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Pierre Brunel (Éditeur scientifique)
EAN : 9782253096368
245 pages
Le Livre de Poche (01/10/1998)
  Existe en édition audio
4.26/5   450 notes
Résumé :
Après Une Saison en enfer et les Illuminations, déjà publiées dans la collection Arléa-Poche, voici le dernier volet de la production du poète : les oeuvres en vers. Rimbaud n'a jamais publié de recueil de poésies. Son oeuvre poétique se présente donc comme un tourbillon de feuilles volantes, dans lequel Remi Duhart a tenté de mettre un peu d'ordre. Sous le titre Poésies, on trouvera l'ensemble de l'oeuvre en vers du poète, du " Cahier de Douai " à l'" Album Zutique... >Voir plus
Que lire après Une saison en enfer - Illuminations Voir plus
Critiques, Analyses et Avis (23) Voir plus Ajouter une critique
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J'aurais voulu me laisser choir dans Une saison en enfer, mais est-il possible de trouver la tranquillité dans ce texte qui bouillonne comme un fleuve ? Il est le seul recueil de poésie d'Arthur Rimbaud publié de son vivant. C'est une poésie en prose. Ce n'est pas une raison pour torturer le lecteur que je suis, en mal d'émotions...
J'ai mis un temps fou à entrer dans ce texte, je ne dirai pas à chercher à le comprendre, ce serait faire offense à son auteur, j'y ai renoncé. Je me souviens d'une chambre d'hôtel en mai 2018, j'étais à Prague, j'avais emporté dans ce voyage ce recueil que j'avais lu dans l'avion. J'ai commencé à écrire une chronique, un billet d'humeur, je tournais en rond autour de ce texte, impossible de le cerner, les mots étaient comme un essaim d'abeilles. J'écrivais des mots épars sur une feuille de papier. J'avais la tête ailleurs... Ma mère, très malade, mourut deux jours plus tard, pendant notre séjour. Nous rentrâmes mon épouse et moi précipitamment en Bretagne et ce texte fut oublié... le recueil Une saison en enfer et les bribes de mots griffonnés sur un papier, tout cela fut oublié dans un coin, peut-être que les pages de cet ouvrage garderaient encore ce douloureux souvenir...
Ce texte resurgit dans ma mémoire à l'occasion de plusieurs événements. Tout d'abord, une chronique estivale quotidienne de trois minutes sur France Inter où Sylvain Tesson nous parle tous les matins d'Arthur Rimbaud à la manière d'un explorateur... Ensuite, une tentative échouée de revenir plus paisiblement à Prague au mois d'avril dernier, annulée et pour cause, vous devenez pourquoi... Enfin, le temps d'aujourd'hui dont on dit parfois naïvement et peut-être stupidement qu'il sépare le temps d'avant et le temps d'après, comment marquer cette coupure définitive sinon par l'art qui fut oublié dans les règles sanitaires. Rimbaud lui n'eut aucun état d'âme, à l'âge de dix-sept-ans, il trancha dans le vif de l'art, séparant cruellement le temps ineffable de la poésie, il y eut définitivement le temps d'avant lui, classique, rejetant dans la poussière et la craie les poètes du XIXème siècle qu'il côtoyait dans un Paris parnassien conquis, séduit à son insolence et celui qu'il ouvrait à grandes brèches vers un monde encore inconnu dans lequel il n'eut d'ailleurs pas le temps ni peut-être la volonté de marquer ses pas de manière durable. D'autres plus tard s'y engouffrèrent, les surréalistes, mais pas seulement, toute la poésie qui nous est contemporaine aujourd'hui vient de cette brèche ouverte par Rimbaud.
