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EAN : 9782266339865
336 pages
Pocket (11/01/2024)
4.09/5   55 notes
Résumé :
Est-il possible de prendre une revanche sur la vie ?
Il y a des revanches plus cruelles que la blessure qu'elles vengent...

Lysiane n'a jamais voulu être mère, et Jolene n'a jamais considéré comme telle cette tornade blonde aux ongles rouges qui débarquait un lundi sur trois à l'auberge de ses parents pour lui couper les cheveux et faire des remarques acides.
L'enfant grandit loin dans sa paisible province pendant que la mère, partie à... >Voir plus
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Dans un village du nord de la France, Jeanne et Pierre tiennent une auberge. A dix-sept ans, leur fille unique Lysiane, destinée à prendre un jour leur succession, n'a qu'une idée en tête : devenir chanteuse comme Dolly Parton, son idole. Elle fait la connaissance de Fred Solange, un obscur chanteur qui fait des tournées minables et l'accompagne dans son camping-car. Mais Lysiane a un caractère éruptif et Fred se lasse vite d'elle ; ils se séparent. Lysiane ne le sait pas encore mais elle est enceinte de lui. Elle veut avorter mais au moment de subir l'acte chirurgical et sous les supplications de sa mère qui lui demande de lui confier son enfant, elle renonce. Elle accouche d'une petite Jolene, d'après le titre d'une chanson de Dolly Parton. D'abord le bébé est confié aux parents de Lysiane, puis, sur un coup de tête elle veut reprendre l'enfant. S'ensuit une série de tourments et de tortures psychologiques que Lysiane fait subir à Jolene, avec des répercussions sur ses grands-parents. ● C'est le premier roman que je lis de Marjorie Tixier et je dois dire qu'elle m'a complètement bluffé. ● Elle a un vrai don pour raconter une histoire et tenir le lecteur en haleine. A chaque instant du récit on a envie d'en connaître la suite. ● Elle a le goût des nuances dans les sentiments et sait parfaitement en montrer l'évolution. Sous sa plume, les personnages changent imperceptiblement à mesure que le temps passe, et tout est d'une grande sensibilité. ● Les personnages sont travaillés, fouillés, complexes. Celui de Lysiane est détestable et pourtant on peut lui trouver des circonstances atténuantes : un milieu social difficile, des rêves brisés, une personnalité qui ignore le compromis. Elle considère qu'elle n'a pas eu de chance : « Pour Lysiane, tout était toujours une question de chance. […] Chacune [elle et sa fille] avait son destin à tracer, mais la vie était injuste et les chances inégales. Rien ne pouvait la libérer de cette croyance bien ancrée. » ● Au contraire Jolene est une victime qui bouleverse le lecteur et en même temps on a envie qu'elle soit plus combattive : pourquoi, une fois adolescente, ne se rebelle-t-elle pas contre cette mère maltraitante, jalouse, épouvantable ? ● Jeanne et Pierre semblent aussi prêts à faire trop de compromis pour cette fille qui leur gâche la vie. ● En tout cas, les relations entre Lysiane et Jolene, qui constituent le sujet même du roman, sont d'une grande complexité, faites de rancune, de jalousie, de possessivité, d'impulsivité et de manipulation du côté de la mère, et de culpabilité du côté de la fille... « Ta présence me tue et ton absence me brise. Entre les deux, il n'y a rien », dit Lysiane qui se considère propriétaire de sa fille : elle est « l'unique personne qui lui appartenait vraiment. » Araignée malfaisante, Lysiane enroule Jolene dans sa toile. ● La musique tient un grand rôle dans le roman, d'abord comme vecteur de célébrité inopérant pour Lysiane, puis comme exutoire pour Jolene. ● le style de l'autrice est très agréable, avec des touches poétiques bienvenues. ● C'est là un roman remarquable, sans aucune longueur, je l'ai dévoré d'une traite ! Je le recommande vivement. ● Je remercie NetGalley et Fleuve éditions de m'avoir permis de lire ce livre.
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Lysiane, dix-sept ans, pratique l'école buissonnière, pique, dans la caisse de l'auberge de ses parents, pour s'acheter des vêtements et du maquillage.

Elle n'a qu'une chose en tête, devenir chanteuse, comme son idole, Dolly Parton, elle l'écoute en boucle, sur son vélo, dans sa chambre.

