AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782221203071
1376 pages
Bouquins (19/09/2019)
4.13/5   19 notes
Résumé :
Oeuvre monumentale qui couvre soixante-dix ans de la vie de l’écrivain, le Journal de Julien Green n’avait pourtant jamais été publié dans sa version intégrale et définitive. L’auteur en avait délibérément écarté les pages les plus intimes, l’évocation de sa vie amoureuse et certains portraits littéraires dans lesquels il livrait une opinion sans fard sur quelques-uns de ses pairs.
Jugeant impubliable de son vivant cette « confession qui rétablissait la vérit... >Voir plus
Que lire après Journal - Intégral 01Voir plus
Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
Je n'ai jamais caché ma fascination pour les journaux intimes authentiques, c'est à dire non destinés à la publication. Pour connaître quelqu'un, je pense qu'il est utile d'avoir accès à ce qu'il ne voudrait surtout pas rendre publique.

Le journal de Julien Green couvre au total soixante-dix ans de sa vie. Il n'avait jusqu'à lors jamais été publié dans sa version intégrale. Et c'est d'ailleurs ce qui fait tout l'intérêt d'un journal intime: ne pas être destiné à la publication au moment de sa rédaction. Sinon, l'auteur pose, logiquement.

Ce premier tome, épais de près de 1400 pages de papier fin, réunit vingt et une années de sa vie. Il débute alors qu'il a 19 ans et s'achève sur sa quarantième année.

La préface, écrite par Tristan de Lafond, son légataire, nous apprend que Julien Green avait exigé que cinquante années séparent la publication de son journal des événements racontés. Il avait décidé sur le tard qu'il serait publié après sa mort. Il songeait même à le confier à un ennemi, songeant qu'un homme résolu à nuire à sa mémoire serait la personne la plus prompte à rendre ce journal public.

Julien Green a tenu son journal avec une extrême rigueur. Il obéissait à un désir d'immobiliser le passé, en quelque sorte. Ces carnets intimes sont à la fois le support d'une grande introspection et le rassemblement de tout ce qu'il ne voulait pas oublier. Il avait le désir de bien se connaître et de ne point se perdre. Et cet outil en était le garant.

Julien Green avait tout pour attirer mon attention. Il ressemble à Anais Nin sur bien des points. C'est un américain né à Paris, qui écrit en français, et qui, né en 1900, écrivait son journal en même temps que Anais rédigeait le sien, et à Paris tous les deux. Chacun a également publié une version expurgée de son journal. Et, tout comme Nin, Julien Green avait accepté que soit publiée la version intégrale après sa mort. Les similitudes ne s'arrêtent pas là. Comme elle, il était l'ami de grands auteurs (Gide, Roger Martin du Gard, Cocteau, Sarthe), il a traversé le 20eme siècle et surtout, surtout, son journal est d'une délicieuse impudeur. Il réunit tant de récits de lubricité que c'en est délicieux d'indécence.

La première chose qui me séduit, dès les premières pages, est cette écriture soignée, précise, terriblement juste. Cela n'a rien d'étonnant pour un écrivain sans doute, mais je me souviens qu'il a écrit ces pages à l'âge de dix-neuf ans et qu'il est américain. Par ailleurs et au delà du , Green fait montre d'une grande maturité d'une grande capacité intellectuelle ainsi que d'un grand recul dès les premières pages. Qui aujourd'hui pourrait écrire aussi juste à seulement dix-neuf ans? Ces pages sont mieux écrites que celles d'un prix Goncourt contemporain.

Ce premier tome du journal intégral est tellement long que j'ai choisi d'en parler par thèmes, afin de ne pas me perdre ni me répéter trop souvent. J'ai sélectionné les thèmes les plus récurrents ou bien ceux qui m'ont parus les plus intéressants. Il est bien clair que je ne puis tout dire sur vingt ans de la vie d'un homme qui a tout consigné de lui-même.

Julien Green, en 1919, est un fervent croyant catholique, qui peine à sortir de l'éducation pieuse qu'il a reçue de sa mère, américaine originaire du Sud, qui lui lisait dès passage de la bible en anglais quand il était petit. Ce jeune étudiant naïf est ainsi rongé par la culpabilité de ne pas se livrer entier à Dieu, d'aimer les livres, d'avoir des désirs et tout ce qui l'éloigne de la foi. Sa foi tient une grande place dans son journal au début. Ses désirs sont refoulés. Il culpabilise beaucoup surtout de ses attirances homosexuelles.

