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Les déracinés tome 3 sur 4
EAN : 9782266315418
384 pages
Pocket (08/04/2021)
4.04/5   685 notes
Résumé :
Jour après jour, Ruth se félicite d’avoir écouté sa petite voix intérieure : c’est en effet en République dominicaine, chez elle, qu’il lui fallait poser ses valises. Il lui suffit de regarder Gaya, sa fille. À la voir faire ses premiers pas et grandir aux côtés de ses cousines, elle se sent sereine, apaisée.
En retrouvant la terre de son enfance, elle retrouve aussi Almah, sa mère, son énergie et ses projets pour lesquels elle se démène sans compter. Petit à... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (75) Voir plus Ajouter une critique
4,04

sur 685 notes
Quand j'étais plus jeune, j'adorais me plonger dans de grandes sagas romanesques. J'ai lu quasiment tous les Jalna, découverts dans le grenier de ma grand-mère, les Henri Troyat ou les Maurice Denuzière. Cette habitude m'est un peu passée, ces lectures se révélant souvent chronophages.

J'ai un peu renoué avec cela ces derniers temps, que ce soit la saga des Cazalet ou celle-ci de Catherine Bardon. Et j'y retrouve ce qui fait le charme de ces grandes fresques romanesques : la vie d'une famille à travers plusieurs générations agrémentée de données historiques qui ajoutent à leur attrait.

Dans ce troisième tome des Déracinés, on retourne en République Dominicaine, même si l'histoire des États-Unis et d'Israël est bien présente grâce aux amis et membres de la famille qui y résident ou y font des séjours. le roman est comme dans le deuxième tome, centré sur Ruth, avec alternance de chapitres à la première et à la troisième personne, permettant à l'auteur d'approfondir ce que ressent Ruth. Celle-ci va se marier, avoir des enfants et vivre une vie que l'on pourrait qualifier de tranquille, bien à l'abri sur les terres familiales, même si quelques évènements viennent secouer ce monde protégé et privilégié. Son travail de journaliste passe au second plan.

J'ai aimé retrouver toute la tribu, les personnages déjà connus et les nouveaux arrivés. L'intérêt de ce type de saga, c'est d'avoir l'impression de faire partie de la famille, de vivre leur vie à leurs côtés.
L'histoire de la république Dominicaine est bien évoquée, sur ces années (de 1967 à 1979) ainsi que les événements marquants des États-Unis : assassinat de Martin Luther King, mouvement Hippie, interventionnisme dans tous les autres états américains, guerre du Vietnam, et d'Israël notamment les accords de camp David. Mais, ils sont relatés plutôt que vécus, et même la chape de plomb de la dictature dominicaine n'est pas très sensible dans la vie de tous les jours de Ruth et sa famille.
Je n'ai pas retrouvé dans ce tome le souffle qui portait le premier, et même si je l'ai préféré au second, je l'ai trouvé un peu fade, sans grandes surprises. Je pense que je lirai quand même le dernier pour savoir ce que devient chacun des membres de cette famille à laquelle je me suis attachée.

Merci à NetGalley et aux éditions Les Escales pour ce partage #Etlavierepritsoncours #NetGalleyFrance
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Ruth se marie

Le troisième volet de la saga dominicaine de Catherine Bardon couvre les années 1967-1979. L'occasion pour Ruth, la narratrice, de trouver l'amour et d'affronter de nouveaux défis. On la suit avec toujours autant de plaisir.