Le jour où ses parents découvrent le pot aux roses, "sans gêne ni culpabilité, elle admet qu'elle sèche les cours depuis plusieurs semaines parce qu'elle s'ennuie ferme. C'est sa nouvelle façon de parler." Elle exigera des leçons de musique qu'elle n'a jamais pu avoir, "ce n'est pas un métier chanteuse" lui disait son père et un salaire pour travailler au restaurant.

Elle aime se faire remarquer, elle est jolie. Un jour, au bar, elle fait la connaissance d'un beau garçon, quand elle apprend qu'il chante dans un groupe, et va sortir son premier album, elle s'accroche à lui, en espérant pouvoir démarrer une carrière. Lui, se lasse et disparait

Peu de temps après, horreur, elle s'aperçoit qu'une petite virgule, a poussé dans son ventre. Elle n'en veut pas, elle persistera tant que sa mère n'aura pas signé, n'étant pas majeur, elle ne peut décider toute seule. Mais cette dernière la poussera à garder cet enfant, elle s'en occupera pour elle, en espérant que l'amour maternel prendra le dessus.

Au dernier moment, elle acceptera et accouchera d'une petite Jolene, le titre d'une chanson de sa chanteuse adorée. Lysiane, n'en veut toujours pas, l'enfant sera confié à ses parents. Elle ira vivre à Lille.

Au bout de quelques années, Jolene, deviendra sa poupée, elle l'habille et la coiffe, comme elle veut, avec brutalité, sans amour. Juste pour l'abîmer.

"Elle avait déjà amnistié la femme en colère et la femme en pleurs. Consolé l'une et l'autre par une caresse et une paire de ciseaux. Puis elle s'était éclipsée dans la nouvelle chambre au balcon qui, comme la potion magique des contes de fées, effaçait jusqu'au dernier soupçon d'une blessure. Mais après les mimiques simiesques et la prise de conscience de la coupe déstructurée, elle se rapprocha encore un peu plus du miroir et laissa tomber ses mains le long de son corps. Abasourdie. Cette fois, ses doigts saisirent délicatement ses mèches brunes pour les remettre en ordre et constater que jamais, au grand jamais, elle n'aurait ni boucles blondes ni longs cheveux pour ressembler à sa mère et lui plaire. A bien y regarder, elle n'avait que son mètre dix de hauteur pour se faire remarquer. Ce qui était déjà trop pour la mère qui courait ailleurs, de nuit, dans la ville inconnue, toujours en quête de nouveaux bars où chanter sa frustration de n'être pas devenue la star qu'elle voyait en elle comme une oasis que seule l'imagination atteint."

Lysiane, développe, une jalousie terrible, envers sa fille, plus aimée, qu'elle ne l'a été, par ses parents, qui réussit, où elle a échoué. Elle est emportée, blessante, maltraitante, horrible.

Ni ses parents, ni sa fille, n'émettent un reproche, ils acceptent tout, surtout ne pas l'énerver. Je vous assure que je me retenais de bondir et de lui dire ma façon de penser.

Ce n'est pas, parce qu'elle n'a pas réussi sa vie, qu'elle doit passer sa hargne, sur ses proches et surtout sa fille, qui subit son ascendant, elle essaiera de la pousser, à faire une carrière, juste pour son ego. Mais elles n'ont pas les mêmes motivations dans la vie. Et pourtant la musique aurait pu les rapprocher. "Pour Jolene, la musique se résumait à un plaisir simple, spontané comme la cueillette d'une fleur sur le bord d'un chemin. Ce n'était rien de plus que boire ou manger, rien de plus que respirer. C'était naturel. Normal et sans histoire."

Lysiane se croit tout permis, gérer la vie de sa fille, sa chose, son instrument, qui va lui permettre, croit-elle, de briller au firmament, comme elle a toujours rêvé.

Un très beau roman, sur les relations toxiques, entre mère et fille.

A l'encre rouge de Marjorie Tixier. Rouge, comme la colère, la jalousie, rouge, les humiliations, la rancune, rouge, le manque d'amour, rouge la couverture, les carnets, les stylos. C'est mon premier livre de cette autrice, mais pas le dernier.

