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EAN : 9782266322171
128 pages
Pocket (07/04/2022)
3.88/5   43 notes
Résumé :
L’ île de Staten Island, à New York, a hébergé de 1948 à 2001 ce qui devint peu à peu l’une des plus grandes décharges à ciel ouvert du monde. Aujourd’hui, le site de Freshkills se transforme en un parc verdoyant, parmi les plus grands de New York, construit au-dessus des déchets enfouis.

Dans ce récit-documentaire à la croisée des genres, Lucie Taïeb remonte aux origines de cette décharge de Babel pour "penser le problème de manière poétique" et comp... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (18) Voir plus Ajouter une critique
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Avant toute chose, je remercie Babelio et les éditions Pocket pour cet envoi, que j'ai beaucoup apprécié.
Durant près de 50 ans, de 1948 à 2001, l'île de Staten Island, à New York a accueilli des tonnes de déchets au point de devenir une des plus grandes décharges à ciel ouvert du monde.
Mais désormais, tout a changé, et actuellement cet endroit est en train de devenir un parc gigantesque, un parc qui va prendre racine sur des tas d'immondices, lesquels vont être traités afin de les rendre sains, si cela est seulement possible.
L'auteure se passionne pour le sujet des décharges, elle s'intéresse à ce que l'on nomme rebuts, ordures, immondices, détritus, débris et autres cochonneries, elle se passionne pour tout ce qui est usé, abimé, cassé, détruit, à ce qui ne sert plus, à ce qu'on ne veut plus avoir sous les yeux, bref, elle s'interroge sur ce qu'on jette et le devenir de ces rebuts, en clair sur le pourquoi et le comment.
Cet ouvrage est le récit de sa visite sur ce site, en 2015, et elle s'interroge également sur la notion même de « rebuts », elle fait un parallèle entre les objets jetés et ceux qui vivent en marge de la société, et elle questionne aussi la toxicité du lieu, un lieu amené à accueillir du public et à être l'habitat d'une faune et d'une flore abondante.
L'ouvrage est court et passionnant, mais j'aurais aimé en savoir plus sur la transformation de cette île, la partie consacrée à la réhabilitation du lieu est assez succincte.
J'ai trouvé pertinente cette réflexion sur l'avenir des décharges et sur notre façon de traiter les objets dont on n'a plus l'usage.
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C'est en lisant « Outremonde» de Don DeLillo que Lucie Taïeb, maître de conférences en études germaniques à Rennes, découvre Fresh Kills et s'intéresse à la représentation et la place des déchets dans nos sociétés contemporaines.
Fresh Kills, sur l'île de Staten Island à New York, a hébergé la plus grande décharge à ciel ouvert du monde de 1948 à 2001, visible depuis l'espace comme la muraille de Chine : 29 000 tonnes de déchets par jour pendant 50 ans. Une réouverture au moment des attentats du World Trade Center : où mettre les tonnes de gravats et de poussière «auxquelles se mêlent les restes des victimes» sinon, là-bas ?
Sur place, l'odeur est insupportable : entre le supermarché et la voiture, les gens courent un mouchoir sur le nez. le taux d'hydrogène sulfuré dans l'air (vous savez, l'odeur d'oeuf pourri) est tel qu'il pourrait entraîner des maladies ou la mort. Bref, la situation est cauchemardesque et le site ferme donc. Quid des déchets ? Ils déménagent, en Caroline du Sud.
Les anciennes déchetteries transformées en parcs sont nombreuses : Central Park, les Buttes-Chaumont et le Parc Montsouris pour Paris, la Colline aux oiseaux pour la ville de Caen et tant d'autres…
Autant de cadavres dans le placard…
Et pourtant comme l'écrit DeLillo : «Rien n'est plus invisible que ce qui s'offre au regard de tous.» Parce que, oui, bien sûr, ces amoncellements d'ordures ont été joliment recouverts et transformés en parcs où tout est très bien pensé, bien réinvesti, un modèle en matière écologique... 
