XVII
N’est-ce pas ? en dépit des sots et des méchants
Qui ne manqueront pas d’envier notre joie,
Nous serons fiers parfois et toujours indulgents.
N’est-ce pas ? nous irons, gais et lents, dans la voie
Modeste que nous montre en souriant l’Espoir,
Peu soucieux qu’on nous ignore ou qu’on nous voie.
Isolés dans l’amour ainsi qu’en un bois noir,
Nos deux cœurs, exhalant leur tendresse paisible,
Seront deux rossignols qui chantent dans le soir.
Quant au Monde, qu’il soit envers nous irascible
Ou doux, que nous feront ses gestes ? Il peut bien,
S’il veut, nous caresser ou nous prendre pour cible.
Unis par le plus fort et le plus cher lien,
Et d’ailleurs possédant l’armure adamantine,
Nous sourirons à tous et n’aurons peur de rien.
Sans nous préoccuper de ce que nous destine
Le Sort, nous marcherons pourtant du même pas,
Et la main dans la main, avec l’âme enfantine
De ceux qui s’aiment sans mélange, n’est-ce pas ?
[p66]
La Belle au Bois dormait
La Belle au Bois dormait. Cendrillon sommeillait.
Madame Barbe-Bleue ? Elle attendait ses frères.
Et le Petit Poucet, loin de l'ogre si laid,
Se reposait sur l'herbe en chantant des prières.
...
Mon rêve familier
Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime,
Et qui n'est chaque fois , ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.
Il pleure dans mon coeur
Comme il pleut sur la ville ;
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon coeur ?
Ô bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits !
Pour un coeur qui s'ennuie
Ô le chant de la pluie !
Il pleure sans raison
Dans ce coeur qui s'écoeure.
Quoi ! nulle trahison ? ...
Ce deuil est sans raison.
C'est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi
Sans amour et sans haine
Mon coeur a tant de peine !
[p74]
Fadaises
Daignez souffrir qu'à vos genoux, Madame,
Mon pauvre cœur vous explique sa flamme.
Je vous adore autant et plus que Dieu,
Et rien jamais n'éteindra ce beau feu.
Votre regard, profond et rempli d'ombre,
Me fait joyeux, s'il brille, et sinon, sombre.
Quand vous passez, je baise le chemin,
Et vous tenez mon cœur dans votre main.
Seule, en son nid, pleure la tourterelle.
Las, je suis seul et je pleure comme elle.
L'aube, au matin ressuscite les fleurs,
Et votre vue apaise les douleurs.
Disparaissez, toute floraison cesse,
Et, loin de vous, s'établit la tristesse.
Apparaissez, la verdure et les fleurs
Aux prés, aux bois, diaprent leurs couleurs.
Si vous voulez, Madame et bien-aimée,
Si tu voulais, sous la verte ramée,
Nous en aller, bras dessus, bras dessous,
Dieu ! Quels baisers ! Et quels propos de fous !
Mais non ! Toujours vous vous montrez revêche,
Et cependant je brûle et me dessèche,
Et le désir me talonne et me mord,
Car je vous aime, ô Madame la Mort !
[p11]
Poésie - La lune blanche ... - Paul VERLAINE