Une très belle écriture, les pages se tournent très vite, on a hâte de découvrir la suite. Je vous le conseille. Très touchant, rempli d'émotions, beaucoup de sensibilité.
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Une fausse mère, une vraie mère et une fille sans père

Dans son nouveau roman, Marjorie Tixier raconte le rêve de gloire d'une jeune fille qui préfère confier sa fille à sa mère pour faire carrière et décide, après son échec, de reporter ses espoirs sur sa fille. Fort en émotions, entre abandon et ressentiment, entre douleur et incompréhension.

Lysiane est une adolescente plutôt sage. Si ses résultats scolaires ne sont guère brillants, elle seconde sans rechigner ses parents qui tiennent une auberge près de Cassel, dans les Hauts de France. Mais Lysiane rêve de devenir chanteuse, alors le jour où un chanteur fait halte à l'auberge, elle n'hésite pas à le suivre, à engager une relation amoureuse. Quelques mois plus tard, l'artiste, qui n'a jamais voulu céder un pouce de son indépendance, prend la poudre d'escampette. Il laisse Lysiane désemparée et enceinte.
Sur les conseils de sa mère, qui lui assure qu'elle s'occupera de l'enfant, elle renonce à avorter et, dès la naissance de sa fille Jolene, part pour Lille où elle trouve rapidement un emploi de serveuse puis quelques cachets pour chanter dans les bars, laissant à ses parents le soin d'assurer l'éducation de sa fille. Elle ne se rend qu'épisodiquement à l'auberge pour regarder Jolene grandir, à la fois irritée de voir ses parents être appelés papa et maman par la petite fille et désireuse de gagner l'affection de ce petit bout de chou qui se passionne aussi pour la musique. Elle va prendre l'habitude de lui couper les cheveux et de dire son mal-être, au grand dam de ses parents. Puis ne viendra plus durant quelques temps, ayant rencontré Bob, un autre musicien. «Un soir, il lui avait proposé de l'accompagner en tournée et elle avait sauté sur l'occasion, persuadée qu'ensuite ils s'installeraient quelque part ensemble et peu lui importait où, pourvu qu'elle rompe sa solitude et mène la vie dont elle avait toujours rêvé. La scène, les concerts, les cocktails, le succès... Et tant pis si elle goûtait à tout cela par procuration. C'était mieux que la routine et le sentiment d'avoir trahi ses idéaux. Elle aurait tout accepté, quitte à être choriste, éclipsée derrière un micro sur pied entre la batterie et le clavier. Elle aurait tout accepté, même de se taire, pourvu qu'il l''emmène.»
La tournée qui suit va apporter la preuve que le talent est très inégalement partagé et ruiner tous ses espoirs. de retour au pays, Lysiane va alors décider de se venger par procuration, en arrachant sa fille de ses grands-parents et en lui offrant une formation au Conservatoire de Lille.
Dorénavant Joline – un nouveau nom pour un nouveau départ – se doit de réussir.
Avec beaucoup de sensibilité, Marjorie Tixier va alors nous raconter les années qui vont suivre et qui tiennent davantage du duel entre une mère frustrée et une fille qui se sent flouée et manipulée que d'une volonté de recoller le spots cassés. Avec beaucoup de sensibilité, la romancière met le doigt sur les faiblesses de l'une et de l'autre, sur l'incompréhension qui croît au fil des mois jusqu'à prendre des proportions trop importantes pour que l'histoire se finisse bien. Un roman âpre, dur, sans concessions qui démontre la large palette de Marjorie Tixier, toujours à fleur d'émotion.