«Il y avait là deux continents, quatre pays, cinq langues, trois générations. Comme Wilhelm Rosenheck aurait été fier de cette belle et grande famille née de son exil et du sacrifice de sa terre natale.» À l'image de l'émotion qui étreint Ruth qui retrouve tous les membres de sa tribu à Sosúa à l'occasion de son mariage, le lecteur qui l'a suivie depuis Les déracinés à l'impression de faire partie de la noce. Pour un peu, il lèverait son verre avec eux, heureux de partager ce moment de bonheur. Car il sait ce qu'ils ont enduré depuis cet exil en République dominicaine dans les sombres années de l'Anschluss.
La belle histoire de ce troisième tome commence avec l'arrivée sur l'île d'Arturo, son ami pianiste installé à New York. le jeune homme est venu passer quelques jours auprès de sa famille – de riches industriels du tabac – et retrouver Ruth. Il était pourtant loin d'imaginer que son escapade au carnaval avec son frère Domingo aboutirait à un mariage. Faisant fi des conventions – inutile d'ajouter qu'elle nous avait habitué à ça – Ruth se laisse aller dans les bras de cet homme marié et plonge à corps perdu dans une «passion folle, impétueuse, exaltée, excessive même.»
Un tourbillon qui va tout balayer en quelques mois et trouver son apothéose dans ce mariage célébré en novembre 1967, quelques mois après la fin de la guerre des six jours que la branche des émigrés installés en Israël a vécu au plus près.
Car Catherine Bardon – comme dans les précédents épisodes – profite de cette chronique qui embrasse la période de 1967 à 1979, pour revenir sur les faits historiques marquants qui vont toucher de près la diaspora. On se souvient qu'après avoir joué L'Américaine (qui vient de paraître en poche chez Pocket), Ruth avait choisi de revenir en République dominicaine pour poursuivre l'oeuvre de son père et diriger le journal de Sosúa. Elle est donc aux premières loges pour commenter les soubresauts du monde, notamment quand ceux-ci touchent directement la communauté. Au choc de l'assassinat de Martin Luther King succéderont les images du premier homme sur la lune, puis celles terribles de cette guerre au Vietnam qui n'en finit pas.
Bien entendu, elle ne pourra laisser sous silence les accords de Camp David et cette photo chargée de tant d'espoirs rassemblant Jimmy Carter, Anouar El Sadate et Menahem Begin, espoir douché à peine une année plus tard par le sanglant attentat aux J.O. de Munich.
Aux bras de son mari, Ruth nous fait aussi partager son quotidien et nous raconte la vie sur ce bout de terre des Caraïbes et la chape de plomb imposée par le dictateur Balaguer. Je vous laisse notamment vous régaler des péripéties engendrées par la visite de Jacques Chirac en 1971 et la course à un objet de l'ethnie tainos à offrir à ce grand amateur d'arts premiers.
Et le roman dans tout ça? J'y viens, d'autant plus qu'il occupe la part prépondérante du livre, comme le titre le laisse du reste suggérer. Lizzie, l'amie d'enfance de Ruth, qui avait émigré aux États-Unis et avait rejoint le flower power en Californie, lui a fait la surprise d'être présente à son mariage. Mais derrière l'excentricité se cachait la gravité. C'est une personne malade qu'elle accueille chez elle et qu'elle entend aider. Et pour que la vie reprenne son cours paisible, il faut aussi que Gaya, la fille de Christopher, accepte son beau-père. Disons simplement qu'un voyage aux États-Unis servira à dénouer ce problème, avec une belle surprise à la clé.
Catherine Bardon se régale et nous régale. Elle est passée maître dans l'art de faire rebondir son récit, de mettre tour à tour les différents protagonistes au premier plan, de faire brusquement rejaillir le passé, comme par exemple quand un tableau de Max Kurzweil se retrouve dans une galerie de Tel-Aviv…
Et si un quatrième tome est déjà programmé, la romancière aimerait bien s'affranchir de sa famille dominicaine pour se lancer dans une autre histoire, totalement différente. En attendant, ne boudons pas notre plaisir !


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Et voici le tome 3 de la série ! nous retrouvons la famille Rosenheck dans son domaine de Sosua, avec le retour au bercail de Ruth, la fille d'Almah et Wil. L'escapade américaine est terminée et elle reprend la vie en famille dans son île, s'apercevant au passage, lors de son retour qu'elle avait eu en fait le mal du pays.