J'ai relu à cette occasion Une saison en enfer. Que ce texte est furieusement beau et difficile à la fois ! Il me résiste encore, je me dis que c'est bon signe, j'y reviens et j'y comprends presque autre chose à chaque fois que je le relie, lorsque que je cherche à l'interpréter. Par contre, il entre en moi chaque fois que je me lâche, que je me laisser aller, que je n'attends plus rien de ce texte, aucun message, aucune délivrance, aucune interprétation, seulement le texte tel qu'il est, de manière brute, brutale, « brut de décoffrage » comme disait mon père, ouvrier du bâtiment. Je crois que l'expression subsiste encore... le lire à haute voix est encore mieux, j'ai fait l'expérience cet après-midi dans mon jardin, juste une page pour voir... Comme le texte paraît brusquement différent lorsqu'on a la chance de pouvoir le dire à haute voix. La poésie de Rimbaud doit être criée, du moins celle d'Une saison en enfer...
Si l'enfance est une saison, l'enfance précoce peut être un enfer pour celui qui la vit. Être un génie à quinze ans ou dix-sept ans, ce n'est pas descendre un fleuve impassible. Que faire de ce soleil qui dévore Rimbaud ? Quel était son regard lorsqu'il contemplait ce gouffre béant en lui-même d'où surgissaient, tels de la lave d'un volcan en éruption, ces pulsions de verbes et de couleurs ? Que faire de cette force, de cette révolte, de cette douleur hallucinée ? Que faire de cette lucidité sur le monde ?
On envie parfois les enfants surdoués. C'est une erreur car c'est un inconfort total pour eux et pour les parents. Rimbaud était un enfant très doué à l'école. Il raflait tous les prix dès l'âge de onze ans. Mais parce qu'il travaillait assidument dans des disciplines structurées, telles que le grec et le latin, cela l'a aidé à sauter sur l'autre versant, y porter son génie, jeter sur des pages ce qui brûlait en lui...
Écoutez tout de même ce premier vers d'Une saison en enfer écrit par un adolescent de dix-sept ans peut-être, censé à son âge entrer dans l'existence : « Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s'ouvraient tous les coeurs, où tous les vins coulaient. »
Dans ce vers, je trouve que l'enfant précoce devient presque un homme mûr voire âgé qui se penche sur son passé, non pas usé certes, un homme sage, presque philosophe, capable de faire à la fois un pas de côté tout en ne reniant pas les feux follets qui lui dévorent l'âme. Beau et triste à la fois ! Quel gâchis pour cette enfance avortée ! Mais quel bonheur pour nos coeurs ! Et tout le texte est ainsi, comme s'il dépliait mille vies de lui auparavant, d'une violence infinie, magnifique, magistrale... Narcissique certes, mais peut-on ou doit-on lui reprocher cela ?
À la lecture de ce texte, je me suis posé des tas de questions. Y avait-il une lumière intérieure, une source divine dans les entrailles de Rimbaud ? Était-il possédé par une force qui lui était étrangère ? Est-ce que des substances licites ou illicites l'ont aidé à s'enflammer un peu plus vite dans les vers qu'il écrivait ? Possédé certainement, par quelque chose de violent je le pense aussi, mais pas étranger à lui, je le pense intimement, tout simplement il ne savait sans doute pas dompter cette fulgurance d'étoiles filantes, ce geyser, ce séisme qui ouvrait des brèches et faisait s'écrouler les monuments des poètes avant lui et jaillir d'autres édifices insensés.
Je pense que la poésie de Rimbaud ne délivre aucun message, il en va de même d'Une saison en enfer, simplement elle délivre une lumière fulgurante venue des silences et des vertiges intérieurs qu'a ressenti le poète.
Ici, c'est une peinture, le poète qu'est Rimbaud est un peintre. Sa palette est faite de mots et de lumières. Peut-être ne faut-il y voir ou entrevoir que cela ? Une saison en enfer est une formidable peinture.
D'où vient cette voix alors, cette colère ?