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C'est parce que j'avais découvert l'auteure avec son roman précédent "Un autre bleu que le tien" (2021), que j'avais beaucoup apprécié, que j'ai eu envie de lire son dernier opus.
Lysiane, fille de restaurateurs dans un village entre Lille et la Belgique, se voit en la prochaine Dolly Parton, loin de la grisaille et de l'ennui de sa vie; mais à 17 ans, elle tombe enceinte d'un chanteur qui commence à avoir du succès, auquel elle s'est accrochée pour réaliser son rêve mais qui l'abandonne au bout de quelques jours.
Devant les supplications de sa mère, Lysiane accouche et abandonne le bébé à ses parents pour vivre sa vie à Lille. Elle rejette sa fille, Jolene, ne vient la voir que rarement, essaye de l'enlaidir en lui coupant les cheveux n'importe comment. Mais lorsque la petite à 10 ans, elle l'arrache à l'amour de ses grands-parents car elle a décidé que sa fille serait sa revanche sur la vie, qu'elle deviendrait une grande musicienne classique. Mais Jolene prendra un autre chemin, s'arrachant à l'emprise de sa mère dans la douleur et la culpabilité.
Le personnage de Lysiane incarne les dégâts que peuvent faire des rêves piétinés et le besoin de faire porter la responsabilité de ses échecs à d'autres (les parents, l'enfant d'une grossesse non désirée). On ne peut que détester cette femme aigrie, dure comme la pierre, qui ressent un profond sentiment d'injustice, mordue par la jalousie à l'égard de sa fille plus talentueuse, plus aimée.
Le personnage de Jolene incarne, elle, les dégâts que peuvent provoquer le rejet et la dureté d'une mère sur sa fille; les non-dits sur son père, la culpabilité qu'instille sa mère en lui répétant que c'est à cause d'elle qu'elle végète comme serveuse, le poids de la revanche que sa mère fait peser sur ses épaules la rongent.
C'est la musique, très prégnante dans le roman, qui permet à Jolene de sortir de sa relation toxique avec sa mère, musique qui aurait pu les réunir mais les éloigne; Jolène vit, respire la musique, c'est comme le sang nourricier qui circule dans ses veines alors que, pour sa mère, la musique n'est qu'un moyen d'être dans la lumière, d'échapper à une vie étriquée.
Ce roman sur une relation mère-fille inexistante, sur le combat d'une petite fille devenue adolescente puis femme pour sortir de l'emprise délétère d'une mère frustrée et jalouse est poignant. La couleur rouge qui teinte ce roman, en commençant par la couverture est le symbole du déchirement, de la douleur mais aussi de l'énergie créatrice, de l'amour qui unit Solène à Jan avec lequel elle partage la passion de la musique.
Malgré quelques longueurs, un bien beau roman.
#Alencrerouge #NetGalleyFrance
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Une lecture sublime, incroyablement belle.

Ce livre c'est tout d'abord une écriture forte, magnifique, qui n'a rien à envier aux auteurs classiques autour de nous.
C'est ce qui m'a le plus frappée.

Et puis, c'est une histoire, celle de quelques-uns, d'une mère toxique, d'une fille abîmée par celle-ci, jalouse, envieuse, insupportable. Dès le début, j'ai ressenti une antipathie pour cette femme idiote et imbécile.
Je crois n'avoir pas autant détesté un personnage de roman.

Encore une fois, pas de résumé. C'est trop riche, trop précieux pour écrire un résumé qui serait bien fade, trop concis, trop douloureux aussi...
Je m'autorise tout de même quelques lignes en avant-première, pour les chanceux qui n'ont pas encore lu le livre, petits veinards !

Il s'agit de maltraitances d'une mère jalouse de sa fille, méchante et bornée qui laisse son enfant non désirée, Jolene, dès la naissance à ses parents restaurateurs dans le nord de la France. Ils sauront l'aimer de toutes leurs forces, un amour incroyable, pur, si beau, si profond. Sa mère veut chanter, faire carrière et ne pas s'encombrer d'une gamine.
Voilà, c'est tout ce que vous lirez, je n'en dis pas plus.

C'est tellement bien écrit, que j'ai eu la sensation d'être tout là-bas, avec tous les personnages, d'être avec eux pour les aider à mieux comprendre pourquoi tout ce malheur, cette injustice, cette douleur, ces douleurs.
J'ai eu peur pour la petite, les maltraitances d'une mère peuvent gâcher une vie tout entière, et rompre dans l'oeuf les bonheurs à venir.

J'en sais quelque chose..

Alors oui, on rit, on pleure (si, si), on se réjouit ou bien on est dans la haine profonde, mais quelle lecture forte ! J'en suis encore toute tourneboulée, encore rêveuse.

Cette lecture miraculeuse, je vous la souhaite aussi belle que déchirante.
Vous savez, amis lecteurs, ces livres que l'on n'oublie pas, que l'on relit pour le plaisir, une seconde fois, puisqu'une fois ne suffit pas à tout entendre, à tout comprendre.

Que les mauvaises mères font des dégâts !
Mais heureusement, l'enfance ne fait pas tout, et l'on est tout de même acteur de sa propre vie. Mais l'ombre maternelle n'est jamais bien loin...hélas.
Et puis une victime victimise c'est bien connu. Cette mère de pacotille n'a pas dû recevoir beaucoup d'amour finalement..
Et oui, les non-dits, les mensonges, empoisonnent les enfants même tout petits. Ils "savent" même si la parole est silencieuse (merci Mme Dolto).
La parole bienveillante, et salvatrice qui ôte toute ambiguïté. Ils en ont le droit.
Apprenons à parler "vrai", c'est essentiel.

