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EAN : 9782348069710
280 pages
La Découverte (21/04/2022)
4.12/5   12 notes
Résumé :
La psychanalyse a-t-elle encore des choses à dire ? À une époque où les études de genre, les analyses de Foucault et les mouvements LGBTQI+ ont inventé d’autres perspectives en matière de genre et de sexualité, comment peut-on encore parler de l’Œdipe, de l’« envie de pénis », de la « différence des sexes » ? Près de cent cinquante ans après son invention par Freud, soixante-dix ans après sa relecture par Lacan, la psychanalyse peut-elle prendre en compte les évolut... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
« Vieille dame straight et mal fagotée », ressassant ses « vieilles manies, déplor[ant] avec nostalgie l'époque où on écoutait l'autorité du père, et prédi[sant] une catastrophe anthropologique » (p. 42), ainsi Laurie Laufer dépeint la psychanalyse contemporaine. Et le psychanalyste ? Un « mâle blanc straight et sexagénaire, boomer qui a vécu les Trente Glorieuses après guerre sans trop de dégâts, sans précarité ni oppression, sans discrimination ni invisibilisation, celui-là même, condescendant, qui crie à la perversion sociale parce qu'il ne comprend plus rien aux techniques de reproduction assistée, à ces couples homoparentaux qui veulent maintenant se marier, à ces « transsexuels » qui choisissent leur genre » (ibid.). Hmmfff !
Après avoir essuyé les larmes que le rire avait laissé aux commissures de mes paupières, j'ai utilisé la puissance enthousiasmante de cette charge pour m'aider à entrer plus sérieusement dans le vif du propos. Car ce moment jubilatoire et caricatural ne résume pas le parti pris par Laurie Laufer, heureusement. Recueil d'articles remaniés pour l'occasion, Vers une psychanalyse émancipée, propose d'interroger ce qui fait la psychanalyse afin de savoir si elle n'est que la gangue fossilisée d'un discours anciennement opérant sur un monde dorénavant passé ou si elle procède d'une possible action visant à ce que le sujet se joue des « assignations conjoncturelles d'une époque donnée » afin de créer « ses propres capacités d'invention de soi » (ibid. p. 105).
C'est évidemment la deuxième hypothèse que Laurie Laufer défend. Pour cela, elle épouse les propositions de Michel Foucault, lequel affirme que la prééminence du discours sur le sexe depuis le 17e siècle, loin d'être l'ouverture vers une plus grande liberté, est au contraire l'exigence que chacun se positionne par rapport à ce qu'il convient de faire ou de dire sur cette seule question. La codification du fonctionnement de la famille et de la place que chacun doit y tenir telle qu'elle est entreprise dans le Code civil va dans le même sens. Ainsi, l'énergie vitale et la quête de son expression, ce que Lacan appellera ensuite l'érotologie, sont emprisonnées dans une normalisation et une dualité entre avouer et cacher qui privent le sujet d'une possible expression.
C'est la question de ce que l'on considère comme naturel ou historique qui sert de fondement à cette réflexion. Cette même question avait été abordée par Devenir féministe, que je viens de lire, et qui convoquait Adorno. Ce qui est historique est contingent contrairement à ce que l'on pense naturel. Une famille constituée d'un papa et d'une maman, naturel ou historiquement marqué ? La binarité des sexes, masculin ou féminin : normalisation d'un attendu social justifiant l'ensemble des valeurs portées par la société d'un temps ou vérité biologique essentielle ? Si on se penche sur l'épistémologie de telles notions, on se rend vite compte avec George Lantéri-Laura (dans Lecture des perversions) que prôner la naturalité de telles postures relève « d'une construction imaginaire » car « il n'existe pas de science globale du comportement sexuel (..). La culture veut forcer le savoir à fournir des normes » (cité p. 151)
Lorsqu'elle n'interroge pas les conditions de son émergence, le contexte historique, les valeurs en vogue au temps de son émergence, la psychanalyse prend le risque de prétendre ses prises de position universelles et unitaires. de faire de son mouvement un dogme (« si une mythologie se prend pour une vérité anhistorique, elle risque de devenir un dogme » p. 86).
