Née d'une famille russe antisémite dont le père a collaboré avec les nazis, issue d'une bourgeoisie tzariste qui méprise le bolchévisme et les gens du peuple, Lise Lévistsky, pianiste prodige, devient, à 21 ans, contre l'avis de toute sa famille, la femme d'un petit peintre sans importance, laid et juif de surcroît: Lucien Ginsburg. Entre eux deux, ce sera 40 ans d'amour, 40 années de relation complexe, tendre, profonde et dévouée. C'est à ce garçon inconnu et presque secret que Lise Lévitsky propose de nous initier, en se racontant avec simplicité et franchise. Et entre les pages, on retrouve les traces du Paris des années 50, le monde du show-business, les artistes, la bohème rive gauche et l'on assiste, en filigrane, à l'éclosion d'un "artiste mineur" de la chanson française,
Serge Gainsbourg...
Ce livre très facile à lire procure un plaisir assez innatendu. Certes, on n'y retrouve pas le
Serge Gainsbourg des années chanson puisque Lise Lévitsky apparait dans la vie du peintre en devenir et tombe amoureuse de l'artiste qui s'adonne aux beaux-arts, à un art majeur. C'est d'ailleurs un des drames de la liaison entre Lise et Lucien: elle veut qu'il laisse éclater son talent pour la peinture, il est incapable de produire quoi que ce soit qui puisse être exposé - "Il a souvent dit qu'il était peintre, mais ça ne veut pas dire qu'il peignait"; elle a souffert toute son enfance des leçons de piano et des récitals en famille au point de se mettre au dessin par pur esprit de liberté, il tombe peu à peu dans la musique et laisse germer en lui la graine du génie musical qu'il sera, engraissée au jazz et à "l'arythmie".
Les années Gainsbourg sont dont ignorées, ou presque. Quelques pages en fin de volume: peu de mots sur Jane, une évocation de Bardot, un zest de Bambou, une critique sur Gainsbarre. Tout le Ginsburg intime, en revanche, ou peu s'en faut... des ses performances sexuelles à ses états d'âme, de sa relation à l'argent à celle qu'il entretient avec la littérature, le cinéma ou la photographie, de ses premières chansons écrites bien avant qu'elles ne soient crées sur scène ou à la télévision à son incapacité à se détacher de sa famille. L'essentiel est là, l'intime, et tout cela sans méchanceté, sans haine, juste pour rétablir quelques vérités sur Lulu. Un livre qui fait du bien, un livre qui fait plaisir, qui montre non seulement que la France des années 50 présentait un visage assez riant, où la création était animée d'un souffle d'ardeur et de renouveau, mais qui montre aussi qu'on peut aimer toute une vie un poète délicieux et le traiter avec respect et sincérité, sans admiration mais sans malhonnêteté.
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