À lire absolument, vous l'aurez compris.





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(Les premières pages du livre)
Elle éventre la plaine, juchée sur sa bicyclette, ses boucles au vent. Blondes, auréolées d’espoir. Elle est belle. Trop belle pour se laisser approcher. Ses lèvres sont rouges, ses paupières bleues. Ses yeux, on ne sait pas. Personne ne les a encore compris. Ils ont la couleur changeante des destins qui se cherchent. Elle roule. Le talon calé contre la pédale, la jupe courte. Jeune. Sillonnant sa terre natale, elle serpente entre les tournesols. Son cœur tangue encore, bat le rythme que sa tête imprime, envoûté par la musique qu’elle a écoutée toute la nuit.

Comme un trait d’arbalète, le héron cendré transperce le ciel dans le plus pur des silences, survolant les champs de blé mûr dont la moisson devient imminente. Elle roule, tournesol mouvant sur l’artère sinueuse de la plaine des Flandres. Les inflorescences dorées, gorgées d’insectes et de soleil, ondulent sur les coteaux, pareilles à de longs cheveux d’ange, tandis que la mosaïque des prairies forme une tapisserie de plaines agricoles entaillées de routes et de voies de chemin de fer qui relient la métropole à la mer.

Elle a l’âge de tous les possibles, la légèreté de toutes les illusions, l’assurance des promesses.

Les mains sur le guidon, elle relâche les freins, oublie ses ongles vernis, se laisse aller. Le dos droit, elle croit qu’elle le reverra bientôt. Vite, tout ira vite. Aussi vite que sa traversée de la plaine. N’est-ce pas ainsi qu’il l’a emmenée en ville, tailladant le soir au volant de sa moto ? Là-bas, plus loin qu’elle n’aurait cru, elle s’est sentie de passage, dans un sas de nouveauté si étranger qu’il paraissait sans conséquence. Un espace-temps défragmenté que la musique et l’alcool cristallisaient pour la sortir d’elle-même. Un autre univers, si différent du sien…

À l’aube, il lui susurre quelques mots à l’oreille, puis se met au piano et plaque une série d’accords en fumant une cigarette. Il ravive la musique du bar et de la nuit, rien que pour eux. Alanguie, elle se laisse bercer, hypnotisée, le regard fixé sur sa poitrine nue.

Depuis plusieurs semaines, chaque dimanche soir, il l’emmène, la promène dans la ville, la plonge dans son lit. Ses yeux, il en ignore la couleur. Elle l’amuse, c’est tout. Elle est mignonne, la fille de la plaine dont les boucles dépassent du casque sur l’autoroute. Elle se cramponne, le moteur vibre sous ses fesses, la vitesse la grise. Il lui donne plus de vingt ans, elle en est loin, mais joue les initiées avec l’aplomb aveugle des nécessités. Après la musique, l’amour et le piano du petit matin, il la ramène à moto. Elle s’agrippe, minaude, réclame d’autres baisers. Il file et reviendra.
— Quand ?
— Bientôt.
Et il revient.

Elle y pense toute la semaine, attend son retour et se répète son nom. Sa musique coule dans ses veines, son odeur est devenue la sienne, ses paroles sont des conquêtes à venir. Il joue à défaut de parler et, comme elle le fait pour deux, ce charme silencieux attise sa curiosité.

La nuit de leur septième rencontre, leurs corps ont pris l’habitude et se trouvent sans se chercher. Elle lâche prise, paupières closes, souffle haletant, elle ose tout :
— Je veux être chanteuse. J’ai une belle voix, enfin je crois. Tu me laisserais chanter avec toi ?
Il se redresse, les yeux écarquillés, surpris autant que déçu.
Encore une fille intéressée, pense-t-il, c’est à croire que je les attire !
Blasé, il ricane une réponse évasive avant de l’embrasser sur le front comme une petite fille.
Elle insiste. Il lui promet qu’il y pensera tout en lui jouant un dernier morceau de piano, une cigarette au bord des lèvres. Une manière détournée de lui dire adieu avant de la sortir du lit. Il est pressé, un rendez-vous important l’attend pour l’enregistrement de son premier disque. Elle est fière, l’encourage, se réjouit, mais il ne l’écoute plus et l’incite à s’habiller pour la pousser dehors sans même lui offrir un café.
Il est en retard, tellement en retard qu’il n’a pas le temps de la ramener à moto. Elle cache sa déception sous un sourire forcé.
Ensuite vient le silence jusqu’à la gare routière, à pied dans les rues de Lille. Le dernier baiser, à la va-vite au bord du trottoir, elle le sentira longtemps grésiller sur ses lèvres, pareil à un courant électrique.