À défaut d'aller voir ce qu'ils ont fait de Fresh Kills (devenu Freshkills Park -ah, le rôle essentiel de la com' !), je suis allée arpenter la Colline aux oiseaux près de chez moi (ce charmant nom très poétique vient du fait que les ordures attiraient les mouettes très voraces…) Au printemps, c'est joli, très fleuri, les gens se promènent, pique-niquent, les enfants jouent. On entend des rires. Tout est propre, bien aménagé… On sent la volonté de se rattraper d'une certaine façon : partout des poubelles à tri, des panneaux qui montrent ce qu'était ce lieu avant, une coupe de terrain où l'on voit ce qui se cache sous les plates-bandes fleuries, une « maison positive » qui est un lieu d'accueil pédagogique. J'ai senti une certaine honnêteté dans tout ça, ici les choses sont dites. Mais comment va-t-on transformer Fresh Kills, à quoi va ressembler le plus grand parc new-yorkais à son ouverture en 2036 ? Oublie-t-on le passé ? Comment vit-on en sachant ce qu'il y a eu avant, ce qu'il y a au-dessous, caché, soustrait à la vue, invibilisé ? Est-il possible de faire comme si on ne savait pas ? Présence en profondeur, absence en surface. Ne vit-on qu'en surface ? Comment ça se passe dans nos têtes quand on fait en sorte de ne vivre qu'en surface ?
Quand je pose la question à mes enfants qui ne connaissent Caen que depuis qu'ils sont étudiants, ils ne voient pas le problème. Ils aiment aller marcher, se promener, courir sur la Colline aux oiseaux. Ils disent que je cherche la petite bête, que c'est une belle réhabilitation et que c'est bien là l'essentiel, non ? J'aimerais avoir leur légèreté, leur insouciance, cette capacité qu'ils ont à ne rien voir et qui frôle parfois l'inconscience. Je les fais suer quand je leur exprime mon inquiétude, quand je leur dis que je n'ai pas pu aimer La Colline aux oiseaux, que, malgré les belles plantations et l'abondance de la végétation, je n'y ai vu qu'artifice et camouflage, leurre et illusion. Non, je n'ai pas pu aimer La Colline aux oiseaux et le pire dans tout ça, c'est que cette impression, ce malaise qui s'est emparé de moi tandis que j'arpentais ce parc, eh bien, tout cela s'est comme déversé sur la ville tout entière où je suis allée faire quelques courses ensuite. Pourtant j'aime Caen, mais ce jour-là, je n'ai eu qu'une hâte : repartir dans ma campagne, pour qu'elle me console du faux, de l'illusion, du mensonge. J'avais l'impression, comme le dit l'autrice, de vivre « dans un semblant de monde, dans des villes souillées de sang, de cendres, des villes qui puent la mort sous leurs pelouses artificielles, leurs espaces végétalisés, qui puent la destruction et la souffrance, le double langage et l'aveuglement.»
Je ne vous cache pas que ce livre m'a beaucoup touchée et qu'il n'a fait que renforcer l'impression que j'ai que l'on va dans le mur : tout le monde veut profiter (et quand le déconfinement va avoir lieu, je crains le déchaînement des passions qui va forcément se traduire par une consommation excessive.) Les gens vont vouloir oublier et je les comprends. Or, notre planète ne peut plus, au moment même où chacun veut consommer plus de viande, acheter plus de vêtements, voir plus de pays. Il faut être sage pour résister à tout cela. Et nous ne le sommes pas (et peut-être même le sommes-nous de moins en moins…) Et puis, notre économie va avoir besoin d'un vrai coup de fouet, il faut que l'indice de confiance reparte à la hausse, que les gens travaillent et donc que l'on consomme. Cercle infernal. Comment en sortir ? Est-ce possible sans revoir en profondeur nos modes de vie ? Qui est prêt à le faire ?
Bon, mes inquiétudes et mes interrogations m'ont un peu éloignée de ce retour de lecture, mais pas tant que ça finalement. Il faut lire ce texte de Lucie Taïeb parce qu'il est porteur d'un message essentiel mais aussi parce qu'il est littérairement beau, puissant, envoûtant. On vit avec, on le porte en soi et pour longtemps, je pense…
Je n'aime pas dire « incontournable » mais là je le dis quand même.
Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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🥀Ce que j'ai ressenti:

Au commencement était la Terre…Puis vint les hommes…Et les détritus envahirent les espaces. La tristesse étant de constater les montagnes de détritus qui s'accumulent…La décharge de Fresh Kills est une nuisance pestilentielle, visuelle, réelle. C'est une nuisance que certains préfèrent invisibiliser, ignorer, dissimuler. C'est un problème dans la mesure où non seulement, cela provoque et perpétue une catastrophe écologique mais aussi, pose la question du positionnement politique, philosophique, et culturel du traitement des déchets au sein de notre société. le constat est alarmant. Je ne pensais pas être aussi affectée par la lecture de cet essai. Peut-être parce que je n'y avais pas encore réfléchi, qu'on ne m'y avait pas mis le nez dedans ou que je n'avais pas conscience de la place qu'occupait les ordures sur notre terre. On parle beaucoup de recyclage, de tri, ou de transformation, mais où va ce qui n'est plus utilisable de quelque manière, que ce soit?
Lucie Taïeb attire notre attention sur l'île de Staten Island, et plus particulièrement sur la décharge de Fresh Kills qui va devenir d'ici 2036, un parc renommé pour l'occasion FreshKills. Il y a voir et voir, décider de voir ou d'ignorer sciemment. Il y a voir et décider de cacher sous la surface, le problème, comme si l'hypocrisie et le camouflage était la solution. C'est ahurissant, en fait. J'ai beaucoup aimé la corrélation que l'autrice fait entre le traitement de nos déchets, les personnes en marge, le recyclage. Ça nous laisse un temps précieux pour méditer sur nos hantises, nos cauchemars, nos morts, nos espoirs, nos mémoires et nos peurs qui sont, somme toute, intrinsèques... Je vous le dis, mais peut-être que je vais spoiler un peu, mais en étant hypersensible et mon sens le plus développé étant l'odorat: ça pue. Ça pue vraiment, et ce n'est pas prêt de s'améliorer…
Je vous recommande la lecture de cette Révélation Pocket!
Lien : https://fairystelphique.word..
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« Freshkills » est un petit livre, initialement paru au Québec (2015, Editions Varia, 111 p.), puis en France (2020, La Contre Allée, 141 p.). Sachant que les dimensions des deux ouvrages sont respectivement (19 x 12.7 x 1) et (19.1 x 13.6 x 1.4) et donc que l'édition française est plus volumineuse avec plus de pages, comment se fait-il que les équations qui illustrent l'« Axiome de l'insuffisance respiratoire » dans « peuplié » (2019, Lanskine, 136 p.). , de la même auteur et cartouche d'encre ne donnent pas la solution à ce problème d'indice de masse corporelle du livre qui m'obsède. (Entre parenthèse dans cette illustration, il y a un du3/dx en bas à droite qui n'est pas homogène, ce qui induit des erreurs en boucle dans les courbes plus haut à gauche, en particulier sur les minimaux locaux des 3 courbes en YX). Mais bon, passons Lucie Taieb est en lettres modernes, allemand et autrichien, à l'Université de Brest en plus). On lui excusera donc ces confusions entres alphabets latin et grec, et des traductions quelquefois fantaisistes de Google en bas breton.)