En mûrissant, Green évolue et perd la foi. Au profit d'une lubricité qui occupe son esprit plus que de raison. Il reproche, vers l'âge de trente ans, à ceux qui l'ont élevé (et à tous ceux qui élèvent des enfants) d'apprendre aux enfants que les choses de l'amour sont indécentes.

Dommage, vers la fin des années trente, Green retombe dans des élans pieux.

Et au début de la guerre, en 1939, il est complètement absorbé de religion, ne lit plus que des écrits sains, lutte contre ses désirs de corps qu'il juge impurs. C'est une grande déception pour moi. Et je me demande d'ailleurs si ce n'est pas la guerre qui réduit cet homme, comme tant d'autres, à se rattacher à ce genre de stupidités, comme on cherche un protecteur lorsque l'on a peur. Vraiment décevant de croire à nouveau à quarante ans.

Green se pose beaucoup de questions métaphysiques et philosophiques dans son journal. Les réflexions et pensées autour de la mort sont récurrentes, si bien que l'on peut suivre son évolution philosophique. La mort l'effraie de moins en moins au fil du temps. Quand la vieillesse et la laideur, elles, lui sont des choses répugnantes.

Julien Green note dans son journal ses rêves et cauchemars. Certes, parfois ses interprétations semblent farfelues, tout comme l'idée, de nos jours, qu'un intellectuel se rende chez une voyante nous est consternante. Il n'est pas le seul. Anais Nin faisait cela également. Une mode sans doute.

Green pense que l'étude de soi est la meilleure façon de comprendre le monde. Peut-être se trompe-t-il à ce sujet. Green s'analyse et croit analyser par la même occasion son contemporain. Il oublie sans doute qu'il lui est supérieur, par le simple fait déjà de se soucier de se connaître et de connaître les autres. Ainsi, il n'a sans doute appris à connaître que lui par l'introspection. Néanmoins, il a appris à connaître l'autre à force d'observation judicieuses.

D'ailleurs, c'est un solitaire qui méprise assez les autres. J'ai retenu cette phrase délicieusement assassine mais infiniment révélatrice de son sentiment sur autrui: « Je suis tellement au dessus de mon entourage que le terme d'incompris, dans ma bouche, ferait songer à un cheval larmoyant parce que les punaises qui le démangent ne le comprennent pas. »

Il dénonce et réprouve la médiocrité de notre civilisation, de manière très rude: « hâter la fin de notre race, prêcher le suicide ».

Julien Green voit en son contemporain la bêtise, la platitude, l'absence d'idées et d'intelligence. C'est pour cela qu'il fait l'éloge de la solitude, où l'esprit pensant se complaît et se développe. Parmi tous les gens qu'il méprise, il entretient une sorte de haine des bourgeois, jugeant ces gens particulièrement dans l'affectation, contrairement aux marins ou aux paysans, qui se dissimulent bien moins. le journal foisonne de ces phrases savoureuses et spirituelles à ce sujet, et j'en ai retenue une :

« Tristesse immense du boulevard de Clichy, de cette foule qui ne sait pas comment s'amuser. Quel bonheur pour elle si l'esclavage était rétabli! Elle ne connaîtrait plus l'angoisse du loisir. »

Je retiens aussi une image que j'ai aimée. Green compare le cerveaux de beaucoup de gens à un magasin de meubles faits en série ou de vêtements de confection à la mode. Dans chaque magasin, on trouve à peu près les mêmes articles, les mêmes formes et les mêmes couleurs. Les nuances étant bien faibles d'une boutique à une autre. Ces effets à vendre ne sont que le reflet d'une époque, des mêmes copies à l'infini, un étalage de choses toutes faites et accessibles, et aucunement un travail d'artiste ni d'artisan. Autrement dit bien loin du sur-mesure et du bon goût personnel, donc de la pensée propre. J'ai trouvé cela très juste et digne d'un beau mépris réaliste. Et malheureusement plus que jamais d'actualité.