Avant de la quitter, il pianote sur la vitre et lui adresse un clin d’œil. Elle rit, émue d’entrer dans l’intimité des garçons, ces matelots dont elle ignore à peu près tout. Fascinée, elle se colle à la vitre de l’autocar pour le contempler jusqu’à l’ultime soupçon de son blouson qui se perd dans le flot des silhouettes.

Plus tard, dès le lendemain, elle roule juchée sur sa bicyclette, les cheveux lissés par la brise de midi, sous le soleil d’août, encore toute pleine de lui.
Elle roule pour l’attendre plus vite, le sourire angélique, gorgée de souvenirs qu’elle ravive à chaque coup de pédale, mais que la lumière trop crue s’obstine à rendre flous.

Souvent, elle implore sa mère : Apprends-moi, apprends-moi, les chansons de l’oncle. Mais Jeanne ne sait pas chanter et ne se rappelle jamais les paroles. C’est une pitié de l’entendre articuler un son, une offense à l’oreille. La fillette a beau insister, la mère chiffonne un bout de refrain avant de se remettre à l’ouvrage. Constamment débordée, elle laisse Lysiane pousser toute seule telle une herbe folle.

Il arrive que la petite se faufile entre la jupe et le tablier de sa mère, histoire de se rappeler à son bon souvenir. Elle s’y enroule et réclame inlassablement la part d’affection qui lui est donnée sans lui convenir, traînant autour de Jeanne à la manière des petits chiens qui reviennent à peine ont-ils été chassés. Et c’est une danse sans fin où les partenaires se frôlent sans jamais se toucher. La mère surveille, laisse sa fille grandir tout en imitant chacun de ses gestes, fière de l’avoir à ses côtés comme un clone en miniature.

La semaine, Lysiane passe plus de temps à mettre le couvert et à couper des légumes en rondelles qu’à faire ses devoirs. L’école, pour elle, c’est secondaire. Plus tard, elle tiendra l’auberge des Flandres comme ses parents le font en ce moment, elle en est persuadée. Pourtant, parfois, les jours de fête en particulier, lorsque l’oncle vient interpréter les danses traditionnelles, il lui arrive de s’inventer une autre vie. Elle se glisse sous la chaise du musicien, sent le souffle de l’instrument l’envahir et la faire vibrer. Transportée, elle s’imagine improviser sur les notes de l’accordéon. Elle rêve de chanter avec la voix des anges, limpide et haut perchée, cristalline et sans échardes.
Les danses de l’oncle font éclore les histoires d’amour, elle le sait. Le Mieke Stout met les jeunes couples face à face. Premières œillades, premiers sourires. Ce sont les préliminaires avant de s’offrir une bière ou une limonade en échange d’un baiser furtif. Le vrai baiser est donné ailleurs, loin de ses regards d’enfant curieuse, dans une voiture le plus souvent. Le scénario est tellement prévisible qu’elle ne peut s’empêcher de rêver plus grand.
Alors, elle réclame d’apprendre la musique. Elle veut imiter l’oncle et jouer d’un instrument. N’importe lequel. Un vieux tuba traîne sur le haut d’un buffet, elle se perche sur une chaise pour l’attraper. Les lèvres en cul de poule, elle souffle dans l’embouchure. Le cuivre tapisse sa bouche d’un goût de métal. Les sons sont graves et poussifs, disgracieux et aussi lourds que la relique aux pistons vert-de-gris. Dès que l’oncle arrive, Lysiane le tanne pour jouer de son accordéon trop grand, trop lourd et trop encombrant. En grandissant, elle s’amuse à chantonner.