On va suivre toute la famille et ses proches sur un dizaine d'années, de 1967 à octobre 1979, pour être plus précise. Ruth a grandi intérieurement (depuis l'Américaine) elle retrouve ses marques, la ferme, las promenades à cheval, le métier de journaliste auprès de Markus. Elle a laissé Arturo Soteras retourner aux USA, car il s'y sent mieux, plus accepté du fait de son homosexualité, qu'il est obligé de cacher à sa famille, catholique, ultra-conservatrice. Il poursuit sa carrière de pianiste. Et il peut compter sur Myriam, la soeur de Wil qui vit à New-York.

Ruth fait la connaissance du frère d'Arturo, Domingo, médecin promis à une belle carrière à Santiago, qui fait la fierté de ses parents. Cela ne plaît pas trop à Arturo, mais c'est le coup de foudre, Domingo va même lâcher sa carrière hospitalière pour s'occuper de l'association d'Almah, campagnes de vaccinations, soins des plus démunis.

Leur mariage sera l'occasion de revoir tous les proches éparpillés un peu partout, Svenka en Israël, Lizzie, l'amie d'enfance de Ruth qui est plongée dans le mouvement hippie, concerts, drogues, « peace and love » et d'autres encore…

On suit l'évolution de cette famille, et en parallèle tous les évènements qui se passent dans le monde durant cette dizaine d'années. Des guerres entre Israël et la Palestine, aux manifestations contre la guerre aux USA, les droits des minorités. On croise ainsi, Moshé Dayan, Golda Meir, mais aussi Jimmy Hendrix, Otis Redding, Janis Joplin, l'assassinat de Martin Luther King

On suit l'évolution de la situation politique en République dominicaine : Trujillo n'est plus là, mais un autre dictateur lui a succédé et la famille est toujours obligée de se méfier, dans ses échanges de courriers avec les USA comme avec Israël notamment. Les USA jouent toujours les arbitres du monde dans leur chasse au socialisme (cf. L'assassinat de Salvadore Allende au Chili pour mettre en place Pinochet entre autres….

Les traumatismes du passé sont toujours là, et Catherine Bardon évoque très bien la difficulté de vivre parfois des enfants de déportés, des exilés, avec le syndrome du survivant. Lizzie en est un exemple particulièrement émouvant et éprouvant pour la famille, les drogues, notamment le LSD ne faisant pas bon ménage avec la santé mentale.

Dans ce troisième opus, on va voit arriver quelqu'un que l'on a bien connu dans « Les déracinés » et le passé est quand même toujours là, tapi dans l'ombre pour le bien comme pour le mal.

J'ai beaucoup aimé ce roman, et j'ai eu un grand plaisir à retrouver notamment Almah sa force de caractère, sa liberté d'esprit, son opiniâtreté. Les autres personnages sont moins attachants, mais je dois reconnaître que Ruth a bien évolué ; je l'avais trouvé irritante immature dans « l'Américaine », mais il n'est pas évident de trouver sa place quand la personnalité des parents est aussi forte. C'est plus simple pour son frère, Frederick, qui a repris la ferme.

Ce roman est comparable par son intensité et ses références à l'Histoire au premier tome qui reste quand même mon préféré, mais c'est dans un mouchoir de poche. Comme dans les précédents, l'auteure fait un clin d'oeil à Stefan Zweig

Un immense merci à NetGalley et aux éditions Les Escales pour m'avoir permis de déguster ce roman en avant-première. J'ai décidé d'acheter tous les romans qui m'ont été proposés pendant le confinement, afin de les offrir, ce sera ma modeste participation.

