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EAN : 9782348068966
400 pages
La Découverte (16/09/2021)
4.38/5   34 notes
Résumé :
La modernité a divisé les animaux entre ceux qui sont dignes d’être protégés et aimés et ceux qui servent de matière première à l’industrie. Comment comprendre cette étrange partition entre amour protecteur et exploitation intensive ? Parce qu’elle précède cette alternative et continue de la troubler, la chasse offre un point d’observation exceptionnel pour interroger nos rapports contradictoires au vivant en pleine crise écologique.

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Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
Ce livre a résonné en moi par bien des aspects : ayant grandi à la campagne, j'ai assisté à la destruction des dernières haies qui parsemaient les champs dans lesquels je me suis toujours promené. Végétarien en désaccord avec l'industrie agroalimentaire et les abattoirs, j'ai demandé à mon grand-père chasseur et boucher de m'emmener avec lui en battue et sur le mirador dans l'espoir de tuer un animal, m'imaginant après coup me sentir légitime d'en consommer la chair. Je n'en ai évidemment pas eu l'occasion - apprendre et avoir le droit d'utiliser un fusil s'avérant plus compliqué dans la réalité que dans mon imagination d'adolescent aspirant chasseur-cueilleur anarcho-primitiviste.

J'ai grandi avec un chien de chasse puis un chien de berger que j'ai considéré comme des membres de ma famille, des frères, des amis. Je vis et travaille aujourd'hui dans une grande ville avec un lapin pour animal de compagnie, à qui parfois je cause comme si c'était un colocataire, d'autres fois comme « mon p'tit bébé ». Voilà en quelques mots d' « où je parle ».

Ce livre paraît deux ans après l'essai anti-chasse de Pierre Rigaux « Pas de fusils dans la nature » qu'avait préfacé l'ancien ministre Nicolas Hulot. S'il ne s'agit pas d'un essai « pro-chasse » à proprement parler, Charles Stépanoff répond d'une certaine manière aux militants anti-chasse en démontrant qu'ils se trompent de cible et de combat : la chasse ne représente qu'une part infime de cette catastrophe qu'est la sixième extinction. Bien au contraire, elle est le vestige d'un mode de vie révolu, lui aussi en voie d'extinction, tout autant menacé par la modernité.

Car la modernité, ce n'est pas seulement la situation économique et sociétale actuelle, c'est aussi une disposition mentale, cognitive. L'« exploitection » : c'est ainsi que l'auteur décrit notre rapport paradoxal au vivant, entre destruction et massacre quotidien aux abattoirs (3.2 millions d'animaux tués par jour en France) et amour inconditionnel à la maison ou au jardin. Ces contradictions exacerbées et improbables prennent de plus en plus de place dans le débat public. Charles Stépanoff, lui, est un anthropologue qui étudie des populations de chasseurs-cueilleurs sibériens. Il a toutefois décidé de suivre les chasseurs locaux de sa région tout en menant l'enquête auprès de militants anti-chasse. La restitution de ce travail de terrain constitue la première partie de cet ouvrage, bien plus dense que les deux parties suivantes, qui consistent en une prise de recul historique, puis en quelques conclusions et esquisses de pistes pour l'avenir.

En explorant les origines des relations de l'homme avec les animaux et la nature sauvage à travers les mythes et les légendes, en retraçant l'évolution de ces relations à l'aide de sources historiques abondantes et incongrues, en présentant enfin, de la manière la plus objective possible, la situation actuelle avec son enquête et une documentation scientifique abondante, Charles Stépanoff nous délivre une vision panoramique de ce vaste sujet qui mobilise toutes les passions.

Il nous rappelle en premier lieu les causes principales du déclin général du vivant : les mutations de l'agriculture (mécanisation, remembrement des champs et destruction des haies, spécialisation des cultures) – qui sont liées au nouvel ordre économique mondial où des accords sont passés entre grandes puissances pour que la production agricole soient répartie et mutualisée -, les produits phytosanitaires et l'étalement urbain. Tous ces éléments, qui sont des conditions préalables à l'existence des citadins anti-chasse, sont bien plus destructeurs et meurtriers que les chasseurs. Il dresse ainsi une critique acerbe de la modernité. Son parti pris est clair : il entend défendre la chasse vivrière et invalider les arguments des citadins anti-spécistes et vegans qui, au final, se positionnent eux-aussi dans une « cosmologie » où l'humain se distingue et du reste du vivant et en est complétement dissocié. C'est là la « crise du sauvage » du sous-titre.