Green fréquente quand même des gens et a même des amis. Il partage sa vie avec sa soeur Anne Green, romancière qui, elle, écrit en anglais, et avec celui qui fut son amant durant soixante ans, Robert de Saint Jean.

Green fréquente entre autres Cocteau, Colette, Gide, Giraudoux , Roger Martin du Gard, Zweig, et Malraux. Mais également Dalì et Berard. Ce fût plaisant, à quelques reprises, de lire quelques moqueries et anecdotes à leur sujet, et de voir retranscrites quelques unes de leurs conversations. C'est un petit trésor pour moi que ces indiscrétions. J'ai aimé tout particulièrement le portrait qu'il esquisse de Gide, qui est pourtant son plus proche ami: un homme hypocrite, insincère, qui pose et séduit même ce qu'il déteste quand il y voit un intérêt, un homme cupide et qui n'a de souci que pour sa gloire alors qu'il se sait médiocre. J'ai aimé particulièrement une remarque sur Gide qui m'a parue très intelligente. Green se moque de Gide qui séduit la jeune génération en songeant à sa postérité. Il critique ce calcul qu'il juge inutile, en argumentant: on n'a pas les mêmes amours à vingt ans qu'à cinquante. Aussi, quand Gide sera mort, ces jeunes l'auront renié probablement. Green ajoute que pour s'assurer une postérité, il ne faut nullement compter sur son contemporain, même jeune, mais écrire pour un lecteur qui n'est pas encore né. En somme, écrire pour être lu dans cent ans.

Au sujet de Roger Martin du Gard (j'ai ses Thibault en cinq volumes depuis longtemps, dont je reporte toujours la lecture), j'apprends comment et pourquoi il sa déserté la maison qui est près de chez moi. Ce que l'on ignore même après l'avoir visitée.

J'ai été très attentive à la lecture de descriptions de Alexandra David-Néel, et malheureusement il la décrit comme une bigotte boudhiste, ce qu'il trouve, à raison, bien ridicule, mais qui me fut décevant.

Green prendra ses distances avec nombre de ses connaissances avant la guerre. C'est que certains se prononcent en faveur du fascisme ou du communisme. Mais il est américain, et pour lui, seule la liberté du peuple importe. Il refusera donc obstinément de donner un avis à ce sujet.

La politique ennuie particulièrement Green. Et, lorsqu'on lui demande s'il est de gauche ou de droite, il répond à chaque fois : « l'inverse de vous ! », en ne mentant pourtant pas. Il se sent unique, apolitique, seul en marge de ceux qui se déchirent alors que leur parti est gangrené des mêmes bureaucrates, des mêmes arrivistes et des mêmes provocateurs. L'américain est détaché de de tout cela « comme tout écrivain doit l'être ». Il méprise les gens qui ont une forte conviction politique, ironisant (encore une fois) sur Gide et ses amours pour les soviétiques. Selon Green, avoir une religion, une conviction politique ou appartenir à une patrie, c'est ne pas être un individu, c'est à dire qu'un besoin d'appartenance à quelque chose de déjà établi est une faiblesse, une incapacité à exister par soi-même. Cependant, Green, dans les années trente, sent la guerre poindre et s'en inquiète légitimement. Ses réflexions mêlées d'ironie montrent comme les parisiens s'enthousiasmaient de la guerre à venir autant qu'ils la craignaient. Il décrit la bêtise des français alors, presque excités de retomber en guerre, comme des enfants curieux à l'idée de voir ce qu'il va se passer mais sans songer aux conséquences désastreuses. Ainsi, en 1935, il parle d'un public au théâtre réjoui et excité à l'écoute de quelques couplets patriotes et ajoute ironiquement que c'était évidemment « une foule enthousiaste de non-mobilisables ».

Après avoir fait le tour plus ou moins exhaustif de ce qu'il exécrait, je vais à présent décrire ce qu'il était par ces goûts.

Green est un grand amateur de peinture surtout. Mais également de musique, de théâtre, de cinéma. Il aime tant l'art qu'il dépense des fortunes pour acquérir quelques tableaux. de même qu'il peut se rendre plusieurs fois de suite à une même exposition pour s'imprégner d'un tableau aimé. Les descriptions qu'il fait des toiles qu' il aime sont impressionnantes de précision. L'exercice me paraît difficile, et il le réussit. Les couleurs, les contrastes, les formes et même la couleur de peau des personnages sont décrites avec la minutie et la justesse d'un écrivain.

