Bertha glisse.
Et tombe.
Pas une, pas deux fois. Peut-être sept, comme la légende le veut. Une femme tombe sept fois. Se relève six.
La dernière fois, c'est à l'église que Bertha glisse. Sa tête percute le sol. Très fort. Et Bertha se relève, tout va bien, Bertha chantonne, Bertha sourit, Bertha aime. Décidément, c'est ce qu'elle aura fait de mieux, toute sa vie, aimer.
Quelques heures plus tard, Bertha meurt.
C'est peu de choses, finalement.
Un fracas, une fracture. Mais dans nos coeurs tout ça, simplement dans nos coeurs.
Parce que c'est peu de choses devant une vie entière, une vie pleine d'énergie du désespoir, la seule que je comprends. La seule qui, je le crois, nous sera commune jusqu'au bout.
Rodney Saint-Eloi vous présente Bertha. J'aurais pu dire vous présente sa mère, mais c'est faux. Dans la forme même, c'est faux. Il dit Bertha, il parle d'une femme, d'une amoureuse, d'une fille. D'une femme noire.
Elle va tout donner.
Aux hommes.
Aux enfants.
Avec une beauté et une justesse rares.
Et puis l'exil, bien sûr.
Comment dire à ses enfants, comment leur apprendre que la couleur de leur peau les condamne ? Sans bruit. Sans crime.
J'ai été particulièrement touchée par ces souvenirs en désordre, voici comme ils reviennent, n'importe comment, mais c'est n'importe comment une vie. Percutant et émouvant.
J'ai été parfaitement incapable de ne pas aimer Bertha. Ses mots. Sa volonté. Sa peau.
C'est en équilibre sur cette belle plume poétique, là, juste au-dessus de l'abîme, que la femme se dévoile.
C'est au-delà d'un cri d'amour d'un homme à sa mère.
C'est un cri d'amour aux femmes.
A nos racines. Celles qu'on porte et celles qu'on romp.