La chasse telle qu'elle est pratiquée aujourd'hui n'en est pas pour autant idéalisée ou romancée. Stépanoff nous rappelle (non sans évoquer le célèbre sketch des Inconnus) la différence entre le bon et le mauvais chasseur : il y a le posté et le traqueur, celui qui a payé son permis de chasse et qui reste dans son mirador pour faire un carton tel un colon en safari, et celui qui connaît les animaux, les suit à la trace et vit avec eux dans un réel face-à-face, dans des rapports de force et d'interdépendance. Les dérives que l'on connait aujourd'hui (accidents, omnipotence des chasseurs dans certains territoires et « lobbying » politique et économique de la fédération nationale de la chasse notamment), qui font toute la mauvaise réputation de la chasse, sont contextualisées et analysées. L'essor de la royauté et de l'état-nation a fait de la chasse vivrière un crime, tandis que l'essor de la société capitaliste et libérale en a fait du braconnage. L'élite s'est accaparé le gibier en même temps que les forêts, que ce soit au nom de ses privilèges royaux ou, après la révolution, de son argent.
Le permis de chasse et le coût de l'équipement instaurent une ségrégation, disqualifient d'emblée une grande partie de la population, sans oublier que certains propriétaires louent leur terre et en font des sortes de parcs d'attraction ou le bourgeois citadin peut jouer au survivaliste le dimanche matin. L'élite fait ainsi de la chasse une activité sportive, récréative et, par conséquent, lucrative.

Les chasseurs sont les premiers écologistes ? En effet, les chasseurs paysans (les bons chasseurs), ceux qui furent les premiers témoins de la dégradation de leur environnement et de leurs ressources tout au long de la seconde moitié du XXème siècle. Stépanoff n'oublie pas de rappeler que les chasseurs bourgeois, les propriétaires et même nos gouvernements successifs ont mené des politiques condamnant la chasse paysanne tout en encourageant et en soutenant la chasse récréative, parfois au nom de la protection de l'environnement, au nom de la défense des espèces menacées, de bonne foi ou non. Ces concepts instaurent des quotas et des réglementations qui finissent par favoriser les uns et pénaliser les autres. La chasse fut donc, et est encore, une affaire de classes sociales. L'auteur raconte au début du livre les tentatives d'élevages industriels du faisan et de la perdrix, l'invention du semi-élevage des grands mammifères et notamment des sangliers … de véritables catastrophes écologiques qui donnent le vertige.

J'évoquerai aussi tous les passages où Stépanoff rappelle que notre vision de la nature comme endroit de paix et de recueillement, comme lieu de ressourcement, est aussi une vision aliénée de la nature, héritée des élites princières puis du romantisme du XIXème (qui s'est développé dans les villes alors en expansion, dans le contexte de l'industrialisation, avec l'apparition du chemin de fer) et qui trouve sa forme la plus aboutie selon l'auteur dans les parcs naturels : enclaves hypocrites où est protégée une nature exploitée partout ailleurs, au nom d'un sauvage idéalisé qui y est contrôlé et qui n'y est donc, logiquement, plus sauvage … C'est l'invention de la nature sauvage pour touristes.

J'imagine qu'il existe beaucoup d'auteurs « anti-modernes » et anticapitalistes qui ont évoqué ces sujets et je ne suis pas spécialiste de la question, mais ce livre m'apparaît comme une synthèse bien construite et très bien rédigée de toutes ces problématiques. C'est un livre important, d'une modernité déconcertante, une piqure de rappel et une claque que je conseillerais à n'importe qui voulant se renseigner sur ces questions avant de se faire sa propre opinion. Et je le conseillerais à n'importe qui ayant déjà ses opinions, parce que que l'on soit chasseur, agriculteur, « viandard » viriliste ou citadin vegan anti-spéciste, je ne pense pas qu'on puisse ressortir indemne de cette lecture, tant l'argumentation et les études de cas sont solides.

Enfin, c'est un ouvrage d'une érudition folle qui se lit pourtant comme un grand roman, avec ses rebondissements et ses passages franchement émouvants. C'est bien écrit, le plan est clair et les transitions fluides. Stépanoff a le sens de la formule qui synthétise, qui marque et qui laisse une impression indélibile.

On sent l'universitaire qui tient la plume – l'introduction, par exemple, est exemplaire, les notes de bas de pages sont une vraie plus-value (j'aurais toutefois aimé un index, pour un livre de cette ampleur ça aurait été arrangeant.)