#Etlavierepritsoncours #NetGalleyFrance
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« El la vie reprit son cours »… et ma lecture se poursuivit avec ce troisième tome de cette saga familiale….
Ce fut encore divertissant, plaisant à lire, intéressant d' enrichir mon vocabulaire de mots hispano-dominicains, de voyager à travers ce pays qui partage avec Haïti l'île d'Hispanolia, de découvrir ses traditions, et je n'ai pas pu m'empêcher d'écouter plusieurs fois le Manicero (le vendeur de cacahuètes) en version originale, et celle interprétée par les Beatles.
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Cette saga en trois tomes captive pour la richesse des personnages qui l'habitent et pour la traversée historique qu'elle implique.

Almah et Wihlem Rosenbeck, chassés par les nazis dans le premier opus vont s'enraciner en République Dominicaine. Ruth leur fille deviendra durant quelques années "L'Américaine" puis "La vie reprit son cours" à Sosüa, toute la tribu réunie.

On y découvre la vie de 1967 à 1979 d'une communauté sous la dictature, l'amitié indéfectible des femmes de cette famille pour leurs amis qui vivent sur d'autres continents, Arturo le musicien, fils d'un planteur de tabac, incompris de sa famille, l'amour qui frappe à nouveau à la porte de Ruth et sa fille.

Le lecteur traverse L Histoire sur une dizaine d'années, au détour des vies d'Almah, Ruth, Fréderick son frère, Arturo son ami devenu New-Yorkais, Domingo le médecin, Lizzie, Svenka. Il traverse les évènements depuis les années Flower-Power Américaines à celles d'Israël avec les accords de Camp David, en passant par la dictature de République Dominicaine depuis Trujilho et son remplaçant tout aussi terrible en coulisses, le tout en musque avec Janis Joplin, Jimmy Hendrix et Otis Redding.

J'ai beaucoup aimé ce volet de la vie de Ruth après les années américaines, retrouvé la solide et volontaire Almah et découvrir sa petite-fille dans ce nouvel environnement. Une saga riche, sans temps morts, qui rend L Histoire plus humaine.

Des trois volets, mon préféré reste "Les Déracinés" mais cette suite, qui voit grandir Ruth, a la même densité que le premier tome sorti en pocket.

Un roman captivant qui ne s'abandonne à regret qu'à l'épilogue. Une saga à emporter avec soi cet été sans nul doute !


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Citations et extraits (36) Voir plus Ajouter une citation
Les rêves sont un langage. Ils ne sont ni divinatoires ni prémonitoires, ils ne font qu'essayer de te dire ce que tu n'oses pas encore t'avouer. Tout ce qui fait ton rêve est déjà en toi.
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Jérusalem, juillet 1967
Chère Almah,
Cette courte lettre pour te rassurer.
Une guerre de plus.
Il est donc écrit que nous ne vivrons jamais en paix. Nous aurions pu croire, après ce que nous avons traversé, particulièrement notre peuple, que le monde serait plus sage. Nous aurions tant aimé qu’il soit plus sage, comme nous aspirions si fort à la paix. Et nous allons de déception en déception. Plus que jamais je pense que la guerre est une fatalité et la paix une utopie.
Le pire c’est qu’ici les Israéliens sont euphoriques, malgré les horreurs commises dans les deux camps. Il y a eu un terrible pogrom à Tripoli et certains des 4 000 Juifs libyens sauvés par le Joint sont arrivés ici après avoir transité par l’Italie. Notre victoire est totale, notre supériorité avérée, le pays s’est agrandi de façon spectaculaire. Les images des soldats au Mur des lamentations tournent en boucle. Aux dires des politiques, Jérusalem est enfin libérée. Moi, je préfère dire réunifiée.
Mais à quel prix ? Plus de 20 000 vies, sans compter les dizaines de milliers de blessés, avons-nous le droit de nous en réjouir ? Je suis infiniment triste et j’ai honte. Entre libération et conquête, où est la vérité ?
Entre votre guerre et les nôtres, l’horreur n’en finit jamais. Parfois j’ai envie de me retirer dans un ashram et de vivre ce qui me reste de temps loin du tumulte des hommes. M’accompagnerais-tu ? Ce serait enfin notre repos des guerrières !
Je t’embrasse très fort, Almah,
en souhaitant nous voir bientôt réunies,
Svenja