Pour en revenir à Freshkills, c'était une gigantesque décharge au sud de Manhattan, sur 890 hectares et une trentaine de mètres de haut. Ouverte en 1948, et fermée en 1997. Il a fallu la re-ouvrir pour y entreposer les débris des attentats du 11 septembre 2001 de ce qui était « Ground Zero ». Depuis, des milliers de fragments humains ont été récupérés, mais seules environ 300 personnes ont pu être formellement identifiées. A terme, le parc hébergera des installations sportives, des salles de spectacles et des sentiers de promenade. Sous terre, les déchets libèrent leur quantité de gaz divers, dont du méthane, le tout est récupéré et traité. Un premier ouvrage de Don DeLillo est paru en 1997 sur le sujet. « Underworld » traduit en français par Marianne Véron sous le titre « Outremonde » (1999, Actes Sud, 912 p.). le livre de Lucie Taieb est donc plus tardif.

Alors que faire de nos ordures, déchets et restes de catastrophes ? Tout commence à Berlin, dans un site sur « les dossiers de demandes d'indemnisation des descendants ou des proches parents de victimes juives de spoliation durant la Seconde Guerre mondiale ». Un vaste bric à brac de ce qui reste des biens spoliés, mais le régime allemand fait que tout est soigneusement étiqueté. A côté, aux « abords de la Postdamer Platz, je vois pour la première fois, sans savoir de quoi il s'agit, ce chantier qui m'intrigue, de la terre et des stèles ; il ne s'agit pas d'un cimetière, mais ce sont bien des stèles, sur un périmètre assez vaste, encore interdit au public ». Il s'agit de la construction d'un mémorial. « Cimetière sans morts, ces plaques sans noms, ce neuf, à partir de quoi ? ». Puis les années passent le mémorial est achevé. « Sur les stèles, des petits cailloux ». C'est la coutume, il n'y a qu'à visiter le vieux cimetière juif de Prague pour voir que la tradition se perpétue. Ce qui choque, c'est que les débris, y compris humains du 11 septembre, ont fini en décharge. Et les fosses communes de Katyń ou celles de la Kolyma, où même pas un registre fait état des disparus. Aux Etats Unis, que sont devenus les rescapés de Wounded Knee. Heureusement que William T Vollmann a écrit « The Dying Grass : A Novel of the Nez Perce War » dans sa grande anthologie des « Seven Dreams ». Les Sept Rêves qui ont fondé l'Amérique actuelle. La poursuite, après la défaite des indiens de Little Big Horn, à travers l'Oregon et tout le Montana entre Chef Joseph et le General Oliver Otis Howard. Ce dernier, vétéran de la guerre de Sécession, profondément chrétien, affligé et tourmenté. On le serait à moins. Des listes et des objets qui restent. Tout comme ces montagnes de chaussures ou de lunettes de Mauthausen ou d'Oswiecim.

Ces accumulations et la proximité de Staten Island avec Ellis Island au sud du Manhattan des touristes m'ont interpelé. Je n'ai pas voulu aller visiter, en voyeur, les restes de Ellis Island. Par contre j'ai visité les locaux de Halifax Pier 21, le Musée canadien de l'immigration. L'équivalent de Ellis Island. Un matin où une très grosse pluie s'est abattue sur la ville. Là aussi, il y avait des restes des bagages des émigrants, des différentes vagues d'émigrants, italiens du sud, juifs d'Autriche-Allemagne, français d'après-guerre, serbes et croates. Qui, avec une valise, ou une malle, qui sans rien que leur volonté de changer de vie. Avant la visite, il y avait un petit film. de propagande, il est vrai. Qui commençait par ces termes « Vous êtes sur un trottoir, on vous bouscule et vous demande pardon : Vous êtes au Canada ». Ce qui est globalement vrai. Puis des exemples de ces migrants qui sont arrivés avec leur peu de bagages, et qui exprimaient pourquoi ils venaient. Pour une vie meilleure, bien entendue, financière, libre, tolérante. Pour avoir, enfin, des droits. Mais ce qu'ils disaient aussi. En échange de « ces droits », ils acceptaient également « les devoirs ». Retour sur la séquence de début et les excuses sur le trottoir.

Retour à Freshkills et son sous-titre « Recycler la terre ». Reconstruire, recycler, conserver, mémorialiser. Que penser, alors, des déconstructions de bateaux sur les rivages du Pakistan ou de l'Inde. Gigantesques usines à ciel ouvert dans lesquelles les ouvriers découpent, trient et recyclent la ferraille, les câblages et les décors de tout ce qui se trouve dans un navire. Conditions de travail ou sanitaires déplorables ou inexistantes. Salaires en proportion. Et que dire des barges de déchets que l'on envoie traiter en Afrique. Traiter du sujet de façon poétique, certes, n'est-ce pas une façon, aseptisée de recycler la parole ou « dévoiler la vanité de la parole creuse ». Est-ce pour cela, c'est-à-dire destiné « à la relégation de ce qu'on ne veut pas voir ni prendre en considération » qu'il suffit de créer le mot « hétérotopies ». C'est un peu mettre la poussière sous le tapis.
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Lorsqu'on se rend à New York, Fresh Kills n'est pas du tout au programme touristique ! Lorsque j'y suis allée il y a deux ans, il est vrai que j'avais noté les nombreux sacs poubelles jonchant les trottoirs. Je n'ai pas poussé la réflexion jusqu'à me demander où tous ces déchets pouvaient bien finir….Jusqu'en 2001, il atterrissaient pas loin de Manhattan, à Staten Island. le site de Fresh Kills, est devenu la plus grande décharge à ciel ouvert du monde, recueillant 29 000 tonnes d'ordures par jour ! New York, ou l'illusion d'une ville propre…alors que des montagnes de détritus s'accumulaient depuis 1947 dans ce borough excentré, loin des regards.