J'ai passé du temps à lire ce journal pour la raison suivante également : lorsqu'il s'est attardé sur un tableau, j'ai cherché dans Google image ce tableau pour essayer de percevoir ce qui l'avait tant ému. Et j'ai réussi, bien souvent. Qui eut cru que Julien Green m'initierait à la peinture?

Il voyage beaucoup, avant la guerre, avec son compagnon Robert. Il visite l'Allemagne, l'Italie, l'Ecosse, les États-Unis, la Tunisie, le Luxembourg, ainsi que de nombreuses régions et villes françaises. Ces récits de voyages sont magnifiques, dotés d'un superbe et de descriptions précises. Lors de son voyage en Amérique dans les années trente, Green décrit les lieux emplis de baraques où campent les travailleurs exilés, comme dans « Les raisins de la colère », pasteurs compris. Ce qui, entre parenthèses, montre à quel point Steinbeck n'a écrit que ce qui existait. Les descriptions se ressemblent tant qu'il ne peut en être autrement, les deux hommes ne s'étant jamais croisés.

Ses voyages ne sont pas toujours que culturels. Green s'adonne à un tourisme sexuel qui était très répandu à l'époque. Pour preuve: tous ses amis font les mêmes voyages. C'est que Green attachait une haute importance à la sexualité, ou plutôt il avait de très grands désirs. Il pensait que les besoins sexuels étaient tout aussi importants que l'alimentation de l'esprit. Ainsi, Green célébrait la passion, la beauté des culs et la jouissance. Il était très sensible à la beauté des corps, faisait l'éloge de la jeunesse, des fesses rebondies et des teints hâlés. On dirait aujourd'hui qu'il était addict au sexe. Pourtant en couple avec Robert de Saint Jean, avec qui il vit histoire sentimentale très solide, aucun de deux ne s'empêche des infidélités. Parfois même, ils se partagent leurs amants.

Pourtant, Green éprouve un dégoût de lui-même, parfois, après s'être adonné à ses désirs. Là est sa faiblesse selon lui: sa grande libido, son désir avide de jeunes corps d'hommes, qu'il tente parfois de dompter en vain. Je sais qu'il n'y est pour rien, puisque ce journal n'avait pas, à l'époque, vocation à être publié, mais enfin, lire qu'il jouit entre des fesses d'hommes de manière quasi hebdomadaire durant vingt ans peut s'avérer, à la longue, éreintant pour le lecteur parfois.

J'ai aimé pourtant comme il détache sexualité et amour. La fidélité de corps ne lui est rien. Ils s'aiment, avec Robert, et baisent chacun, se racontant leurs expériences sans le moindre problème. Pourtant, Green, à plusieurs reprises, se sent « jaloux ». Et semble trouver des excuses à cette jalousie, prétextant par exemple que Robert vaut mieux que ses aventures, qu'il choisir des hommes qu'il juge laids par jalousie. À plusieurs reprises il écrit comme Robert est peu exigent dans ses choix, et comme ça le diminue. Et il est bien décevant que Green n'ait pas réalisé que c'était alors la jalousie qui le faisait parler. Comment se fait-il, puisque le lecteur s'en aperçoit? Toujours est-il que même en couple libéré de cette entrave qu'est la fidélité de corps, un instinct de propriété subsiste. L'amour entre lui et Robert est beau, pourtant. En ce qu' il n'est obligé par rien: ni bien commun, ni promesses, ni contrat ni enfants.

Julien Green indique également chaque fois qu'il s'est masturbé, ainsi que les conditions dans lesquelles il l'a fait (lieu, heure, raisons comme l'ennui ou un désir irrésistible), les fantasmes qui ont accompagné sa masturbation et également son état d'esprit après l'orgasme. Et je n'avais jamais lu quelqu'un s'appliquer ainsi à relever et analyser chaque branlette de la sorte.

