Un matin, une petite fille de 10 ans et sa soeur aînée sont envoyées en pension à la ville sans explication et sur décision de leur père. Leur mère, femme douce et soumise n'a pas son mot à dire, elle ne reverra jamais ses filles. Elles sont les enfants d'un couple de la petite bourgeoisie locale et industrielle. Leur père est le propriétaire de la fabrique de soie du village : autoritaire et incapable de montrer ses sentiments.
Plusieurs années plus tard, à la mort de son père, elle devient l'héritière de la filature avec une clause bien spécifique : être mariée dans l'année. Mais Eulalie est bien décidée à ne pas reproduire le destin de sa mère et à prendre son destin en mains. Elle reprendra elle-même l'usine. Mais on est en 1910 et la société patriarcale cévenole ne va pas l'aider et cherchera plutôt à briser ses velléités d'indépendance.
J'ai aimé le parti pris de l'auteure de commencer le roman sur un mystère, des questionnements obtiendront réponse au fil des pages.
Pourquoi le patriarche exile-t-il ses filles à la ville ? Quel objectif, quelle pensée secrète la mère de famille avait-elle en glissant une lettre dans les bagages de sa fille cadette. Pourquoi l'aînée des deux soeurs semble-t-elle avoir été bannie.
Nous allons suivre Eulalie dans ses combats pour apprendre les métiers de la filature et gagner en autorité, pour braver les mauvaises langues du village, pour faire entendre les droits des femmes et des ouvrières. Nous allons assister à son initiation aux principes du socialisme.
Le coeur des fileuses est un roman historique qui dépeint la vie d'une région française, les Cévennes, l'industrialisation, la condition ouvrière et la condition féminine. La 1er guerre mondiale qui on le sait a mis les femmes dans l'obligation de gérer le quotidien, n'est ici que secondaire. Ce n'est pas le sujet du roman. Ceci étant, le roman illustre un un fait bien réel : les hommes au front, les femmes se sont montrées courageuses et ont indubitablement pris les choses en main au quotidien. Pourtant, la guerre terminée, elles ont dû reprendre leur place dans l'ombre des hommes. Ce n'est qu'à la fin de la seconde guerre mondiale que les choses évolueront véritablement pour elle.
Eulalie est un personnage attachant par ses valeurs qu'elle s'est forgées elle-même : humilité, simplicité, tolérance, amour de l'autre. C'est aussi une femme de convictions dans un monde où les femmes ne pensent pas.
La plume d'Aurélie Hauderlé est fluide et agréable.
Le roman est aussi le prétexte à nous acculturer au monde de la filature de la soie. Les processus de culture et de filature sont expliqués avec précision. Pour autant, l'auteure a su intégrer ces explications sans qu'elles soient ennuyeuses.
Je remercie Les éditions Presse de la cité, collection Terres de France de m'avoir permis de découvrir ce roman.