Je signalerais l'auteur Catherine Remy, qui a écrit des livres et des articles sur la sociologie des employés d'abattoirs, ces gens qui « font le sale boulot », ainsi que Dominique Guillo, dont le Pommier a republié récemment l'ouvrage sur les rapports entre les chiens et les humains.
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Aux plus lointains de mes souvenirs, la plaine de Champagne s'animait de perdreaux, faisans et lièvres s'enfuyant vers un bosquet et ,privilège rare, j'ai vu et entendu des couples de canepetières (outardes) sortant des rangs de vigne pour, au couchant, se régaler de sauterelles et papillons dans les luzernes .
C'était fin des années 50; parfois au retour des champs mon père nous appelait : au fond de son chapeau crasseux 6 ou 7 oeufs de poule faisane dérangée par la faucheuse. Ils étaient aussitôt “confiés” à une poule naine (une jacotte ).
Sortaient du nid 3 semaines plus tard une couvée de jeunes ,craintifs et véloces nourris d'oeufs de fourmis et d'orties hachées.
Dès que possible, aux premières plumes des ailes, on les relâchait dans la zone d'origine .
Placés dans un cageot fixé au porte bagages je filais les déposer à l'aplomb d'une meule en prenant soin d'y vider une boîte de graines.
Aujourd'hui le faisan est reproduit en élevage intensif et il s'approche si vous le croisez au détour du chemin…

Pour revenir à cet ouvrage ,dense et superbement documenté, j' avais jusque là une certaine idée de la chasse ,assez proche de cette belle chanson de feu Michel Delpech.

La chasse : art de vivre à la campagne, empreinte inscrite dans l'histoire nationale ,héritage de la révolution ( en partie seulement) ,refouloir des urbains écologistes, thème qui demeure un point de fixation et confrontation entre ruraux et urbains.
Comprendre les motivations des amateurs de chasse à courre (lièvre renard cerf) qui n' apprécient guère les porteurs de fusil , entendre les récriminations du paysan qui voit sa récolte de maïs saccagée par le gibier, s' étonner de voir les lobbyistes s'introduire dans les réunions ministérielles *
Si cet opus ne donne pas de réponse formelle à ces questionnements, il a le mérite de nous inciter à réfléchir “en prenant du champ “.(sic )
Ainsi, cela pourrait vous éviter, "Au Rendez vous des Chasseurs” un soir de novembre, de proférer de grosses bêtises (je suis poli …) autour d' un cuissot de chevreuil.
* ce fut un motif de démission d'un médiatique ministre de l'environnement ...
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J'ai été littéralement emballée par cet essai, qui m'a bousculée et m'a permis de remettre en question certaines de mes certitudes. Ce qui est certain, c'est que Charles Stepanoff nous outille pour sortir du prêt-à-penser, du politiquement correct, en ce qui concerne notre manière de considérer les animaux (les autres animaux comme dirait Baptiste Morizot, souvent cité par Stepanoff et vers qui je me suis tournée dès cet ouvrage refermé) : tout au long de son ouvrage, il interroge la "cosmogonie" de notre civilisation occidentale, c'est à dire la manière dont nous nous représentons notre place dans le monde et notre relation au vivant. Il dénonce (me semble-t-il) la volonté de rationaliser (artificiellement) le rapport au vivant, que ce soit dans la pensée philosophique (avec le dualisme homme/nature), dans les politiques agricoles, dans le rapport à l'animal (animal-enfant, animal-matière à consommer)... Il nous appelle à complexifier tout cela, à retrouver une posture d'ambivalence où l'on peut tout à la fois admirer, respecter, consommer, chasser les animaux, à nous considérer non pas comme séparé de (et supérieur à) la nature mais comme un élément de celle-ci, et de ce fait, à l'image du chasseur autochtone, "responsable de façon individuelle de [notre] rapport au milieu vivant dans ses inextricable dimension visible et invisible, dans ses aspects économiques et cérémoniels."

Je recommande cette lecture à toute personne intéressée par la question de notre rapport au vivant, question évidemment hautement sensible à l'heure de l'anthropocène, où notre responsabilité devant la catastrophe écologique est chaque jour engagée.
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Il serait vain de le résumer tant il est dense, riche, foisonnant et imposant. Et il l'est tant qu'il faut du temps pour le lire, une certaine attention pour le découvrir. Ô ne vous méprenez pas; il n'est pas difficile à lire, non, bien au contraire. Sa plume fluide, agréable, sert la connaissance qui se déverse ici avec générosité. L'auteur, anthropologue, révèle un monde qui m'est totalement étranger, entre dans la complexité d'un sujet que je n'ai pas encore pensé. C'est la chasse, pratique de plus en plus vilipendée par la société qui refuse la violence sur les animaux alors qu'elle n'a jamais été aussi massive car pratiquée loin des regards par toute une industrie. le paradoxe est grand et il faut le regard d'un chercheur pour nous aider à le comprendre. Ici, loin des caricatures, des visions binaires, du manichéisme toujours ambiant, on découvre que les chasseurs ne sont pas forcément des barbares anti- écologistes qu'ailleurs on veut bien nous présenter. le sujet est complexe, éminemment, et il faut suivre l'évolution des discours, des moeurs, des pratiques et plus largement apprendre sur l'évolution de nos sociétés pour sortir des discours stéréotypés. Je ne peux résumer l'ouvrage alors je vous le dis simplement : lisez-le. Lentement, avec une grande attention, sans précipitation. Vous en sortirez enrichis et éclairés. C'est à conseiller. Absolument.
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L'originalité de l'essai de Charles Stepanoff est d'aborder l'écosystème de la chasse d'hier et d'aujourd'hui avec une méthodologie d'anthropologue, comme il l'a fait dans ses précédents travaux auprès de peuples chasseurs-cueilleurs du Nord de l'Europe.