Green est pourtant honteux de ses désirs et de leurs accomplissements au moment où il recouvre la foi. Dommage. Il va même, dans des voeux pieux, lutter contre toute masturbation, et je me suis étonnée d'un tel revirement, que j'estime bien plus que décevant.

Si ces grands désirs de chair lui offrent peu de répit, ils le laissent en paix du moins pour le travail. Les fièvres sexuelles s'effaçant au profit de fièvres d'écriture. Certains poèmes qu'il écrit son retranscrits dans son journal. Ses projets de nouvelles et romans sont plus ou moins détaillés. Il y raconte aussi ses échanges et déboires avec les éditeurs, et les états de progression de ses romans.

Au fur et à mesure, Green devient un écrivain reconnu. Et, loin de l'inciter au relâchement, cette reconnaissance lui donne plutôt une envie de se dépasser, de « marcher sur ses propres épaules ». Il est très discipliné dans son écriture, et écrit plusieurs heures chaque matin, venant consigner dans son journal les bonnes ou mauvaises séances d'écriture, avec cette idée qui m'a plue et qui revient souvent: se méfier lorsqu'un passage nous a paru facile à écrire. Green se défie du succès, qui, pense-t-il, est dangereux car il encourage en l'artiste uniquement ce qui est facile. Et cette idée m'a paru juste.

Tout comme celle des clichés des écrivains. Green prend l'exemple de Zola pour illustrer sa pensée. Zola, à force d'écrire, à crée ses propres clichés qu'il reproduit indéfiniment, quand un écrivain devrait toujours écrire un livre comme s'il s'agissait de son premier, c'est à dire se détacher de toutes ses facilités et repartir vierge de ce qu'il sait faire.

Aussi, Green est si absorbé par l'écriture qu'il ne se sent vivre pleinement et tout entier présent pour lui-même que lorsqu'il écrit. Lorsqu'il se divertit, et même lorsqu'il lit, une pensée l'obsède: celle du temps perdu. Il éprouve alors une grande frustration de ne pas avoir mieux occupé son temps, c'est à dire de ne pas avoir écrit. Et c'est en cela, il me semble, que l'on reconnaît un écrivain.

Green est un grand ennemi de l'oisiveté, du repos débilitant. Quand il n'écrit pas, il lit ou étudie. Ses livres sont une grande source de satisfaction. Et il a toujours un livre en cours. L'existence est vaine selon lui, si elle n'a pas pour vocation l'activité intellectuelle. Alors, il lit, et note dans son journal quelques commentaires sur chaque livre qu'il lit ainsi que su
Commenter  J’apprécie          110
Il n'y a pas grand chose à ajouter au compte-rendu remarquable que fait le lecteur Pitchval de ce tome 1 du Journal Intégral de Julien Green. Ce lecteur le décrit de façon très complète et fidèle, malgré un préjugé anti-religieux que je n'approuve pas (c'est tellement "comme il faut" !)
*
La réprobation presque unanime qui entoure les passages sexuels du journal de l'auteur, sur Babelio, m'a un peu surpris, ce site n'étant pas connu pour être fréquenté par des conservateurs puritains de l'ancienne école. On aime, semble-t-il, à y "briser des tabous" et à militer pour de belles causes, mais apparemment, la vie intime d'un écrivain homosexuel des années 30 ne fait pas partie des oppressions à dénoncer. Pourtant, quelle différence entre ce volume et les pages du Journal autorisé publiées dans la Pléiade ! le Journal Intégral donne à voir un homme dans toute la vérité de sa nature, ce qui est, après tout, l'essence même de ce genre littéraire. Si l'on ne s'intéresse pas à l'intimité et à "l'écriture de l'intime", comme on dit, il ne faut pas lire de journaux intimes.
*
C'est donc une vie intégrale, dans la mesure où cela est possible, que ce volume restitue : lectures, "écriture", voyages, amours et pensées de toute sorte. L'auteur avait prévu une publication expurgée du vivant des protagonistes, mais avait gardé les textes du journal intégral pour une parution posthume. On aurait tort, d'ailleurs, de voir dans les pages intimes dont la présence a choqué, le contraire de la spiritualité, et dans la sexualité débridée l'ennemie de la vie divine. Les deux puissances, Eros et Agapê, se combattent sans merci, mais dans le même être, et forment le tissu de son existence terrestre, faite d'âpres combats et de moments de bonheur miraculeux.
*
En dehors de ces étroits débats de moralistes, il faut rappeler que l'on trouve de belles pensées d'un lecteur avisé, féru d'hébreu et de grec, de littérature anglaise et française ; d'un amateur de musique qui a pu entendre Lauritz Melchior et Germaine Lubin dans le Tristan de Wagner ; d'un amoureux de peinture et de sculpture qui arpente les couloirs du Louvre et qui nous donne à revoir dans ses pages les plus beaux chefs-d'oeuvre. Enfin, d'un voyageur inlassable de l'Europe des années 30, observant un jour, à Rome, qu'il serait absurde de ne pas être heureux.
Commenter  J’apprécie          110
Grand amateur de Green, j'appartiens au nombre de ceux qui n'aime pas ce texte intégral du journal. Edition intégrale qui est bien sûr d'un grand intérêt et qui a le mérite de faire parler de cette oeuvre monumentale qui couvre 80 années du 20ème siècle.