Dans Une saison en enfer, mais pas seulement dans ce recueil, Rimbaud éclaire ce qu'il touche. Ici la boue n'est jamais loin du soleil. L'inverse aussi. J'aime quand la boue n'est jamais loin du soleil, quand celui-ci s'y reflète dans une flaque. Belle alchimie !
« Dans les villes la boue m'apparaissait soudainement rouge et noire, comme une glace quand la glace circule dans la chambre voisine, comme un trésor dans la forêt ! Bonne chance, criais-je, et je voyais une mer de flammes et de fumée au ciel ; et, à gauche , à droite, toutes les richesses flambant comme un milliard de tonnerres. »
Une saison en enfer est une sorte de journal intime qui revisite la vie antérieure d'un adolescent de dix-neuf ans qui aurait eu plusieurs existences avant lui. On pourrait en rire. Mais Rimbaud nous impose le respect. Nous l'admirons parce que nous aurions peut-être tous voulu disposer de toutes ces vies avant nous, et lui, d'un coup d'écriture, d'un briquet qu'il allume juste au bord de son coeur, il nous offre des déferlements de vies antérieures qui n'en finissent plus.
L'enfer n'est que la vie sur terre, voici le drame de l'existence. Comment vivre en enfer alors, sinon grâce à la poésie ?
Vivre en enfer, le temps d'une saison... Quel risque après tout ? Comment faire venir la beauté sur ses genoux ? Comment s'enfuir, se révolter contre Dieu, le ciel, ce qu'il est et ce qu'il n'est pas ?
Et si tout ce texte fou n'était qu'un rêve ? Je le relie encore un peu, je le parcours sans cesse pour regarder si j'existe encore, si ce texte existe encore, si je ne l'ai pas imaginé, dire, oui ce texte est bien réel, il est sous mes yeux, sous mes doigts, sous mes battements d'ailes.
Rimbaud nous dit peut-être aussi que venir au monde, c'est connaître d'emblée l'enfer. Cruelle destinée ! Naître, puis se relever, marcher vers la lumière.
Ce texte est un éveil au corps et au ciel. Est-ce comme si les deux étaient totalement liés ? Oui, je pense que les deux sont totalement liés.
Extirper le corps du sol d'ici-bas, pour le tirer au plus haut, voilà le geste peut-être inconscient de Rimbaud, un adolescent insoumis, simplement voyant, qui casse enfin les codes, comme il cassait la vaisselle de Madame Verlaine.
Comment déplier alors ce texte à l'infini ?
Partir, mais peut-on partir ? Peut-on réellement partir ? Nos ailes sont brûlées. Nos semelles sont souvent de plomb.
S'évader, mais par quelle porte, quelle fenêtre, quel chemin ?
Arthur Rimbaud est pressé. Il a rendez-vous avec la solitude. Moi, j'ai rendez-vous avec Rimbaud chaque fois que je descends vers ces vers. Vers ces vers...
Une saison en enfer semble me dire : Ne jamais s'arrêter en chemin. Ne pas perdre son temps. Ne pas se laisser distraire. Aller jusqu'au bout du chemin. Apprendre à vivre sa vie et non tenter de la sauver.
Plus tard, c'est-à-dire ce soir, je vous lis ces vers : « Quand irons-nous, par-delà les grèves et les monts, saluer la naissance du travail nouveau, la sagesse nouvelle, la fuite des tyrans et des démons, la fin de la superstition, adorer – les premiers ! – Noël sur la terre ! »
Rimbaud tâtonne, sans doute nous aussi. La vie est tellement immense.
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La vertu de ce genre d'oeuvre est de faire lâcher prise. Comment s'accrocher au texte pour tenter d'en comprendre le sens ? C'est un maelström, une tempête qui fait feu de tout, mélange, emporte. Il y a de la synesthésie, des associations de sens et d'idées inédites qui mettent l'esprit sens dessus dessous. La sensation est rafraîchissante. Ça ameublit le cerveau comme on bêche pour ameublir la terre. C'est nouveau, c'est baroque, c'est fulgurant.