Et de passer à côté de toutes les problématiques qui agitent notre société. J'ai frémi plusieurs fois en lisant ce que certains psychanalystes osent encore écrire aujourd'hui sur l'homosexualité (une déviance, le symptôme d'une pathologie), sur la manière dont ils accablent, par un diagnostic stigmatisant, les aspirations à interroger le genre. En étendant encore le spectre des conduites dénigrées, Laurie Laufer revient sur la pathologisation des « états limites », des phobiques, des « perversions ». le problème ici, c'est, à l'encontre de ce que défendaient tant Freud que Lacan, l'utilisation de la psychanalyse à des fins médicales, la pathologisation de symptômes qui ne devraient pourtant être considérés que comme un moyen d'expression et non comme des conduites jugées à l'aune d'une norme et d'un attendu social. On revient sur l'analyse foucaldienne qui démontre la manière dont le savoir est utilisé à des fins normatives et coercitives.
Je n'ai pas l'habitude de considérer ce qui est vieux comme forcément dépassé. Et j'ai toujours trouvé fascinantes l'exploration de l'inconscient, les théories visant à mettre l'élaboration et le discours au coeur d'un cheminement de soi. Mais j'ai souvent aussi ressenti un inconfort intellectuel certain devant l'exégèse des propos freudiens, leurs contradictions mais aussi leur caractère manifestement inopérant. J'aurais été autant fâchée de jeter la psychanalyse avec l'eau du bain que de tout réduire à une envie de phallus mal digérée ou à la seule figure d'Oedipe. Ce livre m'a donc enthousiasmée. Il a, à mes yeux, revivifié la psychanalyse. Elle n'est pas un soin curatif et normalisant. Elle n'est pas une vision morale et réactionnaire sur une société qui lui aurait échappé. Elle est, comme la poésie, un certaine relation au monde, occasion de faire jaillir la pulsion de vie. Et ça me va très bien ainsi.
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On a du mal à imaginer que la psychanalyse fut à sa naissance une pensée révolutionnaire, tant les tribunes réactionnaires initiées et signées par des psychanalystes marquent aujourd'hui l'actualité médiatique. le rappel de Laurie Lauper, psychanalyste et professeure, est en ce sens salutaire : la pensée de Freud s'inscrivait dans la dépathologisation du fait sexuel humain, dans toutes dimensions, dans sa diversité, et il est urgent pour ne pas devenir cette « vieille dame straight et mal fagotée » que la psychanalyse renoue avec la subversion : « L'emprise médicale et psychiatrique a contrarié la psychanalyse dans l'élan nécessaire à sa mutation ».

C'est un essai relativement accessible pour les néophytes, très riche en références, qui fait dialoguer habilement les époques et les registres. J'ai apprécié certains développements sur le féminisme et la manière dont le mouvement de libération des femmes a été traversé par la psychanalyse (faisant naître des courants antagonistes). Les derniers chapitres sur le « transsexualisme » et les LGBTQI sont passionnants et permettent de mettre à distance l'épouvantail encore et encore brandi des « communautarismes » et des débordements identitaires. Loin des interprétations binaires, j'ai trouvé que Laurie Lauper proposait une lecture honnête de l'histoire de la psychanalyse (pas de déni sur ses penchants naturalisants) et une perspective optimiste, sur la capacité qu'a la discipline à renouer « avec ce qui a fait son tranchant », soit une pensée de la multiplicité, de la variation et des possibles.

Un essai que je relirai très probablement !
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
Pourquoi la psychanalyse aujourd’hui est-elle inaudible ? Parce qu’elle n’a plus rien à dire ? Plus rien à inventer ? On rit doucement devant la vieille dame straight et mal fagotée qu’elle est devenue, petite bourgeoise bien éduquée dépassée par les hordes de celles et ceux dont elle dit à l’envi qu’ils en veulent plus et plus vite, de celles et ceux qui préfèrent le plaisir des corps au désir amarré à son manque de l’Autre. Devant ses armées, la vieille trébuche.
