C'est avec grand intérêt que je me suis penchée sur ce livre de
Véronique Blanchard consacré à celles qu'on nommait les « mauvaises filles » des années 50 et 60, celles de la génération d'après-guerre. Loin de l'image idéalisée des épouses et mères de famille prudes et sages, les « mauvaises filles » sont éprises d'une liberté que la société va tenter de canaliser.
L'ouvrage affiche un double objectif : analyser les dispositifs de prise en charge judiciaire des mineures pendant cette période et l'inscrire dans une perspective genrée. Il y a une panoplie d'outils de réponses face aux problèmes rencontrés (qui souvent ne sont que des faux problèmes) mais ces outils ne sont de toute évidence pas les mêmes selon les sexes.
Pour son étude,
Véronique Blanchard propose cinq grandes thématiques dans lesquelles vont s'inscrire les trois catégories de mauvaises filles qu'elle isole et qui donnent leur titre à l'ouvrage :
– la tentation de la grande ville, où les rues et activités récréatives offrent un espace de liberté inespéré dans des appartements trop petits à la promiscuité étouffante.
– la famille dans tous ses états, où l'on voit le rôle central de la cellule familiale avec souvent des fratries nombreuses et des parents dépassés, démissionnaires ou exagérément sévères.
– petites voleuses, où l'on voit que la délinquance féminine est souvent sous-jacente à des problèmes familiaux.
– fugueuses, où l'on voit qu'une jeune fille peut être dénoncée par ses parents simplement parce qu'elle rentre tard. La vraie fugue est dans la plupart des cas révélatrice d'un malaise à la maison.
– Dévergondées, lesbiennes et prostituées, où l'on voit que les femmes qui aiment faire l'amour et le détail du avec qui elles le font (partenaires multiples ou homosexuelles) sont un problème de société largement propre à leur genre.
Cette étude est passionnante à suivre car largement documentée, avec de nombreux extraits d'archives qui donnent une voix et un nom (faux par souci de confidentialité) à ces « mauvaises filles ». La démonstration est parfaitement structurée, chaque idée clairement exposée puis étayée par des faits, références juridiques et témoignages.
La conclusion de ce qui en ressort est sans surprise. Ces jeunes femmes n'étaient pas mauvaises ; elles avaient choisi leur voie qui n'était pas celle de la bien-pensance de l'époque. Elles avaient envie d'aimer, de s'amuser, comme le faisait leurs homologues masculins sans essuyer de reproches. Si elles en venaient à devoir voler, se prostituer, fuguer, c'est en conséquence de l'impossibilité qu'on leur faisait de vivre comme elles l'entendaient.
Si l'objectif après guerre était d'apporter un arsenal judiciaire à même de protéger les mineurs, force est de constater que les décisions étaient souvent biaisées en fonction du genre. Les jeunes filles étaient souvent placées sans raison valable, et dans les cas des « dévergondées », il s'agissait plus de brider leurs désirs par souci moralisateur plus que par souci de protection d'elles-mêmes ou de la société. Pour preuve, les garçons qui couchaient à tout va n'étaient pas amenés devant un juge.
Avec cette étude,
Véronique Blanchard parvient à rendre compte du statut que ces filles incarnaient aux yeux de la société et la façon dont elles étaient traitées juridiquement parlant. C'est très instructif et on ressort de cette lecture avec une meilleure compréhension de l'époque et du chemin qu'il restait à parcourir pour que les femmes ne soient plus déconsidérées.
Un ouvrage absolument édifiant.
Merci à Babelio et aux éditions Pocket !
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