Et probablement que l'on passe à côté de cette oeuvre si l'on essaie d'y comprendre quelque chose. Il me semble que c'est surtout pour son effet de sidération qu'elle charme. M'envoûte-t-elle ? Non. Mais elle produit assurément un effet de relâchement très puissant. Les figures, les images glissent de manière tantôt suave et tantôt piquante sur ce toboggan de mots.

J'entre dans un palais aux miroirs, prodigieux labyrinthe où la fantaisie apparaît plus utile que la raison. le texte semble me dire : « Laisse-toi emporter dans le vertige. » Était-ce un voyant ? Il garde encore aujourd'hui le bénéfice du doute. Il faut rappeler que cette rédaction suit un traumatisme (deux coups de revolver dans le bras). Qui sait dans quel état pareille épreuve pourrait jeter le plus cartésien des hommes, quelles affres il endurerait ? Faut-il être hypersensible pour percevoir et ressentir dans sa totalité l'émotion qui engendra ce texte ? Je l'ignore. Mais je crois que la distorsion extrême de cette oeuvre embrouille trop le canevas pour que je puisse y broder des motifs bien définis et y trouver ma propre résonance.

Ici se déverse le langage sibyllin d'un être dont la sensibilité est excitée à l'extrême : les mots sont à fleur de peau : il les goûte, il les respire, il les étreint. Seule une expérience extrême permet un tel vertige. Et le récit d'une expérience transcendante ne pouvait être qu'énigmatique, et probablement pas entièrement intelligible pour son auteur même. Car c'est son subconscient qui parle et la langue qu'il emploie peine à porter un tel message. C'est comme un rêve, un délire : incongru, bizarre, abscons et dérangeant car fortement condensé. Dans une expérience traumatique, pendant un dixième de seconde élastique on voit défiler un tas d'images, ce qu'on résume par l'expression « voir sa vie défiler ».

L'aspect décousu donne une liberté immense à l'interprétation. Un mot peut chatoyer ou piquer, apaiser ou exciter. On peut même se détacher des images pour sentir uniquement la musique des mots et le souffle qui les embrase. Dans ce tourbillon, ce flux de pensée frénétique, Rimbaud semble mêler sous la dictée d'une voix intérieure d'oracle des symboles (ou des morceaux de symboles) très personnels et en assembler une fresque composite, un patchwork qui serait une mosaïque dynamique et qui ne se laisserait pas fixer par une interprétation définitive.

C'est néanmoins un lâcher-prise qui fait du bien, une sorte de fonte et de refondation de la notion de sérieux, un grand remue-ménage. La grande contribution de Rimbaud, c'est peut-être cette part d'insouciance retrouvée. Cette lecture m'a fait perdre la notion du temps et l'espace lui-même a pris une autre dimension. C'est le puissant effet hypnotique dû aux ellipses. Tous les repèrent fondent, s'évanouissent puis à la fin se refaçonnent. C'est un drôle de voyage.
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"Une saison en enfer" est un long poème aux accents d'oraison funèbre, au mysticisme halluciné et aux saveurs soufrées. Rimbaud, le "poète maudit" de la Bohème, exprime ici une profonde désespérance en la société tout en renouvelant sa foi en la nature.

Si je reconnais la beauté de la langue et le souffle de l'inspiration qui ont fait naître dans mon esprit de terribles scènes de damnation, j'avoue plus de goût pour une poésie moins lugubre. Aussi n'ai-je pas complètement pénétré les délires opiacés du poète, sans doute parce que mon amour pour la vie m'empêche de pleinement me projeter dans les limbes de l'Enfer !

Je ne commenterai pas davantage ni ne développerai plus avant mon ressenti ; la poésie - même si elle est universelle comme c'est le cas ici - appelle une approche individuelle qui éveillera ou non de vibrants échos dans le coeur et l'âme de chaque lecteur.