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L’histoire de la psychanalyse, c’est donc aussi et surtout l’histoire du mouvement psychanalytique, avec ses scissions, ses déchirures, ses exclusions, ses violences institutionnelles, les garants de l’ordre académique, les dévots et les marginaux; ceux qui croient en l’ « or pur » de la psychanalyse en disqualifiant les autres qu’ils accusent d’ajouter du « cuivre », et donc de la rendre « impure ». En somme, la psychanalyse est tombée dans le piège de son institutionnalisation et de ses enjeux de pouvoir, de territoire, de gloire imaginaire. Les impasses théoriques laissés par Freud et Lacan concernant le sexuel, la bisexualité, l’homosexualité, la transsexualité ont été intensifiées par les guerres de chefs et d’héritiers et les logiques de pouvoir. Il s’agit sans cesse de devoir se justifier si, en étant psychanalyste et s’intéressant en même temps aux études de genre, on ne dénature pas la psychanalyse, si on ne participe pas à sa sociologie action ou (pire!) à une américanisation de ses concepts, ou si on n’est pas « militant » ou « idéologue » (les deux termes valant comme injure) d’une cause obscure. Cette épistémologie des mouvements de la psychanalyse reste à écrire. La psychanalyse a une histoire et produit une histoire.
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L’emprise médicale et psychiatrique a contrarié la psychanalyse dans l’élan nécessaire pour sa mutation. Face aux questions posées à la sexualité, à la différence sexuelle par les transpédégouines, le discours de certains psychanalystes s’est accroché à la bouée imaginaire de savoirs psychiatriques. Sans bouée, apparaissent-ils comme les militants de la cause trans ?
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Videos de Laurie Laufer (12) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Laurie Laufer
Une conversation présentée par Robert Maggiori, critique littéraire, et membre fondateur des Rencontres Philosophiques de Monaco Avec Dov Alfon, Directeur de la rédaction et la publication au quotidien Libération Raphaël Glucksmann, Député européen et essayiste Laurie Laufer, Psychanalyste Asma Mhalla, Spécialiste des enjeux politiques et géopolitiques de la Tech
Informer est un droit, s'informer un devoir. Il n'est techniquement pas impossible de savoir quelles circonstances, quelles situations politiques économiques ou militaire, quels régimes de gouvernement, quels types de pouvoirs autoritaire, dictatorial, totalitaire, etc., entravent le devoir d'informer.  Mais il est plus malaisé de déterminer les causes qui rendraient labile, «occasionnel», intermittent, le devoir de s'informer. Renonce-t-on de force à ce dernier lorsqu'aucune résistance, aucune «opposition» ne semblent assez fortes pour rétablir le droit bafoué? A-t-on, comme on dit, «perdu confiance» vis-à-vis d'organes d'information dont on pense qu'ils ont des objectifs - les mal nommés - politiques, idéologiques, n'ayant plus rien à voir avec la «formation» des citoyens à laquelle devrait participer une information objective, variée, ancrée à des sources sûres, argumentée, vérifiée? Ou le mal est-il plus profond, et tient d'abord à la confusion entre information et communication, puis à l'hégémonie de celle-ci sur l'autre? Si l'on considère en effet qu'il est plus important de communiquer que d'informer, alors il sera admis de tous, d'une part, que le fait de dire compte plus que ce qui est dit, compte plus que la véracité (la rigueur, le bien-fondé, la justesse…) de ce qui est dit, et, d'autre part, que l'opinion vaut en tous points le savoir. Les méga-entreprises de communication plus fortes que les Etats, grâce à leurs réseaux sociaux, dans lesquels chacun «s'exprime», ont transformé ce mal en pandémie universelle, et transformé la vérité en «option», en «avis». Quelles conséquences pour l'information, la formation, l'éducation des citoyens?
#philomonaco
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