Lucie Taïeb nous propose un récit incroyable. Un documentaire riche et détaillé. Elle relate l'histoire de la décharge, le fait qu'elle aura recueilli les décombres du World Trade Center en 2001 avant sa fermeture définitive et sa réhabilitation. Fresh Kills s'est transformée en FreshKills Park, plus grand parc public de New York. A terme, en 2036, ce nouveau poumon vert sera trois fois plus grand que Central Park.

Les déchets des new yorkais sont maintenant exportés jusqu'en Caroline du Sud. L'art de cacher ce que l'on ne veut pas voir…D'autant que si le visage de Fresh Kills a changé pour devenir vert, les tonnes de déchets subsistent toujours en sous-sol. Une aberration écologique !

J'ai adoré cet ouvrage, les enjeux sont bien définis, Lucie met le doigt sur notre rapport aux déchets, nous met face à nos contradictions, notre irresponsabilité, notre ignorance mais également face à notre volonté de tenir compte des impacts de notre mode de vie sur l'environnement.

« Sa négligence ne nuit pas à cette « nature » substantialisée qui a, depuis bien longtemps, cessé d'être. Elle égratigne simplement l'image que nous aimons entretenir de nous-même, citoyens respectueux de leur environnement, qui voulons à tout prix garder les mains propres, laissant à d'autres acteurs, clairement identifiés sous le nom de « multinationales », le soin de saigner la terre et de semer la guerre pour garantir la satisfaction de nos besoins les plus fondamentaux. »

La seule chose que j'aurai aimé trouvé entre les pages de ce livre est une étude plus approfondie sur l'impact environnemental, aussi bien pour les habitants de Staten Island, qui ont dû supporter cette décharge quasiment sous leurs fenêtres, mais également pour les générations futures, qui viendront pique-niquer sur une herbe, certes verte, mais ayant poussé sur les déchets toujours présents en sous-sol. La pollution des sols est très peu abordée, pourtant, avec les décombres du WTC qui y sont encore, j'imagine que amiante, benzène, mercure, PCB et autres joyeusetés ont la part belle.

Ah et Inutile de se dire que le cas est unique, que l'on a là un bel exemple du consumérisme à l'américaine, car le problème existe ailleurs, et en France également.

« Parmi les photos que je n'ai pas prises aujourd'hui : un homme endormi sur une chaise de bureau, sur le trottoir, deux grands sacs poubelles noirs posés à côté de lui. L'image n'aurait rien dit de plus que ce qu'hélas nous savons déjà : d'un côté ceux qui avancent, et de l'autre le bord du trottoir. Entre le bon et le mauvais côté, la frontière est parfois floue, car l'espace urbain n'est pas homogène. »

Lucie va visiter le site en pleine restructuration, en 2015. J'ai été scotchée par ce passage ! Il met en avant toute l'absurdité du projet : des plantes vont pousser sur un substrat de déchets. Alors, oui, les oiseaux sont de retour sur le site, ce qui est une excellente nouvelle, mais que dire de cet ertsatz de nature soi-disant « retrouvée » ?

La plume de Lucie est fluide, précise, nette. La narration à la première personne accentue le malaise ressenti tout au long de cette lecture. Car le constat de Lucie est sans appel et donne des sueurs froides. La surconsommation transforme inéluctablement notre planète en immense décharge.

Un livre qui permet d'ouvrir la réflexion, de se questionner sur notre façon de vivre, sur notre relation avec nos déchets. Pour aller plus loin. A la suite de cette lecture, j'ai passé des heures sur internet à faire des recherches pour trouver ce qu'il m'a manqué dans « Freshkills » : approfondir.

Une lecture que je conseille à tous, essentielle. Même si elle m'a laissé un goût amer…

« Au terminal du ferry, après la visite du parc, je retrouve par hasard M., et nous faisons la traversée ensemble. Elle me redit combien Staten Island a souffert de la décharge, elle me rappelle ce nom de forgotten borough, l'arrondissement oublié. Ce nom me reviendra le jour suivant lorsque, depuis le pont de Brooklyn, sous un ciel bas et lourd, derrière la statue de la Liberté, derrière l'île du gouverneur, je l'aperçois confusément, île perdue dans la brume, aux contours indistincts, plus irréelle encore que ne l'était Manhattan vu du sommet du mont nord. »

Je remercie la Masse Critique de Babélio et les Éditions Pocket pour cette lecture.