Challenge 19ème siècle 2015
Challenge PETITS PLAISIRS 2014 - 2015
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Une saison en enfer pour le poète des poètes, une heure en lévitation extra-sensorielle pour la lectrice néophyte que je suis.
Je n'ai rigoureusement rien compris mais ça n'a aucune importance, l'expérience n'était pas là : lu "les yeux fermés" pour mettre en sommeil ma boîte à raisonner, en essayant de maintenir ouverts quelques chakras afin de tenter la connexion aux capteurs à travers lesquels le poète perçoit le monde. Par instants, au détour d'un mot tordu, cela a fonctionné, et la décharge est fulgurante, d'une violence inouïe. On n'approche pas sans dommages des forces primales de l'univers, et c'est ahurissant de penser que ce tout jeune homme surdoué, sur-dimensionné pour la vie des hommes, dont dans ces lignes on entend le coeur battre à défaut de le comprendre, ait eu de ces forces une perception si puissante. Cela doit être quelque chose de sublime et de terriblement douloureux qu'être Rimbaud.
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Rimbaud raconte Arthur et Paul. Arthur revit la folle équipée de Rimbaud et Verlaine, de l'époux infernal et de la vierge folle.

Sauf que ce long poème en prose,qu'on pourrait voir comme un récit coupé en chapitres ou comme les scènes successives d'un drame, n'a rien d'une autobiographie, et tout d'une expérience , d'une quête menée farouchement jusqu'à son terme, sans concession, sans répit, sans apitoiement, sans fausse pudeur.

Et dans cette Saison en Enfer -qu'on a longtemps crue le "testament poétique" de Rimbaud, avant de comprendre que certaines des Illuminations avaient été écrites après cet adieu présumé à la poésie- le poète -voleur- de -feu cueille quelques étincelles magiques: la couleur des voyelles, le dévouement intégral du poète à son but, quoi qu'il puisse lui en coûter, en somme il trace la route non vers l'enfer mais vers des voies nouvelles que va, derrière ce jeune fou libertaire, emprunter toute la poésie moderne.

Fausse autobiographie poétique, donc, et vraie avancée dans la jungle des mots et des images.

L'époux infernal nous ouvre les "portes de corne et d'ivoire" que voulait déjà ouvrir Nerval, rejoint et dépasse Baudelaire "au fond de l'Inconnu pour trouver du Nouveau" et file loin devant...épuisant" tous les vertiges" , cultivant toutes les folies ....avant de partir en Abyssinie faire du trafic d'armes...Autre aventure.
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critiques presse (2)
LeDevoir
07 décembre 2020
David Le Bailly explore dans un fascinant roman-enquête un angle mort de la vie de l'auteur d'«Une saison en enfer».
Lire la critique sur le site : LeDevoir
Bibliobs
31 août 2020
Le poète d’« Une saison en enfer » avait un frère, dont personne ne parle jamais [...] David Le Bailly lui consacre un beau récit, délicatement documenté.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Citations et extraits (73) Voir plus Ajouter une citation
J'ai de mes ancêtres gaulois l'œil bleu blanc, la cervelle étroite, et la maladresse dans la lutte. Je trouve mon habillement aussi barbare que le leur. Mais je ne beurre pas ma chevelure.
Les Gaulois étaient les écorcheurs de bêtes, les brûleurs d'herbes les plus ineptes de leur temps.
D'eux, j'ai : l'idolâtrie et l'amour du sacrilège ; — oh ! tous les vices, colère, luxure, — magnifique, la luxure ; — surtout mensonge et paresse.
J'ai horreur de tous les métiers. Maîtres et ouvriers, tous paysans, ignobles. La main à plume vaut la main à charrue. — Quel siècle à mains ! — Je n'aurai jamais ma main. Après, la domesticité mène trop loin. L'honneur de la mendicité me navre. Les criminels dégoûtent comme les châtrés : moi, je suis intact, et ça m'est égal.
Mais ! qui a fait ma langue perfide tellement, qu'elle ait guidé et sauvegardé jusqu'ici ma paresse ? Sans me servir pour vivre même de mon corps, et plus oisif que le crapaud, j'ai vécu partout. Pas une famille d'Europe que je ne connaisse. […]

MAUVAIS SANG.
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L'automne. Notre barque élevée dans les brumes immobiles tourne vers le port de la misère, la cité énorme au ciel taché de feu et de boue. Ah ! les haillons pourris, le pain trempé de pluie, l'ivresse, les mille amours qui m'ont crucifié ! Elle ne finira donc point cette goule reine de millions d'âmes et de corps morts et qui seront jugés ! Je me revois la peau bronzée par la boue et la peste, des vers pleins les cheveux et les aisselles et encore de plus gros vers dans le cœur, étendu parmi les inconnus sans âge, sans sentiment... J'aurais pu y mourir... L'affreuse évocation ! J'exècre la misère.
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Deux lettres à Paul Demeny.