Notre société moderne a classé les animaux en trois catégories, les animaux-enfants, nos compagnons souvent urbains, castrés, privés de vie sociale et de liberté ; les animaux-matières premières, que l'on consomme en se tenant à l'écart de leur mise à mort (cette mise à l'écart incluant les agriculteurs et les salariés des abattoirs), et enfin, les animaux sauvages, objets de batailles et d'incompréhension réciproques entre agriculteurs intensifs et chasseurs, animalistes et gestionnaires.

Les parallèles avec la chasse de type néolithique, la chasse du moyen-âge (qui introduit une ségrégation sociale dans l'accès aux différents types de chasse), permettent de relire les rituels traditionnels et nés-traditionnels. L'impact des immenses changements opérés dans l'agriculture depuis la deuxième guerre mondiale sur les populations sauvages proches de l'homme est également discuté en regard de celui des chasses traditionnelles. Enfin, le regain des chasses bourgeoises et seigneuriales avec exclusion ou exploitation des ruraux est observé et discuté.

Ce livre pourrait être une base de discussion factuelle entre pro et anti-chasse. Il pourrait inspirer des politiques agricoles efficaces pour tenter d'enrayer l'extinction du petit gibier de nos campagnes, et dépassionner la gestion des populations de grands gibiers. Il pourrait permettre d'introduire plus d'éthique dans le sort réservé aux animaux d'élevage et de compagnie.
On peut rêver…
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critiques presse (4)
LeMonde
10 janvier 2022
La forêt bruisse de conversations sans paroles ; c’est un théâtre où des acteurs à poil et à plume semblent rejouer, à leur mode, les scènes de la société villageoise.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LaProvence
09 janvier 2022
Sans porter de jugement, il extrait de son expérience une volonté explicative avant tout. La chasse en tant que souveraineté, les rapports entre le sauvage et le domestique, la gestion de la chasse, l’évolution du comportement canin, la disparition progressive des hirondelles : les sujets abordés dans ce livre sont nombreux et souvent complexes.
Lire la critique sur le site : LaProvence
Liberation
07 janvier 2022
L'anthropologue Charles Stépanoff a mené une enquête immersive aux confins du Perche, de la Beauce et des Yvelines, pour étudier le rôle de la violence dans la société humaine, et les rapports paradoxaux entre chasse et protection du vivant. Il publie un passionnant l’Animal et la Mort, où l’histoire, la philosophie, l’ethnologie, comme l’enquête de terrain, concourent à largement nuancer une des visions duelles de l’écologie.
Lire la critique sur le site : Liberation
Telerama
22 novembre 2021
D’un côté les bêtes que l’on mange, de l’autre celles que l’on aime... Un profond paradoxe qui questionne notre rapport à la mort, et que décrypte l’anthropologue Charles Stépanoff dans un essai passionnant.
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
…Le poète Lamartine raconte comment ,dans sa jeunesse, il tira sur un chevreuil et vécut une scène semblable à celle décrite par notre informateur au début de ce chapitre :