P.-S. : Tu ne trouves pas que notre Moshe Dayan a l’air d’un pirate ?
Cette lettre qui suintait le découragement ne ressemblait pas à Svenja. L’écriture était hachée, les lignes se tordaient comme sous l’effet de la colère ou du chagrin. Seul le post-scriptum ressuscitait un peu son ancienne verve.
Almah était peinée pour son amie. Elle non plus n’approuvait pas la politique conquérante d’Israël, même si, par loyauté, elle la soutenait. Il y avait des combats justes, mais la politique était une affaire complexe dont les enjeux les dépassaient, et celle d’Israël plus encore. Une ride se creusa au milieu de son front qu’elle effaça en décidant de se concentrer sur les préparatifs de la fête à venir.
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INCIPIT
Prologue
Je tirai sur les rênes, un coup sec, et j’arrêtai mon cheval. Je pris une profonde inspiration, relâchai tous les muscles de mon corps. La vue, les parfums, les sons, c’était une symphonie pour les sens. Un instant parfait dans les couleurs pâles du petit matin de l’hiver caraïbe.
À l’aube de ce premier jour, je m’étais réveillée avec les lueurs du jour naissant. Dressée sur ses jambes potelées, agrippée aux barreaux de son petit lit de bois, Gaya jouait à l’ascenseur, enchaînant les flexions, une deux, une deux, en gazouillant. Je l’avais changée en vitesse, j’avais passé un pantalon, une chemise, enfilé une paire de bottes, serré ma fille contre moi dans son écharpe de portage, puis j’avais sellé un cheval.
Je m’étais arrêtée un instant avant de talonner ma monture. De notre ferme perchée au sommet de sa colline, on voyait les propriétés alentour et tout le village en contrebas, puis le regard filait vers la mer dont le turquoise encore incertain virait au bleu profond et se perdait au loin, butant contre l’azur du ciel.
C’était notre terrain de jeu, les champs, les pâturages, le village, la plage… C’est là où j’étais née, c’est là où j’avais grandi, c’est là où j’avais choisi de vivre. Chaque parcelle de mon âme appartenait à cette île. Je n’avais plus d’états d’âme, j’étais Ruth Rosenheck, j’étais née à Sosúa, j’étais dominicaine, je parlais l’espagnol, l’anglais et l’allemand et même quelques bribes d’hébreu, j’aimais les quatuors à cordes de Schubert et les merengues de Julio Alberto Hernández, je dansais la valse et la bachata, j’étais blanche, blonde et juive dans un pays de métis catholiques, j’avais des amis, éparpillés aux quatre coins du monde.
À regarder le paysage paisible du haut de la colline, le ciel bosselé de nuages douillets, le bétail essaimé dans les lomas ondulantes piquetées de cocotiers, la mer étale, déjà scintillante dans son écrin de sable blanc, le village endormi sous le soleil levant, on aurait pu croire que rien n’avait changé. J’aurais pu avoir l’illusion que je reprenais ma vie là où je l’avais laissée six ans auparavant. « Tu as ta propre vie à construire, loin des scories des nôtres », m’avait dit ma mère quand j’étais partie. Et voilà, j’étais de retour.

