comme elle pense que le coupable n'est nul autre que l'ancien employeur de sa mère, un blanc très fortuné, elle s'introduit dans sa villa afin de le dépouiller. Elle a mis au point un plan infaillible. Seulement voilà, elle n'avait pas prévu de se retrouver nez à nez avec Michael, le fils, au côté de qui elle a grandi… Les deux amis d'enfance vont devoir pactiser. Et si finalement l'assassin n'était pas celui que l'on croyait ? L'enquête ne fait que commencer…
Dans ce roman, on voyage entre le Kenya et le Congo. Mais ce voyage n'est pas de tout repos. Il y a une partie « aventure ». Parce que l'Afrique, c'est pas la France : on ne se déplace pas facilement en voiture, en train ou en avion. Alors il y a le bus : les trajets y sont longs et se font sur des routes cahoteuses en compagnie de poules. Si, si, je vous assure ! C'est écrit dans le livre, et j'ai souri en lisant ce passage parce que je me suis rappelé ma propre expérience : j'ai eu la chance de faire un (trop) court séjour en Ouganda, chez l'habitant, et avec ma bande d'amis nous avons relié la capitale ougandaise et la capitale rwandaise en bus. Nous avons fait le trajet de nuit, il y avait une poule que l'on n'a pratiquement pas entendue du trajet. Il a duré 10h et on espérait ainsi gagner une journée. Sauf que l'état des routes nous faisait faire des bonds de 3 mètres sur nos sièges, toutes les 5 minutes. Moi je me croyais carrément dans un manège ou un jeu vidéo. Résultat : on n'a pas fermé l'oeil de la nuit, alors sur le coup c'était pas trop drôle mais qu'est-ce qu'on en a ri plus tard ! Bref, l'aventure, la vraie ! Bon, pour en revenir à nos héros, pour des raisons financières et sociales expliquées dans le roman, ils ont préféré faire le voyage planqués dans des camions de bananes. Je vous le dis, un thriller en France n'a rien à voir avec un thriller en Afrique !
Bon, après, il y a la partie plus sombre du récit. On apprend en même temps que Tina ce qu'a vécu sa mère, la raison pour laquelle elle a dû fuir le Congo et a obtenu le statut de réfugiée au Kenya. Pour y avoir travaillé des années dans des ONG de défense des réfugiés, l'auteure connaît très bien ce pays d'Afrique et les difficultés rencontrées actuellement par la population. Au travers des tranches de vie de ces personnages fictifs, on découvre les horreurs de la guerre, qui, elles, sont bien réelles, guerre qui fait toujours rage dans ce pays. Même les infirmières indigènes travaillant dans des hôpitaux religieux ne sont pas à l'abri. Que peuvent espérer ces femmes tombant aux mains des rebelles, sachant que la protection de la milice est un leurre ? Corruption, pots-de-vin, atteintes aux droits de l'homme… dans le récit, j'ai été très touchée par certains passages qui expliquent les viol(ence)s subies par certain(e)s ; quand on sait que c'est vrai et que ça existe réellement, ça remue quelque part, là, tout au fond de soi. Mais je tiens à vous rassurer, l'auteure est très digne et très sobre dans son écriture, on ne tombe pas dans le glauquissime ou le pathos.
Notre héroïne s'est forgé un caractère fort, elle est indépendante et a appris à se débrouiller toute seule. Mais sous sa carapace, c'est une jeune fille très sensible que la vie n'a pas épargnée. On s'y attache, on veut découvrir la vérité avec elle. J'ai tremblé avec elle à certains moments, parce que comme c'est un thriller y'a du suspense, et aussi parce que je me suis projetée dans ces endroits que je ne connais pas, et que, c'est bien connu, l'inconnu fait peur. Et ce roman qui est très poignant se termine par une ode à la vie.
La traduction est fluide, le roman se lit facilement, l'auteure a glissé quelques mots en swahili ou en sheng (un dialecte de rue qui est un mélange de swahili et d'anglais) ; ces mots, utilisés avec parcimonie, renvoient à un glossaire explicatif en fin de livre.
Bref, ce roman nous projette en plein coeur de l'Afrique, dépaysement garanti, on y découvre une culture qui, comme chaque culture, a ses points forts et ses points faibles. Je recommande chaudement cette très belle découverte.
Ps : chaque fois que je vois le titre de ce roman, je ne peux pas m'empêcher de fredonner « Et si tu n'existais pas… » de
Joe Dassin. Pourtant, entre la chanson et le bouquin, rien à voir !