“Le pauvre et charmant animal n’était pas mort. Il me regardait, la tête couchée sur l’herbe, avec des yeux où nageaient des larmes. Je n’oublierai jamais ce regard auquel l’étonnement la douleur, la mort inattendue semblaient donner des profondeurs humaines de sentiment ,aussi intelligibles que des paroles: car l’œil a son langage ,surtout quand il s'éteint.
Ce regard me disait clairement ,avec un déchirant reproche de ma cruauté gratuite : Qui es tu? Je ne te connais pas, je ne t’ai jamais offensé. Je t’aurais aimé peut-être ; pourquoi m’as-tu frappé à mort? “
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Au cours de cette enquête, il nous est apparu que l'enjeu véritable du conflit entre les veneurs et leurs détracteurs n'est pas tant la défense des cerfs ou de la forêt que l'affrontement de mises en scène différentes du rôle de l'homme dans la nature. La sensibilité animaliste promeut une attitude empathique fondée sur l'attention à la souffrance de chaque animal, individu unique et irremplaçable. De ce point de vue, la mort de tout animal revêt une dimension tragique qui interdit à l'humain, seul être de la nature conscient de cette tragédie, de la provoquer volontairement. L'homme se distingue du reste du vivant par cet impéracif moral de protection et de sauvetage auquel ne sont pas tenues les autres espèces.
La sensibilité des adeptes de la vénerie met l'accent non sur l'indi-vidu, mais sur les relations éco-éthologiques entre les espèces vivantes, invoquant la réalité de la prédation et de la mort dans la nature. Ils envisagent l'humain comme un prédateur parmi d'autres, intégré à un grand cycle de vie et de mort. Ils s'opposent à une vision de la nature dont l'humain serait exclu, une menace pour le mode de vie rural selon eux. Militants et veneurs partagent bien plus qu'ils ne le croient : l'amour de la forêt et l'admiration pour la grande faune sauvage, mais ils sont séparés par des conceptions différentes des continuités et des discontinuités entre humanité et nature. La venerie se heurte frontalement à la cosmologie moderne de deux manières : en introduisant au cœur du monde sauvage une tradition culturelle avec costumes, fanfares et cérémonies, elle contrevient à la séparation entre nature et culture. D'autre part en associant protection, identification morale et confrontation sanglante avec le cert, elle entretient une zone trouble de relation à l'animal qui résiste à la séparation des êtres, des lieux et des attitudes entre les deux grands schèmes relationnels de l'amour protecteur et de l'exploitation extractive.
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Nous nourrissons nos animaux-enfants de la chair et du sang de nos animaux-matière. La déshumanisation des conditions de vie de nos anciens animaux de ferme n’est pas en contradiction avec la personnification de nos animaux de compagnie. Elle en est la condition de possibilité.
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Parmi ces compétences, notre pénétration des mondes mentaux de nos proies est si profonde qu'elle en paraît presque déloyale. Il y a toutefois un inconvénient à cette arme : se mettre à la place des animaux peut rendre leur mise à mort difficile. Sur tous les continents, les chasseurs-cueilleurs établissent des rapports d'identification, de partage de substances et de socialité avec les animaux. Mais comment alors se nourrir de la chair d'êtres si semblables à moi? Partout, la mise à mort des animaux et la consommation de leur chair s'envi-ronnent de traitements rituels, de compensations, de justifications et de mythes pour que la chasse soit autre chose qu'une dévoration destructrice et cruelle. L'homme vit avec cette contradiction intime qui parfois le déchire : il est un predateur empathique.
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Comme dans les autres domaines de la marchandisation de la nature, du travail et de là monnaie, on constate que c’est seulement par myopie et défaut de recul historique que l’on pourrait croire à une opposition intrinsèque entre l’Etat et le marché. Seule une politique dirigiste menée par un Etat fort peut permettre de dénouer les liens d’autochtone, les coutumes et les protections communautaires qui freinent la libre circulation nécessaire à un marché concurrentiel. Les technologies de suivi statistique des populations sauvagesse, de leur fécondité et de leur mortalité incarnent ce qu’on peut appeler « un biopouvoir cynégétique » […] Un postulat fondamental de la modernisation biopolitique tient dans l’idée que la gratuité est source de désordre et qu’il n’est de bonne gestion que comptable. Pour que les simples chasseurs acceptent de protéger la faune, il importe qu’ils en éprouvent le prix sur le marché.
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Vidéo de Charles Stépanoff
Le Prix de l'essai Et maintenant ? France Culture / ARTE récompense un essai traitant d'un enjeu contemporain publié par un chercheur ou un penseur et appuyé sur une recherche. Paru dans l'année, il a vocation à s'adresser à tous les publics pour faire partager la connaissance au plus grand nombre.
Les essais présélectionnés : Apprendre à voir d'Estelle Zhong Mengual (Actes Sud) Avoir le temps de Pascal Chabot (Puf) L'animal et la mort de Charles Stépanoff (La Découverte) La conversation des sexes de Manon Garcia (Flammarion) Les filles du coin de Yaëlle Amsellem-Mainguy (Presses de Sciences Po) Réveiller les esprits de la terre de Barbara Glowczewsky (Ed. du Dehors)
Remise du prix par Sandrine Treiner, directrice de France Culture, et Boris Razon, directeur éditorial d'ARTE France
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