Un cri suraigu, comme seuls en émettent les tout petits enfants, accompagné d’une gesticulation désordonnée de petites jambes et de petits bras me vrilla les tympans et me ramena à la réalité. Gaya se manifestait.
L’illusion vola en éclats. Tout avait changé. Rien n’était plus comme avant. Mon frère s’était marié, la famille s’était agrandie, il avait deux enfants, j’en avais un.
Je posai un baiser sur le sommet du crâne finement duveté de noir, sur cet espace si fragile où une dépression à peine perceptible disait que Gaya n’était encore qu’un bébé. Je resserrai l’étreinte de mes jambes autour du ventre du cheval et enfonçai fermement mes talons dans ses flancs. Après quelques pas, ma monture prit le trot sur la piste poussiéreuse. Gaya laissa échapper de légers hoquets de pur ravissement. Ses petites mains battaient l’air, elle gloussait de plaisir à chaque soubresaut.
*
Je guidai le cheval dans l’étroite sente creusée dans la pierre corallienne qui descendait à la plage et l’arrêtai face à la mer. Elle était toujours là, la plage de mon enfance. Telle qu’en mon souvenir, immense bande de sable blanc en croissant, ombragée de raisiniers et d’amandiers, ourlée d’une eau transparente qu’un soleil triomphant ferait bientôt miroiter implacablement.
Sur ma droite, se dressaient les pilotillos, tout ce qui restait d’une ancienne jetée où s’amarraient autrefois les navires de la United Fruit Company pour charger leur cargaison de fruits tropicaux. La mer ne les avait pas épargnés. Rongés par l’érosion, ils me parurent désespérément petits. Les fières et hautes colonnes de mon enfance n’étaient plus que des piles incertaines, aux contours irréguliers, sapées par l’assaut permanent de la mer. Je reconnus les vieux bancs de béton du bañadero, haut lieu de la vie sociale, usés par des générations de fessiers, le grand álamo vigoureux dont les feuilles en décoction soulageaient de bien des maux, les massifs de coraux de la islita grouillant de vie sous-marine qui affleuraient au loin…
Sans que j’y prenne garde, les souvenirs commencèrent à déferler. Des émotions mêlées m’envahirent. Je sentis mon cœur se gonfler.
Je me souvenais.
Je chassai les images et je mis pied à terre, conduisant le cheval jusqu’à un amandier où j’attachai les rênes à une branche basse. Je me déchaussai et j’avançai jusqu’à l’eau. Le sable était encore frais de la nuit, une caresse. Gaya s’agitait, roucoulant de petits mots dans son sabir incompréhensible. Je dénouai l’écharpe qui la retenait prisonnière et la déposai sur le sable.
Sans réfléchir, je la déshabillai, et moi ensuite. Je n’avais pas prévu de maillots de bain, nous étions nues sur la plage. Je rattrapai Gaya, déjà dans l’eau jusqu’au cou, et entamai une danse tribale à grands coups de sauts et d’éclaboussures. C’était le bain le plus délicieux que j’avais pris depuis une éternité. Gaya riait, renversait sa tête en arrière et battait l’eau de ses menottes. Et m’échappa. Je la vis se débattre sous l’eau puis se calmer. Elle flottait juste sous la surface et… nageait, agitant lentement bras et jambes. Ma fille de deux ans nageait aussi naturellement qu’un de ces minuscules poissons colorés qui s’ébattaient autour de son corps aux contours rendus flous par ses mouvements. Elle s’ébroua pour reprendre sa respiration, je la rattrapai. Ma fille nageait, et j’y vis un signe, un bon signe.

Bien des années plus tard, quand Gaya me demanderait de lui raconter cette première chevauchée, je n’omettrais aucun détail, ses cheveux fins comme du duvet, le parfum de vanille de son cou, la chaleur de son petit corps contre mon ventre, ses minuscules menottes qui battaient l’air, son instinctive nage sous l’eau. Nous tomberions d’accord : cette première chevauchée, ce premier bain avaient décidé de sa destinée.
*
Nous reprîmes le chemin de la ferme. Mes cheveux dégoulinaient dans mon cou. Sur mes lèvres, un goût de sel. Je remontai par cette piste de terre qui avait eu raison de mon père quelques années plus tôt. Les clôtures des pâturages avaient été renforcées, c’étaient maintenant de hautes et solides palissades de bois sombre. Infranchissables par le bétail. Blottie au sommet de sa colline, la ferme semblait encore endormie.

