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EAN : 9782348046780
464 pages
La Découverte (02/01/2020)
4.08/5   12 notes
Résumé :
Sous la forme d’une magistrale enquête philosophique et historique, ce livre propose une histoire inédite : une histoire environnementale des idées politiques modernes. Il n’ambitionne donc pas de chercher dans ces dernières les germes de la pensée écologique (comme d’autres l’ont fait), mais bien de montrer comment toutes, qu’elles se revendiquent ou non de l’idéal écologiste, sont informées par une certaine conception du rapport à la terre et à l’environnement.>Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Je lis cet ouvrage érudit, dense et d'actualité à raison d'une quinzaine de pages quotidiennes. Jusqu'à présent (page 70 sur 445) Pierre Charbonnier a donné les coordonnées d'une histoire environnementale des idées politiques modernes; autrement dit il entend poser les bases d'une histoire politique des rapports à la nature.
Il remonte le temps, en partant du XVIIè siècle jusqu'à nos jours, caractérisés par l'altération catastrophique et irréversible des conditions écologiques globales. La production surpasse la capacité de régénération des ressources. Tout commence avec la dégradation des structures féodales de la société et de la symbolique théologique qui la soutient. Aux guerres de religion succède l'exploration des mers et et des territoires. La délimitation des espaces occupés, la détermination des droits de chacun, la façon d'encadrer et de conduire les choses naturelles vont conduire la politique.
Rivalités coloniales et marchandes vont structurer un premier corpus juridique européen. Grotius rédige son traité Mare Liberum en 1604, destiné à légitimer l'expansion commerciale des Provinces-Unies en Asie orientale. Grotius énumère également un ensemble de choses naturellement rétives à l'appropriation, selon la tradition morale et juridique : l'air, les eaux courantes, le soleil et le vent. Ce texte fondateur reprend aussi le principe de l'hospitalité dérivé de l'Antiquité, accordant le droit de transit à d'autres groupes.
L'expansion coloniale et le mercantilisme reconfigurent la société, de même ensuite que la révolution industrielle, grande consommatrice d'énergies fossiles. Ces évolutions portent en germe une relation pathologique avec le milieu. Le changement climatique et le chamboulement des équilibres écologiques découlent logiquement de la croyance, libérée des pesanteurs du monde, en une disponibilité illimitée des ressources terrestres. Cette exploitation éhontée de la planète montre ses effets dévastateurs sur les peuples et les territoires. Il s'agit dès lors de repenser les relations de l'homme avec ses milieux, en ayant à l'esprit une volonté de redistribuer équitablement des richesses inégalement réparties. Cette iniquité a généré un courant de politisation des inégalités sociales. Il est urgent et nécessaire que la politique entreprenne une mutation révolutionnaire en intégrant les impératifs écologiques à son programme " En d'autres termes, c'est l'organisation démocratique et les aspirations qui la soutiennent qu'il s'agit de décarbonner - et pas seulement l'économie ".
Exigeant et passionnant. À suivre...
Quarante-cinq pages plus loin ( p.115), les notions de marché de biens de consommation, de division du travail, de croissance sont apparues à l'instigation d'Adam Smith, un des pères de l'idéologie libérale. Il récuse le modèle exclusivement agraire des physiocrates français, qui contrecarre l'expansion vers la richesse profitable à tous. Donc place à l'industrie, au commerce et à la finance, phases de développement qui supposent une moindre intervention de l'État, l'intérêt privé œuvrant avec "bons sens". La croissance extensive liée à l'accroissement de l'exploitation des ressources fossiles dissout les préoccupations écologiques, qui jusqu'au XVIIIè siècle était de faire avec ce qu'on a, avec ce que la terre pouvait donner sans la forcer. Les hiérarchies sociales, elles ne bougent pas. Les propriétaires et les investisseurs tirent les fruits de leurs possessions et de la force de travail des ouvriers. Place à la révolution industrielle. Je serai plus synthétique ensuite, l'essentiel étant maintenant de savoir comment remettre la géo-écologie au centre de la politique.
Un point arrivé à la page 186. Une évidence s'impose. Dès l'exploitation d'une énergie fossile comme le charbon, apparaît un décalage entre l'essor économique et la création d'instruments juridiques et d'institutions politiques. On fait confiance à la capacité auto-régulatrice du marché. L'économie semble pouvoir tourner sans limites, puisque l'énergie exploitée est dissociée de la vie, du travail, de l'espace. L'expansion coloniale, la redistribution des richesses défaillante, créent des injustices sociales. On épuise les corps, les cultures et les terres. Le chemin de fer rapproche et isole à la fois. On oublie de calculer les ressources naturelles disponibles, hormis Jevons en 1865, qui prédit la fin du charbon cent ans plus tard. Cet économiste britannique esquisse la notion d'empreinte écologique et parle déjà d'effet rebond. Quelle surdité générale à l'époque et ensuite.

La densité et le style touffu de l'auteur ont eu raison de ma patience. J'ai donc lu les synthèses réflexives entre les derniers chapitres de façon à pouvoir esquisser un avenir où écologie et politique soient indissociables.
Dès le XIXè siècle et suivants, des penseurs plaident en faveur d'un usage raisonné et durable des ressources. Peine perdue. L'économie libérale a renié ses promesses d'émancipation, elle a négligé la régulation sociale que la société lui avait déléguée. Les cycles économiques autonomes ignorent les contraintes naturelles, les aléas climatiques et écologiques. L'abondance matérielle sélective n'est pas proportionnelle au bonheur subjectif. Après 1929, après 1945, le libéralisme prétend à la justice de marché contre l'abus d'État. Il alimente des désirs séparés des besoins. Une psychopathologie de la sur- consommation liée à l'offre abondante s'installe et épuise la planète.
