Je remercie #NetGalley France et les éditions Plon pour l'envoi de cet essai de
Jonathan Curiel,
Vite !, sur « les nouvelles tyrannies de l'immédiat ou l'urgence de ralentir »…
Naturellement ces problématiques me parlaient et leur analyse m'intéressaient.
L'éditeur présente ainsi ce livre : « voyage haletant au coeur de la société de l'instant et de tous ses ressorts médiatiques,
Vite ! offre une réflexion puissante et originale, et dessine des voies de sortie de ces nouvelles tyrannies de l'immédiat.
Jonathan Curiel sait de quoi il parle, il est DGA des programmes de M6, W9, 6ter et fait partie de tous ces gens qui courent après le temps ! ».
Jonathan Curiel suit un plan très détaillé avec états de lieux, évolution des idées, dans les domaines de la politique, de l'entreprise, des modes de vie, des médias, de l'urgence médiatique, de la prédominance de l'instant présent… ; il évoque aussi les possibles réactions contre l'immédiateté absolue et le culte de la
vitesse…
J'ai retenu des paradoxes et parallèles intéressants : un degré de lenteur proportionnel à la mémoire et un degré de
vitesse directement proportionnel à l'intensité de l'oubli, les politiques de grands travaux des présidents Pompidou, Giscard, Mitterrand et Chirac et plus rien depuis
Sarkozy, Hollande et Macron, la mise en avant des valeurs fondamentales de l'Amérique par
Obama et la présidence désastreuse de Trump, la valorisation des actions visibles et quantitatives au détriment de projets plus solides sur le long terme, la non information des chaines en continu où l'actualité est répétée, disséquée avec gloutonnerie, la permanence inquiétante des états de crise…
J'ai retrouvé dans des allusions à des problématiques sociétales, à des hommes et femmes politiques, à des célébrités du monde de l'audiovisuel ou encore à des auteur(e)s, des analyses qui faisaient écho à mes propres ressentis ou réflexions : la culture de l'urgence du « style
Sarkozy » et son « hyper-présidence », les « couacs » dans la communication politique instantanée lors de la médiatisation des grandes affaires ou scandales divers, le débat autour du travail du dimanche, la marche rédemptrice de Kerviel à l'opposé de sa vie de trader, l'urgence et l'immédiateté banalisée dans les entreprises ou administrations (« c'est pour hier », « as soon as possible »), la performance avant tout comme critère d'évaluation, l'universalité de la concision du PowerPoint dans toutes les réunions ou présentations, le raccourcissement des temps de formation, la mobilité, les e-mails en flux continu, la
vitesse et la pression à l'origine des burn-out, l'obsolescence toujours plus rapidement programmée, le désengagement, la non prise en compte des enjeux écologiques…
J'ai beaucoup apprécié la manière dont
Jonathan Curiel parle du détournement du carpe diem en une sorte de présent éternel, dilaté, permettant de tout faire et de tout voir en allant toujours plus
vite. Ce culte de l'instant, dévalorise le passé et n'offre aucune projection dans le futur. Ce présent immédiat est un entre-deux stérile : c'était mieux avant et ce sera moins bien après, alors vivent les nouvelles sensations toujours plus fortes, des relations humaines expéditives, une instabilité généralisée, la multiplication des activités, une valorisation de l'over-booking…
Cette société de l'immédiateté crée des clivages entre ceux qui en ont les moyens et ceux qui ne les ont pas, entre les élites débordées et ultra connectées et ceux qui subissent d'autres formes d'urgence, sociales et économiques, territoriales ;
Jonathan Curiel rattache cette dichotomie au mouvement récent des Gilets jaunes.
Je me suis beaucoup intéressée à tout ce qui est en rapport avec les réseaux sociaux et les milieux littéraires et culturels, domaines qui me touchent plus particulièrement.
L'auteur a l'honnêteté de reconnaître qu'il est lui-même victime des « alertes » ou notifications diverses, qu'il consulte de manière anormale ses e-mails, qu'il passe trop de temps sur les réseaux ; cette confession le rapproche de ses lecteurs, crée une complicité. La connexion permanente nuit aux vraies découvertes et à toute forme de réel approfondissement… Notre esprit est sollicité en permanence : moi-même, bien souvent, quand je m'installe pour lire ou travailler sur mon ordinateur, j'ouvre Facebook et Instagram…
Certaines images sont très parlantes pour les réseaux sociaux : un fonctionnement comme un volcan, par éruptions successives, le vrai et le faux pas toujours hiérarchisés, l'émotion prédominante sur le fait, la culture médiatique du buzz…
Jonathan Curiel présente Facebook et Twitter par le prisme du don et du contre-don, dans un échange de bons procédés, de likes et de partages réciproques où, paradoxalement, chacun est isolé. Nous sommes tous et toutes conscients d'une vie par procuration, d'un enfermement volontaire, chronophage et addictif, pourtant censé créer du lien.