J’aimais la beauté pure de la terre resplendissante, j’aimais cette lumière d’une limpidité sans pareille, j’aimais la puissance des couleurs crues, le jeu des formes aussi abondantes que tumultueuses, j’aimais l’air embaumant les multiples fragrances des tropiques, j’aimais ces paysages pleins de poésie enfantine…
En observant le spectacle de ce matin-là, je commençai à guérir d’un mal dont je ne savais même pas que j’avais souffert, le manque de mon île.

Je sentis une énergie incroyable m’animer. Je débordais d’un enthousiasme neuf que rien ne pourrait battre en brèche. J’avais des projets plein la tête, des projets qui s’étaient forgés au fil de ces six années passées entre les États-Unis et Israël, sans que j’en eusse véritablement conscience.
Remettre à flot le journal de mon père. En faire un quotidien digne de ce nom, qui compterait dans le panorama médiatique du pays.
Me faire un nom dans le journalisme.
Aider ma mère à développer sa fondation humanitaire.
Soutenir son projet fantaisiste avec Markus, cet atelier de menuiserie qui produisait des fauteuils Adirondack qui n’intéressaient personne.
Et surtout, je voulais offrir à ma fille une enfance de radeaux, de plongeons, d’explorations sous-marines, d’élevages de têtards, de chevauchées fantastiques, de cabanes dans les arbres… Oui, Je voulais que ma fille grandisse ici, dans cet endroit si paisible et si beau.
J’avais enfin reconnu notre place, c’étaient la terre, le ciel et la mer qui me le disaient.
Quand je franchis le portique de la finca Polka, je croisai Jacobo. Dans son fourreau de cuir, sa machette battait sa cuisse au rythme des pas de son mulet. Il leva la main et me décocha un grand sourire: «Hola amores, qué tal las princesas?»
Oui, nous étions les princesses de Sosúa.
Finalement rien n’avait changé.
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« La vie ce n’est pas d’attendre que les orages passent, c’est d’apprendre comment danser sous la pluie. »
Sénèque
Cité en introduction à la troisième partie du roman. Toujours actuel.
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Il se pencha vers moi et posa ses lèvres sur ma rotule. Une ventouse chaude et douce comme du velours. L'intérieur de ma cuisse se couvrit instantanément de chair de poule et je réprimai un frisson. Domingo détacha sa bouche de mon genou, lécha ma plaie minuscule et fit remonter lentement ses lèvres à l'intérieur de ma cuisse. C'était un baiser plein de tendresse et d'une sensualité si douce qu'il en était douloureux. Je sentis mon ventre prendre feu et un désir d'une violence inouïe déferla en moi. Je fermai les yeux. Doucement, je serrai la tête de Domingo entre mes mains et la gardai entre mes jambes. Il n'y eut rien de plus que cette caresse entre indécise qui s'éclairait d'une promesse secrète. Je respirais fort, je sentais son souffle chaud contre ma peau. Et je sus sans l'ombre d'un doute qu'il serait à moi. Je sus que j'aimais cet homme, que je l'aimais vraiment et que j'allais l'aimer de toutes mes forces, tout au long de ma vie. Je compris en un éclair que chaque moment passé loin de lui serait une souffrance.
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Vidéo de Catherine Bardon
"Tous ses livres sont puissants et vous emmènent à la rencontre de destins de femmes exceptionnelles." - Valérie Expert
- Une femme debout, de Catherine Bardon aux Éditions Les Escales. Le parcours hors du commun de Sonia Pierre, militante des droits humains, qui fit de sa vie un combat. Devenue avocate, elle luttera toute sa vie pour les droits des enfants nés de parents haïtiens sans existence légale en République dominicaine.
À retrouver sur lagriffenoire.com https://lagriffenoire.com/une-femme-debout.html
Et découvrez en poche : - La fille de l'ogre https://lagriffenoire.com/la-fille-de-l-ogre-1.html - Les déracinés https://lagriffenoire.com/les-deracines.html
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