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Benoît Heilbrunn (Autre)
EAN : 9782266317344
400 pages
Pocket (24/02/2022)
4.16/5   28 notes
Résumé :
Luce : « vagabonde » ; Adèle : « voleuse » ; Émilienne : « vicieuse ». Trois mots, qui valent rappel à l’ordre, réquisitoire, sanction. Ou comment le langage, le système éducatif, la psychiatrie et l’institution judiciaire construisent le féminin, en lui opposant des contre-modèles. Dans les années 1950 et 1960, une adolescente a tôt fait de virer « mauvaise fille » : un flirt, une sortie au bal ou au café, voire une simple fugue de quelques heures peuvent suffire à... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique
En résumé : Non-fiction. Une étude sociologique sur celles qu'on appelait les "mauvaises filles" et leur prise en charge judiciaire dans le Paris des années 1950-1960, juste avant la révolution sexuelle.

En détail :

Véronique Blanchard a littéralement plongé dans les archives du tribunal de la Seine, très fournies pour l'époque, pour suivre le parcours des jeunes "délinquantes" prises en charge par la justice. le lecteur peut ainsi suivre les moments de vie de Luce, Annick, Emilienne et tant d'autres, car les dossiers contiennent à la fois les décisions judiciaires, mais aussi les annotations et commentaires des juges, les plaintes des familles et, chose rare, les témoignages des principales intéressées. Cet ouvrage met ainsi en lumière leur voix, face aux statistiques et à la propagande institutionnelle de l'époque.

Ces recherches vont permettre de mieux comprendre ce qui inquiétait tant les familles et les autorités dans cette recherche d'autonomie et de liberté. Cela intéressera sûrement les lecteurs de dystopies féministes de voir à quel point les femmes étaient infantilisées et contrôlées il y a de ça quelques dizaines d'années. L'idéal étant que la fille vierge passe directement de chez ses parents à chez son mari. Les annotations des juges montrent clairement que pour eux, tout écart ne peut conduire qu'à la prostitution. Ainsi, les juges prennent le prétexte d'un vol ou du vagabondage pour faire une enquête de moeurs approfondie et placer l'adolescente en établissement de redressement.

Les mères prennent leur part de critiques lorsqu'elles se révèlent ne pas être de bonnes épouses (ménagères). le juge ordonne majoritairement le placement lorsque la famille est jugée défaillante ou sur demande de ces dernières face au dévergondage de leur progéniture. Néanmoins, les dossiers révèlent parfois des conditions de vie misérables (pauvreté, alcoolisme des parents, agression sexuelle) pour lesquelles le placement des mineures est en fait une mesure de protection salutaire.

La question du genre est également abordée, les adolescents ne recevant pas (du tout) le même traitement à "infraction" égale. Cette distinction se retrouve également entre les classes sociales. On ne peut pas s'empêcher de penser que ces jeunes filles n'ont pas eu de chance de naître à leur époque, à quelques pas seulement de la libération sexuelle.

A noter que le travail de référencement est impressionnant et la lecture est à la fois riche d'informations et très fluide. Les témoignages sont parfois glaçants de détails et de réalisme, à cette époque encore sombre pour la gent féminine. Si le sujet vous intéresse, vous trouverez de nombreuses perspectives dans cet ouvrage, bien trop pour les résumer en une chronique !

De la même autrice : Les jeunes et la sexualité
Dans le même genre : Sorcières, de Mona Chollet.
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C'est avec grand intérêt que je me suis penchée sur ce livre de Véronique Blanchard consacré à celles qu'on nommait les « mauvaises filles » des années 50 et 60, celles de la génération d'après-guerre. Loin de l'image idéalisée des épouses et mères de famille prudes et sages, les « mauvaises filles » sont éprises d'une liberté que la société va tenter de canaliser.

L'ouvrage affiche un double objectif : analyser les dispositifs de prise en charge judiciaire des mineures pendant cette période et l'inscrire dans une perspective genrée. Il y a une panoplie d'outils de réponses face aux problèmes rencontrés (qui souvent ne sont que des faux problèmes) mais ces outils ne sont de toute évidence pas les mêmes selon les sexes.