I
Charleville, 15 mai 1871.
J’ai résolu de vous donner une heure de littérature nouvelle ; je commence de suite par un psaume d’actualité :

Chant de guerre parisien
...
— Voici de la prose sur l’avenir de la poésie —

Toute poésie antique aboutit à la poésie grecque, Vie harmonieuse. — De la Grèce au mouvement romantique, — moyen-âge, — il y a des lettrés, des versificateurs. D’Ennius à Théroldus, de Théroldus à Casimir Delavigne, tout est prose rimée, un jeu, avachissement et gloire d’innombrables générations idiotes : Racine est le pur, le fort, le grand. — On eût soufflé sur ses rimes, brouillé ses hémistiches, que le Divin Sot serait aujourd’hui aussi ignoré que le premier venu auteur d’Origines. — Après Racine, le jeu moisit. Il a duré deux mille ans !

Ni plaisanterie, ni paradoxe. La raison m’inspire plus de certitudes sur le sujet que n’aurait jamais eu de colères un Jeune-France. Du reste, libre aux nouveaux d’exécrer les ancêtres : on est chez soi et l’on a le temps.

On n’a jamais bien jugé le romantisme ; qui l’aurait jugé ? Les critiques !! Les romantiques ? qui prouvent si bien que la chanson est si peu souvent l’œuvre, c’est-à-dire la pensée chantée et comprise du chanteur ?

Car Je est un autre. Si le cuivre s’éveille clairon, il n’y a rien de sa faute. Cela m’est évident : j’assiste à l’éclosion de ma pensée : je la regarde, je l’écoute : je lance un coup d’archet : la symphonie fait son remuement dans les profondeurs, ou vient d’un bond sur la scène.

Si les vieux imbéciles n’avaient pas trouvé du Moi que la signification fausse, nous n’aurions pas à balayer ces millions de squelettes qui, depuis un temps infini, ont accumulé les produits de leur intelligence borgnesse, en s’en clamant les auteurs !

En Grèce, ai-je dit, vers et lyres rythment l’Action. Après, musique et rimes sont jeux, délassements. L’étude de ce passé charme les curieux : plusieurs s’éjouissent à renouveler ces antiquités : — c’est pour eux. L’intelligence universelle a toujours jeté ses idées naturellement ; les hommes ramassaient une partie de ces fruits du cerveau : on agissait par, on en écrivait des livres : telle allait la marche, l’homme ne se travaillant pas, n’étant pas encore éveillé, ou pas encore dans la plénitude du grand songe. Des fonctionnaires, des écrivains : auteur, créateur, poète, cet homme n’a jamais existé !

La première étude de l’homme qui veut être poète est sa propre connaissance, entière ; il cherche son âme, il l’inspecte, il la tente, l’apprend. Dès qu’il la sait, il doit la cultiver ; cela semble simple : en tout cerveau s’accomplit un développement naturel ; tant d’égoïstes se proclament auteurs ; il en est bien d’autres qui s’attribuent leur progrès intellectuel ! — Mais il s’agit de faire l’âme monstrueuse : à l’instar des comprachicos, quoi ! Imaginez un homme s’implantant et se cultivant des verrues sur le visage.

Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant.

Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d’amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui même, il épuise en lui tous les poisons, pour n’en garder que les quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, — et le suprême Savant ! — Car il arrive à l’inconnu ! Puisqu’il a cultivé son âme, déjà riche, plus qu’aucun ! Il arrive à l’inconnu, et quand, affolé, il finirait par perdre l’intelligence de ses visions, il les a vues ! Qu’il crève dans son bondissement par les choses inouïes et innommables : viendront d’autres horribles travailleurs ; ils commenceront par les horizons où l’autre s’est affaissé !

