S'appuyant sur ce que la crise du coronavirus a montré de nos sociétés à dépasser, un ouvrage particulièrement précieux par sa méthode, son souffle et son imagination politique ancrée dans ce qui se passe aujourd'hui, ici et ailleurs.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2023/09/20/note-de-lecture-
basculements-jerome-baschet/
Vous avez pu lire ailleurs sur ce blog (à propos de la réédition de « La rébellion zapatiste », ici) tout l'intérêt que je porte au travail de
Jérôme Baschet, historien médiéviste mondialement connu devenu au fil des années, notamment par sa longue expérience d'enseignement à l'Université Libre du Chiapas, un penseur affûté de notre contemporain et de nos futurs, en agrégeant des réflexion issues de l'anthropologie, des sciences politiques, de l'économie et de la philosophie.
Ce «
Basculements » (au fort explicite sous-titre, « Mondes émergents, possibles désirables »), publié à La Découverte en février 2021, s'appuie sur une analyse, conduite à chaud ou presque, des conséquences économiques et socio-politiques de la récente pandémie de coronavirus. À la différence sans doute des travaux concomitants de
Giorgio Agamben (qui fera logiquement son apparition ici lorsqu'il s'agira de récuser le concept de communauté fondée sur une essence commune) ou de Slavoj Žižek (« Dans la tempête virale », 2020), il s'agit moins pour lui de détailler les tenants et aboutissants de cette crise inédite que d'y discerner les ferments positifs de possibles changements à venir, ou en tout cas à imaginer résolument, dans une perspective naturellement postcapitaliste.
Récapitulant avec acuité les vulnérabilités systémiques de la mondialisation capitaliste apparues lors de la crise de 2020-2021, recensant les effets si délétères de l'obstination fossile, parcourant autant les pièges de la pensée collapsologiste (on songera certainement à l'approche multivariée retenue ailleurs par
Yves Citton et
Jacopo Rasmi dans leur « Génération collapsonautes ») que les fantasmes d'exfiltration pour ultra-riches « à la
Elon Musk »,
Jérôme Baschet examine avec soin les éléments apparus d'un démantèlement potentiel du système productiviste capitaliste (productions locales, décisions locales, amples déspécialisations), les composantes d'un bien-vivre (retenue quantitative et intensité qualitative, dont on retrouvera bien des échos dans l'excellent «
Eutopia » de
Camille Leboulanger), les modifications nécessaires des termes même de la « justification » (pour reprendre ici le précieux concept de
Laurent Thévenot et
Luc Boltanski), l'inscription dans une logique des lieux proche de celle d'un
Gary Snyder, ou la manière d'échapper à la liquidité capitaliste étudiée par
Zygmunt Bauman (ou, sous d'autres formes, par
Paul Virilio ou
Hartmut Rosa).
S'agissant de discerner les sorties de secours de l'individualisme forcené et du naturalisme triomphant, les présences de
Philippe Descola, du
Baptiste Morizot des « Diplomates », voire de l'hospitalité chère à
Marie Cosnay ou de prises de judo sur la finance que ne renierait peut-être pas le
Kim Stanley Robinson de «
New York 2140 », sont particulièrement précieuses. Et
Jérôme Baschet croise bien, en approchant du terme provisoire de son propos, les chemins tant de
Frédéric Lordon (et de sa méfiance face aux micro-expériences opérées dans l'indifférence blasée du Capital – qui ne craint plus les grands soirs et ignore les petits matins) que d'
Alice Carabédian (et de son appel discret à dépasser en utopie le seul imaginaire des cabanes et des ruines).
Ce texte, sans doute l'un des plus intelligemment encourageants que j'ai pu lire récemment, tire bien entendu une bonne part de sa force secrète de l'expérience néo-zapatiste si familière à l'auteur, expérience dont il se nourrit à la fois publiquement et plus secrètement, avec détermination.
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