Pour son étude, Véronique Blanchard propose cinq grandes thématiques dans lesquelles vont s'inscrire les trois catégories de mauvaises filles qu'elle isole et qui donnent leur titre à l'ouvrage :
– la tentation de la grande ville, où les rues et activités récréatives offrent un espace de liberté inespéré dans des appartements trop petits à la promiscuité étouffante.
– la famille dans tous ses états, où l'on voit le rôle central de la cellule familiale avec souvent des fratries nombreuses et des parents dépassés, démissionnaires ou exagérément sévères.
– petites voleuses, où l'on voit que la délinquance féminine est souvent sous-jacente à des problèmes familiaux.
– fugueuses, où l'on voit qu'une jeune fille peut être dénoncée par ses parents simplement parce qu'elle rentre tard. La vraie fugue est dans la plupart des cas révélatrice d'un malaise à la maison.
– Dévergondées, lesbiennes et prostituées, où l'on voit que les femmes qui aiment faire l'amour et le détail du avec qui elles le font (partenaires multiples ou homosexuelles) sont un problème de société largement propre à leur genre.

Cette étude est passionnante à suivre car largement documentée, avec de nombreux extraits d'archives qui donnent une voix et un nom (faux par souci de confidentialité) à ces « mauvaises filles ». La démonstration est parfaitement structurée, chaque idée clairement exposée puis étayée par des faits, références juridiques et témoignages.

La conclusion de ce qui en ressort est sans surprise. Ces jeunes femmes n'étaient pas mauvaises ; elles avaient choisi leur voie qui n'était pas celle de la bien-pensance de l'époque. Elles avaient envie d'aimer, de s'amuser, comme le faisait leurs homologues masculins sans essuyer de reproches. Si elles en venaient à devoir voler, se prostituer, fuguer, c'est en conséquence de l'impossibilité qu'on leur faisait de vivre comme elles l'entendaient.
Si l'objectif après guerre était d'apporter un arsenal judiciaire à même de protéger les mineurs, force est de constater que les décisions étaient souvent biaisées en fonction du genre. Les jeunes filles étaient souvent placées sans raison valable, et dans les cas des « dévergondées », il s'agissait plus de brider leurs désirs par souci moralisateur plus que par souci de protection d'elles-mêmes ou de la société. Pour preuve, les garçons qui couchaient à tout va n'étaient pas amenés devant un juge.

Avec cette étude, Véronique Blanchard parvient à rendre compte du statut que ces filles incarnaient aux yeux de la société et la façon dont elles étaient traitées juridiquement parlant. C'est très instructif et on ressort de cette lecture avec une meilleure compréhension de l'époque et du chemin qu'il restait à parcourir pour que les femmes ne soient plus déconsidérées.
Un ouvrage absolument édifiant.

Merci à Babelio et aux éditions Pocket !
Lien : https://lejardindenatiora.wo..
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Cet essai, hyper documenté, est une mine d'or sur le traitement des jeunes filles des années 1950 et 1960 quand celles-ci sortent des rangs et deviennent comme les juges et assistant.e.s les nomment « vagabondes, voleuses et vicieuses ». Jolis termes pour décrire ces mineures.

Il s'attache à expliquer les origines « du mal » en proposant de disséquer les cellules familiales de ces filles et pointe dans les rapports de police les stéréotypes de genre, les accusations systématiques de la Mère qui serait la cause de tout.

Dans ces rapports justement, l'autrice, qui a travaillé dix ans sur ce sujet, recense les descriptions faites des parents, de la maison, des relations inter-familiales.

Ce livre permet de se questionner sur le faible taux de délinquantes comparé aux nombres d'hommes arrêtés. Que dit la sociologie pour expliquer que les femmes sont « moins » violentes? Avec cette lecture, nous comprenons que, non, elles ne sont pas moins portées sur les coups mais c'est tout un système de répression qui les serre et qui les empêche de jouir de liberté. Dès les premiers émois amoureux, on constate que les parents sont effrayés du caractère « volage », » vicieux » de leurs filles et celles-ci sont immédiatement contraintes de rester à la maison, quand elle ne sont tout bonnement pas envoyées dans des hôpitaux psychiatriques. (Et rester à la maison, pour la plupart, relève de la survie tant les conditions sont empreintes de violences). Cependant, ces questions de savoir ce qu'il se passe entre les murs de leurs habitations sont rarement évoquées et les sous-entendus de viols ne sont jamais pris au sérieux.
La colère de ces jeunes fille est niée, la violence ne serait que d'ordre psychique et ne relèverait que de fragilités psychologiques. On les enferme dans des institutions plutôt que de les conduire en justice. Il faut aussi lire les articles de journaux qui recensent certains faits divers en sexualisant au maximum ces jeunes filles, en les déresponsabilisant, en leur ôtant toute forme de réflexion et en amenant souvent des pseudo-théories qui ont tôt fait de stéréotyper encore plus les femmes.