— la suite à six minutes —
Ici j’intercale un second psaume, hors du texte : veuillez tendre une oreille complaisante, — et tout le monde sera charmé, — J’ai l’archet en main, je commence :

Mes petites amoureuses
...
Voilà. Et remarquez bien que, si je ne craignais de vous faire débourser plus de 60 c. de port, — moi pauvre effaré qui, depuis sept mois, n’ai pas tenu un seul rond de bronze ! je vous livrerais encore mes Amants de Paris, cent hexamètres, Monsieur, et ma Mort de Paris, deux cents hexamètres !

— Je reprends :
Donc le poète est vraiment voleur de feu.

Il est chargé de l’humanité, des animaux même ; il devra faire sentir, palper, écouter ses inventions ; si ce qu’il rapporte de là-bas a forme, il donne forme : si c’est informe, il donne de l’informe. Trouver une langue ;

— Du reste, toute parole étant idée, le temps d’un langage universel viendra ! Il faut être académicien, — plus mort qu’un fossile, — pour parfaire un dictionnaire, de quelque langue que ce soit. Des faibles se mettraient à penser sur la première lettre de l’alphabet, qui pourraient vite ruer dans la folie ! —

Cette langue sera de l’âme pour l’âme, résumant tout, parfums, sons, couleurs, de la pensée accrochant la pensée et tirant. Le poète définirait la quantité d’inconnu s’éveillant en son temps dans l’âme universelle : il donnerait plus — que la formule de sa pensée, que la notation de sa marche au Progrès ! Énormité devenant norme, absorbée par tous, il serait vraiment un multiplicateur de progrès !

Cet avenir sera matérialiste, vous le voyez ; — Toujours pleins du Nombre et de l’Harmonie, ces poèmes seront faits pour rester, — Au fond, ce serait encore un peu la Poésie grecque.

L’art éternel aurait ses fonctions, comme les poètes sont citoyens. La Poésie ne rhythmera plus l’action ; elle sera en avant.

Ces poètes seront ! Quand sera brisé l’infini servage de la femme, quand elle vivra pour elle et par elle, l’homme, — jusqu’ici abominable, — lui ayant donné son renvoi, elle sera poète, elle aussi ! La femme trouvera de l’inconnu ! Ses mondes d’idées différeront-ils des nôtres ? — Elle trouvera des choses étranges, insondables, repoussantes, délicieuses ; nous les prendrons, nous les comprendrons.

En attendant, demandons aux poètes du nouveau, idées et formes. Tous les habiles croiraient bientôt avoir satisfait à cette demande. — Ce n’est pas cela !

Les premiers romantiques ont été voyants sans trop bien s’en rendre compte : la culture de leurs âmes s’est commencée aux accidents : locomotives abandonnées, mais brûlantes, que prennent quelque temps les rails. — Lamartine est quelquefois voyant, mais étranglé par la forme vieille. — Hugo, trop cabochard, a bien du vu dans les derniers volumes : les Misérables sont un vrai poème. J’ai les Châtiments sous main ; Stella donne à peu près la mesure de la vue de Hugo. Trop de Belmontet et de Lamennais, de Jéhovahs et de colonnes, vieilles énormités crevées.