#Pocket #LucieTaleb #Freshkills
Lien : https://soniaboulimiquedesli..
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critiques presse (1)
Actualitte
26 mai 2021
Ce n'est pas vraiment ce à quoi on pouvait s'attendre à la lecture du sous-titre de son ouvrage « recycler la terre ». Tout un programme à côté duquel on est passé : dommage !
Lire la critique sur le site : Actualitte
Citations et extraits (12) Voir plus Ajouter une citation
Depuis longtemps cependant nous taraude le doute de notre propre existence. Nous sommes morts et nous errons, nous cherchons la délivrance et ne la trouvons pas. Comment ignorer qu'à force de ne pas voir, littéralement, que nous avons fait et faisons allégeance à l'ordre qui nous alimente et nous donne une place, nous oublions le prix à payer lorsque l'on vit la conscience divisée ? Il y a l'île, de l'autre côté, la zone sacrificiée, celle qui accueille, celle qui traite, celle qui crève sous les émissions toxiques, celle où le cancer s'attrape comme la grippe. Et ici il y a nous, nos gestes qui sauvent, notre amabilité, nos loisirs intelligents et, bien souvent, notre inquiétude. Il y a nous, et c'est nous qui sommes séparés. Il y a nous, et nous vivons aussi, dans une enclave : dans un semblant de monde, dans des villes souillées de sang, de cendres, des villes qui puent la mort sous leurs pelouses artificielles, leurs espaces végétalisés, qui puent la destruction et la souffrance, le double langage et l'aveuglement.
À quoi servent, pourtant, ces gestes appliqués - jeter nos détritus, bien trier nos déchets -, ces petites cérémonies quotidiennes d'enfants obéissants qui ne veulent pas se faire gronder ? Faisons-nous réellement notre part du travail en nous contentant de laisser un espace vert dans l'état exact où nous l'avons trouvé ?
Car enfin, il n'y a nul héroïsme à trier correctement, et celui qui oublie son sac en plastique dans une aire de pique-nique ne détruit pas la planète, n'abîme pas la nature. Il empêche simplement tous les autres de croire qu'ils vivent dans un monde où le déchet serait maîtrisé, où la consommation de masse ne serait pas un problème. Sa négligence ne nuit pas à cette « nature » substantialisée qui a, depuis bien longtemps, cessé d'être. Elle égratigne seulement l'image que nous aimons entretenir de nous-mêmes, citoyens respectueux de leur environnement, qui voulons garder à tout prix les mains propres, laissant à d'autres acteurs, clairement identifiés sous le nom de « multinationales », le soin de saigner la terre et de semer la guerre pour garantir la satisfaction de nos besoins fondamentaux. Il faudra, pour finir, que se déchire le discours public injonctif, qui ne sert qu'à faciliter le processus économique de recyclage et le management commercial des déchets ménagers. Apparaissent alors les 98.5% de déchets restants, cette masse incommensurable et toxique produite par nos industries, mais aussi la pollution invisible qui contamine jusqu'à nos propres organismes. Bref, on parvient à envisager ces questions à travers un autre prisme que celui de la responsabilité individuelle et des ordures ménagères, on entrevoit l'ampleur du problème et la logique qui prévaut, de l'extraction des matières premières aux flux des déchets externalisés.
Un voile peut se déchirer, puis un autre, puis encore un autre. Les voiles qui se déchirent ne réparent rien, ne restituent pas à l'espace clivé sa continuité. Les voiles qui se déchirent n'apportent aucune satisfaction, et la plus absurde serait de croire que l'on a atteint quelque chose. La mort continue de rôder en nous, autour de nous. Le faux sourire continue de régner sur la face béate de notre monde creux. L'hémorragie ne s'atténue pas d'une goutte, simplement, désormais, nous savons : nous avons, nous aussi, les mains sales. Et la tache n'est pas près de partir.