L’écho de sa voix retentit dans le couloir de l’étage, dévale l’escalier et se répand jusqu’au rez-de-chaussée. Personne n’y prête la moindre attention, c’est pourquoi Lysiane insiste et consacre des heures à ses vocalises. Elle attend une remarque, un petit quelque chose, une ébauche de réaction, mais nul n’écoute ses prouesses vocales (ses délires, pense-t-on, sans le lui dire) ; alors elle serine, se plaint, invente des stratagèmes pour parvenir à ses fins. Tout le monde s’accorde à penser que c’est une lubie vouée à amuser la galerie, un caprice de petite fille qui lui passera avec le temps.

Les danses de l’oncle, elle finit par les savoir par cœur, jusqu’à la nausée ; et ce qui faisait sa joie autrefois, tourne au supplice. Quinze ans d’un rituel immuable, éternel et bien rodé auquel elle assiste en jupe longue et en tablier, digne réplique de sa mère. Après la carbonade flamande, le potjevleesch ou la flamiche au maroilles, l’oncle s’installe sur un tabouret pour jouer les airs traditionnels. Rompus à l’art d’alterner pas sautillés et pas courus à grand renfort de tours en moulinet, les convives se mettent à danser.
Chacun participe de bon cœur à cette chorégraphie que Lysiane rejette désormais avec mépris. Depuis qu’elle a entendu « Jolene » à la radio en montant dans le bus, elle ne jure plus que par la country. La chanson a beau dater, elle sonne à son oreille comme une nouveauté. La cassette, elle l’achète chez le disquaire de Cassel où elle se rend dès le samedi suivant à vélo. Elle en profite pour rafler tous les albums de cette interprète américaine qu’elle trouve magnifique sur les jaquettes.

En rentrant à l’auberge, elle pose sa bicyclette contre le mur et se précipite dans sa chambre. Elle attrape son baladeur et se jette sur son lit avant de chausser son casque. Aussitôt que la voix de la chanteuse à la coiffure de lionne frôle ses tympans, elle commence à fredonner. L’artiste lui est parfaitement inconnue, bien que son visage lui paraisse familier. Entre elles, il y a comme une ressemblance, étrange sensation de mimétisme que rien, à l’exception de la couleur des cheveux, ne vient confirmer dans la réalité.
Le boîtier vide entre les mains, Lysiane se souvient. Apprends-moi, apprends-moi, les chansons de l’oncle. Elle se souvient d’avoir tant réclamé que sa requête s’
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Un soir, pour lui faire plaisir, il lui avait offert une place au Nouveau Siècle et ils étaient allés écouter Véronique Sanson, Il l’adorait, elle avait fait semblant. Ensuite, ils avaient bu un verre au Yéti. En la ramenant chez elle, il lui avait proposé de l'accompagner en tournée et elle avait sauté sur l’occasion, persuadée qu’ensuite ils s’installeraient quelque part ensemble et peu lui importait où, pourvu qu'elle rompe sa solitude et mène la vie dont elle avait toujours rêvé. La scène, les concerts, les cocktails, le succès... Et tant pis si elle goûtait à tout cela par procuration. C'était mieux que la routine et le sentiment d’avoir trahi ses idéaux. Elle aurait tout accepté, quitte à être choriste, éclipsée derrière un micro sur pied entre la batterie et le clavier. Elle aurait tout accepté, même de se taire, pourvu qu'il l’'emmène. p. 112
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La vie n'est rien d'autre qu'une succession d'obstacles. Tu les chevauches ou tu les contournes, comme tu veux mais tu les franchis. Fuir n'est pas une solution, capituler non plus.
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Comment devenir chanteuse sans avoir jamais chanté ? Pour se rassurer, elle se dit qu’il existe d’autres moyens de réussir que de passer par les voies toutes tracées. Elle pourrait s’inspirer de Dolly Parton qui lui offre un modèle de féminité aux antipodes de celui de sa mère. Si elle l’écoute et l’observe attentivement, elle apprendra et se transformera, se donnant ainsi une chance d’échapper à sa vie morose.
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Elle attend une remarque, un petit quelque chose, une ébauche de réaction, mais nul n’écoute ses prouesses vocales (ses délires, pense-t-on, sans le lui dire) ; alors elle serine, se plaint, invente des stratagèmes pour parvenir à ses fins. Tout le monde s’accorde à penser que c’est une lubie vouée à amuser la galerie, un caprice de petite fille qui lui passera avec le temps.
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