Quel remède, docteur ?
Réaligner social, écologie et politique. Sortir du mantra de la croissance coûte que coûte. Cela dépend aussi de nous, de notre mode de consommation. La pensée politique doit intégrer des demandes de justice pressantes, liées aux préoccupations matérielles ordinaires que sont l'énergie, l'usage des sols, la distribution de la richesse.
Jean Charbonnier signe une imposante rétrospection conceptuelle et historique, en érigeant l'écologie en fil rouge "dans le temps long des conflits sociaux". Dommage que son approche soit noyée dans un style privilégiant la citation académique au détriment d'exemples illustratifs d'une mise en perspective remarquable, tant philosophique, sociologique, qu'économique.


Lien : http://cinemoitheque.eklablo..
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Très bel éclairage d'une zone d'ombre qui devenait insupportable: l'ignorance politique des limites de la "nature" dont nous puisons toute notre subsistance et notre richesse.
Après un beau tableau de l'histoire de la pensée environnementale des débuts de nos 'temps modernes', Pierre Charbonnier nous éclaire sur le rôle d'auteurs comme Thorstein Veblen et surtout Karl Polanyi ("désencastrement" de l'économie) dans le démontage du système productif issu de l'industrialisation.
Une des thèses majeures de l'ouvrage (qui le fait glisser vers le débat partisan, mais pourquoi pas?) est que le socialisme (en tant que réaction à l'idéologie libérale), même s'il s'est laissé séduire par les promesses d'abondance des techniciens et des financiers de l'industrialisation aux XIXè et XXè siècle, reste 'le' tremplin pour l'intégration dans le débat démocratique de la question de la vie ensemble entre humains (égalité et dignité) et entre humains et non-humains (respect et contemplation - la contemplation, ça c'est moi qui l'ajoute).
Même s'il n'y adhère pas complètement, il cite en appui de sa thèse le court ouvrage éclairant et relativement simple de Bruno Latour "Où atterir? - Comment s'orienter en politique?"
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critiques presse (2)
LaViedesIdees
19 avril 2021
L’accumulation infinie dans un monde aux ressources finies : tel est le vertige des modernes. Mais dans la préoccupation actuelle pour l’écologie, il faut aussi voir une métamorphose de la question sociale.
Lire la critique sur le site : LaViedesIdees
LesEchos
20 janvier 2020
Dans un ouvrage érudit et dense, le philosophe Pierre Charbonnier montre comment notre conception de la modernité, et notamment l'émancipation individuelle et le progrès social, s'est bâtie sur l'exploitation intensive des ressources naturelles.
Lire la critique sur le site : LesEchos
Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
L'obstacle est en nous, parmi nous : dans nos lois, nos institutions, plus que dans un spectre économique surplombant que l'on pourrait confortablement dénoncer de l'extérieur. L'État social, en dépit de ses immenses bénéfices, a par exemple contribué à consolider les objectifs de performance économique qui conditionnent son financement, et qui en retour provoquent une mise en concurrence des risques sociaux et des risques écologiques. La crise des Gilets jaunes, en France, en est l'illustration parfaite : taxer les carburants pour dissuader leur utilisation entre en conflit avec le sens de la liberté de millions de personnes prises dans les infrastructures de mobilité héritées des Trente Glorieuses. Il faut donc mettre au point des dispositifs permettant d'abaisser notre dépendance à l'égard de ces énergies sans violer les aspirations collectives qui y sont enchâssées.
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La croissance mesurable de l'économie, des revenus, est une indication en trompe l'œil. Car si elle véhicule encore pour beaucoup l'imaginaire de l'amélioration matérielle et morale, elle est aussi indissociable du processus de perturbation planétaire qui nous a fait entrer dans l'inconnu. La politisation adéquate de l'écologie se situe donc dans l'interstice qui s'ouvre entre ces deux dimensions de la réalité historique.
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À travers les institutions telles que le droit de propriété, et par la subordination de la réflexivité technique des ingénieurs à la rationalité du profit immédiat, un écart grandissant est apparu entre la complexité de la technostructure et la capacité collective à la rendre socialement et matériellement efficace. La persistance du manque, les crises e surproduction et l'irrationalité boursière ne sont donc hétérogènes qu'en apparence, car elles révèlent chacune à sa manière la défaite des solidarités industrielles.
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L'interdépendance commerciale des nations cache en effet un ensemble de stratégies à somme non nulle, avec ses perdants et ses vainqueurs, et la constitution d'espaces impériaux ou coloniaux d'échelle planétaire révèle dans toute sa violence l'inégalité structurelle de l'échange. Cette dernière notamment est la manifestation la plus nette d'une incapacité des modernes à s'en tenir à leurs propres principes puisque ces inégalités écologiques sont aussi politiques -les personnes vivant sus tutelle coloniale ou impériale étant le plus souvent exclues de la protection juridique pourtant jugée universelle.
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La guerre, la guerre mondiale apparait alors comme l'horizon fatal de l'abondance, non pas parce qu'elle est le simple résultat de la course aux ressources, mais parce qu'elle outrepasse l'économie tout en étant son motif caché: l'accumulation de puissance, et surtout l'accroissement des différentiels de puissance. (p.44)
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