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C’est à Berlin que cette histoire commence, comme peut-être commencent désormais à Berlin toutes les histoires de ruine, de hantise et d’oubli. Nous sommes au tout début du XXIe siècle et je travaille, presque par hasard, au sein d’une commission qui recherche, dans les archives berlinoises, les dossiers de demandes d’indemnisation des descendants ou des proches parents de victimes juives de spoliation durant la Seconde Guerre mondiale. Je lis les dossiers et les descriptions des objets perdus : les souvenirs d’appartements et de commerces, les machines à coudre, l’horloge, le manteau, le nom de mon père, celui de ma grand-mère, ma tante et je l’aimais, il ne me reste plus rien d’eux. Je lis les calculs établis par l’administration allemande, les réponses ; le langage des uns n’est pas celui des autres, la réponse ne répond jamais à la demande, et dans cet écart grandit mon malaise, celui de nous tous qui travaillons ici, équipe d’étudiants franco-allemands réunis par une jeune sociologue aux vues éclairées. Lorsque je ne suis pas au « bureau », j’erre beaucoup dans cette grande ville qui s’y prête terriblement.
Aux abords de la Postdamer Platz, je vois pour la première fois, sans savoir de quoi il s’agit, ce chantier qui m’intrigue, de la terre et des stèles ; il ne s’agit pas d’un cimetière, mais ce sont bien des stèles, sur un périmètre assez vaste, encore interdit au public. Quelle impression étrange que ce cimetière sans morts, ces plaques sans noms, ce neuf, à partir de quoi ? J’apprends incidemment qu’un mémorial se prépare. Et l’idée me semble plus incongrue encore, à deux pas de cette place en chantier elle aussi, et qui ressemble, pour ce que j’en vois d’achevé, à une maquette grandeur nature, à une incarnation neutre du toc, où résonne, dans toutes ses nuances, l’adjectif « construit ».
Confrontée, jour après jour, au plus concret de la disparition, celle des corps et des objets (un forfait de quelques centaines de Deutsche Marks s’ajoute systématiquement à l’indemnisation, quand celle-ci a lieu ; c’est le montant moyen des « dernières possessions », ce que contenait la valise, ce que portaient les personnes sur elles avant d’être tuées), je doute qu’un mémorial, circonscrit dans un espace aussi passant, aussi peu propice au recueillement, puisse avoir l’effet escompté. Et quel effet, d’ailleurs ?
Lorsque je retourne à Berlin, quelques années plus tard, le mémorial est achevé, et mon scepticisme s’adoucit un peu, pour deux raisons : j’ai vu, sur les stèles, des petits cailloux. C’est le geste que l’on fait dans les cimetières juifs : on pose une petite pierre sur la tombe. Des gens sont venus et ils ont eu ce geste pour ces stèles qui, par là même, parce que reconnues comme telles, perdent leur artificialité, deviennent espace de recueillement.
L’autre raison, c’est que le monument n’a pas de limite fixe. Il se compose de rangées de stèles de hauteur variable ; au fur et à mesure que l’on s’approche du bord, les stèles sont de plus en plus basses, jusqu’à ce qu’elles ne soient plus que rectangles visibles sur le sol, rectangles qui se retrouvent encore, dispersés, aux abords du mémorial. Il n’y a ni entrée ni sortie, et ces marques au sol, qui dépassent des limites qu’on voudrait assigner au lieu, font signe vers l’extérieur, comme si, véritablement, la ville entière (le pays, le continent) portait, invisibles, ces tombes vides. Je pense au mémorial comme à un épicentre, à un espace dynamique où se matérialise un tremblement, une inquiétude de mémoire qui, lorsque l’on s’en éloigne, nous accompagnerait, nous ferait voir, dans toute la ville (le pays, le continent), ces tombes absentes, ce cimetière fantôme. Je finis par me consacrer à cette question qui me travaille. Une thèse, cinq ans.
Au lendemain de la soutenance, je tourne une page. Alors que tout tendait à ce que je me « spécialise », je prolonge, plus ou moins à contre-cœur, cette recherche par des articles connexes, puis plus rien.
Quelques années passent et une nouvelle question prend forme, qui me fascine. Je me retrouve, en apparence, complètement ailleurs. En apparence seulement, car c’est de nouveau un lieu que je veux explorer, c’est de nouveau une présence invisible qui me préoccupe, m’inquiète, me hante. Seulement, ce lieu, c’est une décharge, celle de Fresh Kills, telle qu’elle apparaît terrifiante et majestueuse, dans Outremonde, de Don DeLillo.