En ce qui me concerne, ma préférence pour la version expurgée publiée du vivant de l'auteur n'est pas liée à des considérations morales. A quelques détails près, on n'apprend pas grand chose par rapport à ce que Green avait laissé entendre et suggéré. On le savait homosexuel, on le savait "crucifié dans le sexe"; les détails crus n'apportent pas grand chose de neuf.
Ma préférence n'est pas non plus due au respect du à l'auteur, puisque Green avait lui-même envisagé une publication posthume de l'intégralité de son journal.

Cela étant précisé, mes réserves tiennent à deux considérations. La première est d'ordre littéraire. Je n'ai pas accordé beaucoup de valeur littéraire aux passages que Green n'avait pas jugé bon de publier. Il me semble qu'une part du génie de Green réside dans sa capacité à suggérer l'indicible, que ce soit en matière de sexe, de spiritualité, de poésie, de musique, de paysages, de lumières... Non seulement la plupart des "ajouts" ne comprennent rien de cela, mais ils viennent briser une part du mystère. Et du Green sans mystère, sans invisible aurait-il dit, ce n'est plus tout à fait du "Green". Dans cette version intégrale, l'oeuvre s'efface au profit de la personne de l'auteur.

C'est là qu'est ma seconde réserve par rapport à cette version intégrale. Ce que j'aime dans le journal de Green dans sa version publiée par l'auteur (journal que j'emmènerais volontiers sur une île déserte), c'est qu'il m'ouvre "mille chemins ouverts". Ce que de nombreux lecteurs aimaient dans la version auto-censurée du journal, c'est qu'elle n'était pas imprégnée de cette complaisance nombriliste que l'on trouve dans tant de journaux intimes, mais qu'elle se concentrait sur le regard porté par l'auteur sur le monde extérieur ("la lumière du monde"), voir sur l'extérieur de son monde intérieur. Pour les lecteurs qui, comme moi, appréciait cet esthétisme du journal expurgé, la lecture du journal intégral est assez déroutante.

En conclusion, je souhaite que l'on continue à lire Green et qu'on puisse lire son journal dans l'une ou l'autre de ses formes ("le Journal et son double"), sans qu'une version vienne écraser l'autre afin que puissent s'y retrouver les lecteurs qui préféreront une version conforme à l'oeuvre travaillée et publiée par Green, comme ceux qui, amateurs de transparence (et de voyeurisme?), lui préféreront la version intégrale, qui présente une vision quasi clinique de la personnalité de l'auteur.
Commenter  J’apprécie          80
Riche, très riche, passionnant, pour la connaissance du milieu littéraire du début du 20 ème siècle, pour le débat religieux, pour la beauté du style...et il y en a plusieurs autres derrière...
Pause ! Argh !
Je souffle un peu, ayant bien avancé dans la lecture de ce premier volume du Journal Intégral 1910-1940.
C'est un monumental creuset de formation littéraire, il faudrait y passer des années.
J'y reviendrai mais ne me prive pas d'attribuer à ce chef-d'oeuvre le nombre maximum d'étoiles.