Musset est quatorze fois exécrable pour nous, générations douloureuses et prises de visions, — que sa paresse d’ange a insultées ! Ô les contes et les proverbes fadasses ! ô les nuits ! ô Rolla, ô Namouna, ô la Coupe ! Tout est français, c’est-à-dire haïssable au suprême degré ; français, pas parisien ! Encore une œuvre de cet odieux génie qui a inspiré Rabelais, Voltaire, Jean La Fontaine ! commenté par M. Taine ! Printanier, l’esprit de Musset ! Charmant, son amour ! En voilà, de la peinture à l’émail, de la poésie solide ! On savourera longtemps la poésie française, mais en France. Tout garçon épicier est en mesure de débobiner une apostrophe Rollaque, tout séminariste en porte les cinq cents rimes dans le secret d’un carnet. À quinze ans, ces élans de passion mettent les jeunes en rut ; à seize ans, ils se contentent déjà de les réciter avec cœur ; à dix-huit ans, à dix-sept même, tout collégien qui a le moyen, fait le Rolla, écrit un Rolla ! Quelques-uns en meurent peut-être encore. Musset n’a rien su faire : il y avait des visions derrière la gaze des rideaux : il a fermé les yeux. Français, panadis, traîné de l’estaminet au pupitre de collège, le beau mort est mort, et, désormais, ne nous donnons même plus la peine de le réveiller par nos abominations !

Les seconds romantiques sont très voyants : Th. Gautier, Lec. de Lisle, Th. de Banville. Mais inspecter l’invisible et entendre l’inouï étant autre chose que reprendre l’esprit des choses mortes, Baudelaire est le premier voyant, roi des poètes, un vrai Dieu. Encore a-t-il vécu dans un milieu trop artiste ; et la forme si vantée en lui est mesquine : les inventions d’inconnu réclament des formes nouvelles.

Rompue aux formes vieilles, parmi des innocents, A. Renaud, — a fait son Rolla, — L. Grandet, — a fait son Rolla ; — les gaulois et les Musset, G. Lafenestre, Coran, Cl. Popelin, Soulary, L. Salles ; Les écoliers, Marc, Aicard, Theuriet ; les morts et les imbéciles, Autran, Barbier, L. Pichat, Lemoyne, les Deschamps, les Desessarts ; Les journalistes, L. Cladel, Robert Luzarches, X. de Ricard ; les fantaisistes, C. Mendès ; les bohèmes ; les femmes ; les talents, Léon Dierx, Sully-Prudhomme, Coppée, — la nouvelle école, dite parnassienne, a deux voyants, Albert Mérat et Paul Verlaine, un vrai poète. — Voilà. — Ainsi je travaille à me rendre voyant. — Et finissons par un chant pieux.

Accroupissements
...
Vous seriez exécrable de ne pas répondre : vite, car dans huit jours je serai à Paris, peut-être.

Au revoir.
A. Rimbaud.
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L’ALCHIMIE DU VERBE
A moi. L'histoire d'une de mes folies.
Depuis longtemps je me vantais de posséder tous les paysages possibles, et trouvais
dérisoires les célébrités de la peinture et de la poésie modernes.
J'aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques,
enseignes, enluminures populaires ; la littérature démodée, latin d'église, livres érotiques
sans orthographe, romans de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l'enfance, opéras
vieux, refrains niais, rythmes naïfs.
Je rêvais croisades, voyages de découvertes dont on n'a pas de relations, républiques
sans histoires, guerres de religion étouffées, révolutions de mœurs, déplacements de races
et de continents : je croyais à tous les enchantements.
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Quelquefois je vois au ciel des plages sans fin couvertes de blanches nations en joie. Un grand vaisseau d’or, au-dessus de moi, agite ses pavillons multicolores sous les brises du matin. J’ai créé toutes les fêtes, tous les triomphes, tous les drames. J’ai essayé d’inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles langues. J’ai cru acquérir des pouvoirs surnaturels. Eh bien ! je dois enterrer mon imagination et mes souvenirs ! Une belle gloire d’artiste et de conteur emportée !
Moi ! moi qui me suis dit mage ou ange, dispensé de toute morale, je suis rendu au sol, avec un devoir à chercher, et la réalité rugueuse à étreindre ! Paysan !
Suis-je trompé, la charité serait-elle sœur de la mort, pour moi ?
Enfin, je demanderai pardon pour m’être nourri de mensonge. Et allons.
Mais pas une main amie ! et où puiser le secours ?
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Arthur RIMBAUD – Les curiosités du cimetière de Charleville (DOCUMENTAIRE, 2006) Un documentaire intitulé "Praline" réalisé par Jean-Hugues Berrou en 2006.
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