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Si je lève les yeux du roman de Don DeLillo, c’est pour les plonger dans d’autres livres, mais aussi pour regarder vers New York, Staten Island. L’immense décharge de Fresh Kills fermée depuis 2001 est en cours de réhabilitation. Elle deviendra, une fois achevé ce chantier de transformation immense, un parc récréatif naturel ouvert aux habitants de Staten Island et à tous les New-Yorkais, le Central Park du XXIe siècle. Sur le site de l’Alliance, association chargée de la promotion du futur parc, on peut déjà voir les images de ce que deviendra le projet une fois achevé : une pure nature, des prairies qu’un vent léger fait ondoyer, des images de synthèse aux bleus et aux verts saturés, sur lesquelles on n’a pas oublié les petites silhouettes en habits légers, joggeurs en plein effort, promeneurs aux sourires éclatants, chiens et enfants. Le slogan de l’Alliance annonce la « bonne nouvelle » : Recycle the Land, Reveal the Future. On savait que grâce au recyclage, une canette de bière peut se transformer en vélo, mais que devient la terre lorsqu’elle est recyclée ? Elle redevient elle-même ? Dans un reportage consacré à la transformation miraculeuse, l’anthropologue chargée de superviser la réhabilitation explique que New York a été bâtie, comme toutes les grandes villes, sur des déchets, qu’il suffit de creuser un peu pour trouver ces reliques, qu’il en va de même pour Central Park. Simplement, aujourd’hui, on considère qu’il s’agit d’archéologie urbaine, rien de plus.
J’apprends aussi qu’à Paris, tout parc présentant quelque relief a été, même brièvement, une décharge : les carrières des Buttes-Chaumont, le parc Montsouris, et même, oh ! même le petit labyrinthe du Jardin des Plantes. La pratique est ancienne, même si elle a de quoi surprendre, et pourtant, je ne puis m’empêcher de considérer le futur parc de Staten Island comme une incarnation du simulacre, le lieu artificiel par excellence, non seulement parce qu’il est constitué des restes de plus de soixante ans de consommation effrénée, mais surtout parce qu’il veut se faire passer pour ce qu’il n’est pas : un parc naturel, comme si la bonne volonté, associée à l’intelligence des ingénieurs et des concepteurs, pouvait effacer des décennies de mépris. Mépris de ce territoire naturel, marche saline, marais impropre à tout usage commercial, mais abritant une faune et une flore variées ; mépris pour les habitants de Staten Island, ceux de l’île, les bouseux, à qui on relègue la décharge, la puanteur, tout ce dont on ne veut pas.
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J’ai tenté de saisir, depuis, s’il n’y avait pas un lien entre mes deux recherches, une sorte de fil souterrain qui relierait Berlin à Staten Island. La seule constante réelle, celle qui pour moi importe, c’est la surdité et l’aveuglement volontaires dont nous savons faire preuve collectivement. Pour dire nettement les choses, alors qu’on s’interroge aujourd’hui encore à propos de l’héritage d’ « Auschwitz », de la marque laissée par l’extermination sur notre culture, il m’apparaît que c’est aussi d’Oswiecim, petite ville polonaise, ou de Mauthausen, ville d’Autriche (pour reprendre le titre de l’étude de Gordon J. Horwitz, historien qui retrace la vie des habitants de Mauthausen, dans le voisinage du camp), que nous sommes héritiers : ces bourgades calmes et industrieuses, imperturbables, au bord de l’horreur. Et il y a un vertige à considérer ces villes où une vie normale suivait son cours.
Ces temps sont révolus, n’est-ce pas ?
Pour parvenir à « fonctionner » dans notre monde, il reste pourtant nécessaire de fermer les yeux, d’alléger notre conscience, de l’ancrer dans un présent inoffensif et lisse.
La question du devenir de nos ordures ménagères est légère, dans le sens où aucune vie n’est en jeu, aucune mort, mais elle est symptomatique de l’aveuglement volontaire dans lequel nous vivons. Si le désastre écologique associé à notre consommation effrénée est préoccupant, s’il semble désormais évident qu’aucun geste de « sauvera » la planète, sinon un geste révolutionnaire et un changement radical de nos modes de production, ce qui me frappe surtout, c’est l’enclave mentale que nous nous construisons, l’illusion d’une ville propre, d’où disparaissent comme par magie tous les déchets, toutes les salissures.
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Sa négligence ne nuit pas à cette « nature » substantialisée qui a, depuis bien longtemps, cessé d’être. Elle égratigne simplement l’image que nous aimons entretenir de nous-même, citoyens respectueux de leur environnement, qui voulons à tout prix garder les mains propres, laissant à d’autres acteurs, clairement identifiés sous le nom de « multinationales », le soin de saigner la terre et de semer la guerre pour garantir la satisfaction de nos besoins les plus fondamentaux.
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