PS: Je ne fais pas partie de ceux qui regrettent la crudité de cette version intégrale qui égratignerait l'image de Julien Green. Il y a en tout créateur la partie immergée de l'iceberg qui aide à les comprendre, sa création et lui.

Je conçois cependant que ceux qui ont élaboré une image plus lisse avant la parution du Journal en 2019 soient déroutés : les deux Julien Green ne sont plus superposables, ils ont perdu "leur" Julien Green et c'est bien gênant.

Ce n'est pas mon cas car je n'avais aucun connaissance antérieure de Julien Green, à part ma lecture d'"Adrienne Mesurat".
Commenter  J’apprécie          133
Cette nouvelle édition du journal de Julien Green, à le mérite d'être publiée dans sa version intégrale et définitive avec les pages les plus intimes de sa vie.
Mais tous les journaux sont-ils faits pour être édités ?
Cette version intégrale nous dévoile essentiellement la vie sexuelle de Julien Green avec ses excès. Il passe d'une vie de saint dans les versions précédentes à une vie d'obsession du sexe ! Cela à le mérite de rétablir la vérité mais tout au long des 1314 pages (1919 à 1940), cela devient plus que lassant.
On y découvre un personnage ennuyeux, tourmenté entre la religion et le sexe, hypocondriaque pour lequel j'ai eu peu d'empathie.
Mais c'est lui qui en parle le mieux :

-page 1108 : Tel est le défaut de ce journal à mes yeux : l'accessoire y tient une place considérable et l'essentiel, qui est la vie intérieure, y est tu ?

-page 1144 : J'ai laissé ce journal un peu par paresse, un peu par dégoût d'y lire toujours la même chose : désir, tristesse.

Les cinquante dernières pages, écrites à posteriori, sur son départ de France en 1940 avant l'arrivée des allemands, écrites sous une autre forme sont plus intéressantes.

Maintenant, faudra-t-il lire les tomes suivants ?
En tout cas, ce n'est pas un livre à mettre entre les mains de la France bien pensante pour qui Julien Green représentait le grand romancier catholique !
Commenter  J’apprécie          60


critiques presse (1)
Lexpress
23 septembre 2019
Publié pour la première fois de façon non expurgée, ce Journal intégral révèle, entre autres, l'édifiante vie sexuelle du grand romancier catholique.
Lire la critique sur le site : Lexpress
Citations et extraits (18) Voir plus Ajouter une citation
«  La pensée vole et les mots vont à pied .
Voilà tout le drame de l’écrivain » .
Commenter  J’apprécie          230
Les meubles sont en place. Seul un peu de désordre subsiste dans la bibliothèque , mais telle qu'elle est , cette pièce me ravit. Un profond silence y règne et une grande muraille de livres semble là pour m'isoler du monde.

page 387
Commenter  J’apprécie          70
«  Notre vie est un livre qui s’écrit tout seul. Nous sommes des personnages de roman qui ne comprennent pas toujours bien ce que veut l’amour » …
Commenter  J’apprécie          110
C'est si mystérieux la mort d'un petit chien ! Il semble que le vide soit d'autant plus grand que c'était une compagnie muette. Ce n'est pas une voix qui se tait, c'est un silence vide qui succède au silence d'une perpétuelle présence.
Commenter  J’apprécie          62
Rien n'existe si on ne le regarde pas bien. Cela paraît simple, mais je ne l'ai découvert que récemment, à Chartres, en examinant le portail nord avec Robert. Regarder une chose, c'est la construire en soi. Il faut posséder ce qu'on regarde, l'emporter en soi, ne pas l'oublier.
Commenter  J’apprécie          40