Jonathan Curiel consacre aussi un certain nombre de pages à la culture dans les médias…
En matière audiovisuelle, on note une nouvelle forme artistique, consommable dans l'instant, terrain privilégié de la représentation du mal : la série, avec ses personnages ambigus et complexes, souvent immoraux, évoluant dans une profonde insécurité. Tout peut y arriver, très
vite, à n'importe quel moment.
L'auteur explique avec brio le concept de « chouchous des médias », ces personnages publics qui, tels Fabrice Luchini ou
Gérard Depardieu (par exemple), imprévisibles et incontrôlables, prennent le pouvoir sur un plateau, font le show et dont la présence dope les émissions au point que les extraits où ils apparaissent seront repris en boucle après la diffusion des programmes. Il évoque aussi l'expansion du « stand-up » qui a changé les postures des nouveaux humoristes, contraints de déclencher des rires sans répit, sur un rythme rapide et soutenu ; personnellement, je comprends mieux pourquoi je reste fidèle à des gens comme
Raymond Devos ou
Guy Bedos, pour ne citer qu'eux… : aujourd'hui, pour être efficace, même le rire doit faire court !
En matière de littérature, aussi, il faut pouvoir lire
vite… Je déplore souvent la brièveté de certains nouveaux romans. Les écrivains sont formatés par et pour la machine médiatique. Pourtant, le livre est l'antonyme de la culture du
vite car il implique effort, volonté, patience. Évidemment, quand
Jonathan Curiel parle du nouvel apport des chroniqueurs et des influenceurs en tous genres, je m'attache de près à ses propos ! Et si, aujourd'hui, la consécration ne récompensait pas les meilleurs, mais plutôt les mieux armés médiatiquement, les plus à l'aise dans l'auto-célébration…
Le succès des ouvrages de développement personnel est révélateur d'un mal être identitaire, des dégâts provoqués par notre société de l'instant et de l'immédiat.
Si j'ai pu trouver ce livre un peu long, peiner sur quelques redites, je reconnais sa clarté et son ancrage (et encrage) dans des réalités que nous connaissons et vivons au quotidien, de solides références politiques, médiatiques et littéraires et une vision pluridisciplinaire quantitative et qualitative.
Certains passages sont particulièrement didactiques. Ainsi, la chronologie en chaine de la crise financière historique de 2008, entre le 22 janvier et le 5 décembre, est une admirable illustration des prises de décisions à grande
vitesse.
Chaque lecteur ou lectrice y trouvera des références plus ou moins en phase avec son propre univers… J'ai souri au « Winter is coming » de Game of Thrones pour illustrer la prophétie « auto-réalisatrice » des catastrophes, j'ai opiné à la métaphore de Sisyphe et son rocher pour parler de la pression au travail… J'ai découvert « La Fable des abeilles de Mandeville », repensé à l'allégorie du garçon de café dans L'Être et le Néant de
Sartre et à «
L'Albatros » de
Baudelaire… Enfin, je me retrouve dans la Philosophie de la marche de
Frédéric Gros…
Enfin, tout n'est pas négatif dans la notion d'urgence, qui peut aussi se montrer comme source d'opportunités et de spontanéité favorable à la créati
vité, à
l'imagination ou encore à l'improvisation. Les jeunes générations, à travers les enjeux écologiques et environnementaux, proposent une immédiateté raisonnée et consciente, un ralentissement à l'échelle individuelle et collective…
J'ai passé un temps inhabituellement long à lire ce livre, annotant et surlignant beaucoup… J'ai même été relancée par l'éditeur à qui j'ai répondu que, pour tout ce qui s'apparente à un service de presse, je lis les livres plus ou moins dans l'ordre d'arrivée ou de demande, que tout est lu et fait l'objet d'une chronique sur ma page Facebook et, le cas échéant, sur NetGalley et ici où là sur les réseaux et que je le remerciais, par avance, de sa patience.
Décidemment, l'injonction d'aller
vite me concernait aussi mais ne m'a pas empêché de faire à mon idée et à ma façon. J'ai consacré beaucoup de temps à la lecture de cet essai et à la rédaction de cette chronique ; je ne peux m'empêcher de penser que certains de mes abonnés vont la « liker » sans la lire, juste au vu de la photo du livre… J'aimerais que celles et ceux qui me liront jusqu'au bout mettent « lu » en commentaire (ou plus), juste pour voir ; Soyez rassurés, je ne vous en voudrai pas si vous allez trop
vite et il n'y a rien à gagner, si ce n'est un peu de temps partagé.
Une lecture très intéressante, plus laborieuse qu'haletante, mais propice à la réflexion pour « s'extraire de l'urgence, faire baisser la pression de la
vitesse, s'imposer une certaine déconnexion, retrouver le sens du temps long et le goût de la lenteur ».
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