Haruki Murakami fait parti des auteurs que j'aime retrouver. Ses romans sont comme des rendez-vous que j'attends avec impatience. J'aime ses énormes pavés, son écriture, son univers mystérieux, étrange, onirique.
Mais ce livre est très différent de ceux que j'ai pu lire jusqu'à maintenant, car « Abandonner un chat » est un petit récit autobiographique qui tourne autour de la figure du père.
« J'ignore à quel point ces souvenirs personnels peuvent intéresser les lecteurs. Mais je ne peux penser qu'en écrivant …, j'ai besoin de raviver ma mémoire, de reconsidérer le passé et de le transformer en phrases et en mots que l'on peut voir, que l'on peut lire à haute voix. Et plus j'écris, plus je me relis, plus je suis envahi par la sensation étrange de devenir transparent. Si je lève ma main en l'air, j'ai l'impression de voir au travers. »
Relater ses souvenirs de jeunesse, ses pensées intimes, se mettre à nu, est un exercice que je trouve particulièrement difficile et exigeant.
Je lis assez peu de romans autobiographiques, par pudeur, je pense. J'ai l'impression de faire preuve d'une curiosité déplacée, de m'immiscer dans la vie privée des gens. Ce n'est pas tout à fait vrai, puisque dans une autobiographie, c'est l'auteur qui entreprend de nous révéler des moments intimes de sa vie.
Alors pourquoi l'ai-je lu ?
Je voulais trouver quelques clés de l'univers si fascinant de
Haruki Murakami.
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Cette biographie débute par un souvenir d'enfance insolite, mettant en scène une chatte que son père et lui ont abandonnée sur une plage.
Haruki Murakami ne se souvient plus des raisons de cet abandon, mais il se souvient de sa tristesse et de ses regrets de ne pas s'être opposé à son père. Mais de retour de la plage, quelle n'est pas leur surprise de voir la petite chatte revenue avant eux, comme par magie.
Un autre souvenir marquant surgit au détour d'une page, celui d'un chaton coincé dans un arbre du jardin, qui appelle pour qu'on vienne le déloger et qui disparaîtra mystérieusement.
Ces deux anecdotes communes au père et au fils m'ont rappelé la présence constante de cet animal dans ses romans.
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Mais cet essai est avant tout des scènes de vie ordinaires et des souvenirs de son enfance.
L'auteur se remémore des évènements qui peuvent être perçus comme insignifiants, banals, mais que son inconscient a choisi de conserver et qui d'une manière ou d'une autre, ont façonné sa personnalité et son écriture.
« En tout cas, il y a une chose, une seule, que je voudrais ajouter à ce texte : je suis le fils ordinaire d'un homme ordinaire. C'est parfaitement évident. Mais au fur et à mesure que j'ai approfondi cette réalité, j'ai été convaincu que nous sommes tous le fruit du hasard, et que tout ce qui a eu lieu dans ma vie et dans celle de mon père a été accidentel. »
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Ses souvenirs se cristallisent autour de la figure paternelle, ce père qu'il a si mal connu, si mal compris, si mal aimé. Malgré l'affection sincère et la douleur de sa perte, l'absence de dialogues entre eux, le manque de réponses à ses questions ont laissé un vide en lui.
Ce père passionné de haïkus, silencieux, secret quant à sa jeunesse, semble avoir gardé au fond de lui de profondes blessures qui ont laissé sur son esprit, une cicatrice invisible, mais indélébile.
« Tout le monde a vraisemblablement connu une expérience plus ou moins douloureuse, en tout cas impossible à oublier, difficile à transmettre, et dont le fardeau doit être porté jusqu'à la fin dernière. »
Ainsi,
Haruki Murakami dresse le portrait incomplet de ce père marqué par une éducation stricte et sans amour, par la douloureuse expérience de l'abandon, puis par la guerre sino-japonaise et la seconde guerre mondiale.
« Sur le chemin du retour
Je marche une seconde fois
Dans la boue, sous la pluie. »
Ce livre m'est apparu d'autant plus authentique et honnête que l'on ressent les besoins de l'auteur de comprendre ce père, de compléter les pages manquantes de sa propre histoire, en se défaisant des ombres qui ternissent le passé de son père.
Ce titre revêt alors pour moi une autre signification, car en abandonnant ce chat, le père a également abandonné son fils.
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En nous parlant de l'expérience de guerre de son père, cette histoire de famille, ces petits fragments de vie s'inscrivent dans une histoire plus grande et participe à intégrer la petite histoire dans la grande.
« Une des choses que je voulais souligner, dans ce récit, c'est que la guerre provoque, dans la vie et dans l'esprit d'un homme – d'un citoyen ordinaire, anonyme –, des changements profonds, énormes. Changements qui ont eu pour résultat ce que je suis, moi, ici. Si le destin de mon père avait emprunté un chemin un tout petit peu différent, je n'aurais pas eu d'existence. Voilà ce qu'est l'histoire : une réalité froide et unique parmi une myriade d'éventualités. »
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Avec simplicité et pudeur,
Haruki Murakami dresse un portrait délicat de son père, à la fois sincère et touchant. Les magnifiques illustrations d'
Emiliano Ponzi qui accompagne le texte ajoute une touche plus personnelle et poétique.
L'écriture est douce, belle, mais je regrette la brièveté du récit. Il y a de belles réflexions, mais seulement esquissées. J'aurais aimé une oeuvre plus étoffée. Ce n'est bien sûr que mon ressenti, il n'engage que moi, et je reste bien entendu une fan inconditionnelle du grand auteur japonais.