Videos de Julien Green (19) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Julien Green
"[…] les auteurs d'aphorismes, surtout lorsqu'ils sont cyniques, irritent ; on leur reproche leur légèreté, leur désinvolture, leur laconisme ; on les accuse de sacrifier la vérité à l'élégance du style, de cultiver le paradoxe, de ne reculer devant aucune contradiction, de chercher à surprendre plutôt qu'à convaincre, à désillusionner plutôt qu'à édifier. Bref, on tient rigueur à ces moralistes d'être si peu moraux. […] le moraliste est le plus souvent un homme d'action ; il méprise le professeur, ce docte, ce roturier. Mondain, il analyse l'homme tel qu'il l'a connu. […] le concept « homme » l'intéresse moins que les hommes réels avec leurs qualités, leurs vices, leurs arrière-mondes. […] le moraliste joue avec son lecteur ; il le provoque ; il l'incite à rentrer en lui-même, à poursuivre sa réflexion. […]
On peut toutefois se demander […] s'il n'y a pas au fond du cynisme un relent de nostalgie humaniste. Si le cynique n'est pas un idéaliste déçu qui n'en finit pas de tordre le cou à ses illusions. […]" (Roland Jaccard.)
0:14 - Bernard Shaw 0:28 - Julien Green 0:45 - Heinrich von Kleist 1:04 - Georges Henein 1:13 - Ladislav Klima 1:31 - Michel Schneider 1:44 - Hector Berlioz 1:55 - Henry de Montherlant 2:12 - Friedrich Nietzsche 2:23 - Roland Jaccard 2:37 - Alphonse Allais 2:48 - Samuel Johnson 3:02 - Henrik Ibsen 3:17 - Gilbert Keith Chesterton 3:35 - Gustave Flaubert 3:45 - Maurice Maeterlinck 3:57 - Fiodor Dostoïevski 4:08 - Aristippe de Cyrène 4:21 - Générique
Vous aimerez peut-être : DICTIONNAIRE DU PARFAIT CYNIQUE #3 : https://youtu.be/A6¤££¤86S'IL N'Y AVAIT DE BONHEUR QU'ÉTERNEL83¤££¤ DICTIONNAIRE DU PARFAIT CYNIQUE #1 : https://youtu.be/PAkTz48qZrw NI ANGE NI BÊTE : https://youtu.be/aBUASQxO9z4 S'IL N'Y AVAIT DE BONHEUR QU'ÉTERNEL... : https://youtu.be/bHCEHBhdLLA LES CHIENS CÉLESTES : https://youtu.be/zZ-0H1qTlJg PETITE FOLIE COLLECTIVE : https://youtu.be/Ge4q_tfPWjM AD VITAM AETERNAM : https://youtu.be/YjvEBidvMXM QUE SUIS-JE ? : https://youtu.be/sbWh58UeGvE LA LUCIDITÉ POUR LES NULS : https://youtu.be/mMXwZq9N2kk Philosophie : https://www.youtube.com/playlist?list=PLQQhGn9_3w8pT0¤££¤55Attribution-NonCommercial95¤££¤9ptGAv
Référence bibliographique : Roland Jaccard, Dictionnaire du parfait cynique, Paris, Hachette, 1982.
Images d'illustration : Marquise de Lambert : https://de.wikipedia.org/wiki/Anne-Thérèse_de_Marguenat_de_Courcelles#/media/Datei:Anne-Thérèse_de_Marguenat_de_Courcelles.jpg George Bernard Shaw : https://fr.wikipedia.org/wiki/George_Bernard_Shaw#/media/Fichier:G.B._Shaw_LCCN2014683900.jpg Julien Green : https://www.radiofrance.fr/franceculture/le-siecle-d-enfer-de-l-ecrivain-catholique-et-homosexuel-julien-green-8675982 Heinrich von Kleist : https://fr.wikipedia.org/wiki/Heinrich_von_Kleist#/media/Fichier:Kleist,_Heinrich_von.jpg Georges Henein : https://www.sharjahart.org/sharjah-art-foundation/events/the-egyptian-surrealists-in-global-perspective Ladislav Klima : https://www.smsticket.cz/vstupenky/13720-ladislav-klima-dios Michel Schneider : https://www.lejdd.fr/Culture/Michel-Schneider-raco
+ Lire la suite
autres livres classés : journalVoir plus
Les plus populaires : Littérature étrangère Voir plus


Lecteurs (56) Voir plus



Quiz Voir plus

Littérature LGBT Young Adult

Comment s'appelle le premier roman de Benjamin Alire Saenz !?

Aristote et Dante découvrent les secrets de l'univers
L'insaisissable logique de ma vie
Autoboyographie
Sous le même ciel

10 questions
39 lecteurs ont répondu
Thèmes : jeune adulte , lgbt , lgbtq+Créer un quiz sur ce livre

{* *} .._..