Un essai de plus de 300 pages documenté à souhait par des extraits de rapports, de témoignages et un questionnement pertinent sur les traitements de ces jeunes filles et l'image de leur violence.

Dans une suite toute logique, vous pouvez écouter l'excellent podcast de Charlotte Bienaimé » Des femmes violentes »
Lien : https://pagesversicolores.wo..
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Un essai sur les "mauvaises filles" des années 50/60.
Je ne lis que très peu d'essai mais celui-ci est une bonne découverte.
La lecture était fluide et agréable.
L'auteure a fait des recherches poussées, elle a regroupé des archives judiciaires,  obtenus des déclarations et témoignages de certaines de ces jeunes adolescentes.
On découvre dans ce livre la prise en charge et la vision des autorités, de la justice, des assistantes sociales sur ces jeunes femmes.
On assiste à la création du juge des enfants, l'évolution des lois, à des courriers de parents qui demandent à ce juge de rééduquer voir de procéder à l'arrestation de leur fille suite à des mauvaises fréquentations.
L'attitude de ces mauvaises filles est expliquée par le mauvais comportement des mères trop indépendantes, travaillant et délaissant l'entretien de leur foyer.
Les loisirs et notamment le cinéma est décrit comme ayant des effets néfastes sur le comportement des adolescents.
Il est très intéressant de découvrir toutes ces archives, et de voir l'évolution de cette justice et des mentalités.
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Historienne, directrice du centre d'histoire de l'enfance en justice, Véronique Blanchard est le grand nom français sur l'histoire de l'enfance délinquante.
Avec les codes de l'historienne (neutralité, références permanentes, méthode stricte de dépouillement des dossiers d'archives), elle tisse un propos social et féministe sur le traitement par la justice des mineurs des jeunes filles dans les années 1950. Derrières les catégories qu'elle tisse (vagabondes, voleuses, vicieuses), elle développe une analyse ferme sur le contrôle social qui s'exerce sur les "mauvaises filles" et notamment le contrôle de leurs corps : impératif d'arriver vierge au mariage, crainte omniprésentes de la prostitution, mépris pour celles qui revendiquent une sexualité pour le plaisir.
Sa volonté de faire raisonner les voix de ces filles qui la justice préfère enfermer que laisser s'émanciper est le fil conducteur de tout l'ouvrage.
Une lecture éclairante sur ce que l'autrice analyse comme des prémisses à la "seconde vague" du féminisme.
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critiques presse (1)
LaViedesIdees
30 octobre 2019
On connaissait les garçons déviants, mais on ne savait rien des filles dont la justice des mineurs a voulu contrôler la sexualité. Le beau livre de Véronique Blanchard vient combler ce manque en suivant avec une grande sensibilité ces adolescentes des taudis aux centres d’observation.
Lire la critique sur le site : LaViedesIdees
Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
Une situation paradoxale d'autant plus renforcée par la réticence des institutions judiciaires à reconnaître aux jeunes filles le droit à la protestation : toute forme de rébellion, nous y reviendrons bientôt, tend à être expliquée sur un plan pathologique et non social ou politique.
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Les garçons seraient éduqués dans la valorisation de la virilité, de la force et, dans une certaine mesure, poussés à des attitudes plus agressives et violentes que leurs comparses. Les petites filles, elles, seraient amenées à reproduire les qualités de douceur et de compréhension liées au rôle maternel qui leur est assigné.
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Nous devons prendre bien garde dans ces contacts à ne pas tirer, à la faveur des apparences extérieures, de conclusions prematurées. Nous devons être un peu dans la position du doute de Descartes: faire le vide dans notre esprit, et éliminer tout ce qui dans nos opinions personnelles, ou notre expérience passées, pourrait nous laisser croire que la situation présente est en tous points comparable à un cas traité précédemment [...1 Il est bien évident que 1'assistante n'a pas à porter de jugement sur le plan moral, mais seulement poser des faits et à en rechercher les causes.
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Exemple qui démontre à quel point la société des années 1950 a encore une forte tendance à l'infantilisation des femmes... Il existe trois principales raisons de demander une correction paternelle à l'endroit des jeunes filles.
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Lorsque le comportement général des jeunes filles n'apparaît pas adapté à leur sexe, le délit est relégué à l'arrière-plan, personnalité, attitude et milieu social et familial devenant les éléments centraux de la procédure.
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