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EAN : 9782253143017
157 pages
Le Livre de Poche (14/05/2003)
3.59/5   85 notes
Résumé :
Gredel et Lena, les deux servantes si pareilles avec leurs cheveux ébouriffés et leur visage de poupée, dressaient les couverts sur six tables, les plus proches du comptoir, posaient sur la nappe à petits carreaux rouges les verres de couleur, à long pied, destinés au vin d’Alsace.Accoudée à la caisse, Mme Keller chuchotait et son mari l’écoutait, debout, en se balançant un peu sur sa béquille. lIs employaient entre eux le patois alsacien. « C’est bien entendu ?… Je... >Voir plus
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ATTENTION : NOMBREUX SPOILERS !

En juillet 1931, sur son bateau "L'Ostrogoth", Georges Simenon entreprenait la rédaction de ce qui deviendra son premier "roman dur" : "Le Relais d'Alsace." Il se sentait l'âme non pas vide mais au contraire, toute débordante, et d'autres personnages, impérieux, demandaient à naître tout en refusant de s'intégrer à l'univers de Maigret. L'éditeur Fayard n'y croyait pas, il faut bien le signaler d'office - mais il avait tort. Les "romans durs" de Georges Simenon allaient connaître autant de succès que l'épopée ayant pour héros Jules Maigret et, sans battre le record d'adaptations cinématographiques et télévisuelles de cette dernière, entamer sur les écrans une carrière fort intéressante. Si vous avez vu "Les Fantômes du Chapelier" de Claude Chabrol, par exemple, vous savez ce dont je parle. Je vous citerai aussi "Le Chat" avec Gabin et Signoret, ou "L'Aîné des Ferchaux" de Melville mais il y en a bien d'autres, dont deux adaptations au moins des "Fiançailles de M. Hire", la première avec Michel Simon et la seconde avec Michel Blanc. Je m'arrête là : vous reconnaîtrez les vôtres. Wink

C'est la seconde fois, après "Les Fantômes du Chapelier", que je me lance dans les "romans durs" de l'auteur belge. Je les suspecte d'être encore plus noirs que certains "Maigret", lesquels ne sont pourtant pas mal dans leur genre. Et ce "Relais d'Alsace" confirme les soupçons qu'avaient pu m'inspirer "Les Fantômes du Chapelier" et la traque pluvieuse, terrifiée et masochiste qu'y mène, derrière le digne, terrifiant et sadique M. Labbé, le petit tailleur Kachoudas.

Tout s'ouvre cependant sur un paisible paysage de montagnes, à l'ancienne frontière franco-allemande avec l'Alsace, à La Schlucht très précisément, un petit hameau où vivent en bons termes, chacun ayant sa clientèle, trois hôtels-restaurants s'étageant du grand luxe (le "Grand-Hôtel") au relais pour randonneurs (le "Relais d'Alsace") en passant par le degré moyen et la clientèle petite-bourgeoise de l'"Hôtel des Cols." Attardons-nous un instant sur "Le Relais d'Alsace" puisque c'est tout de même cet établissement qui donne son titre au roman. Ses propriétaires sont les Keller : lui, Nic, malgré sa béquille, est un coureur fini, volontiers amateur de mineures ; elle, qui restera toujours pour le lecteur "Mme Keller", est une femme forte, intelligente, ayant la tête sur les épaules, qui supporte les écarts de son époux non parce qu'elle l'aime mais plus probablement parce que, ensemble, ils forment une équipe qui gagne. Ne vont-ils pas bientôt construire une annexe ? A leur service, tant pour la cuisine que pour l'entretien, deux jeunes servantes, deux soeurs : Gredel et Lena, mignonnes, couvertes de taches de son et pas très, très intelligentes bien que plutôt gentilles. Comme pensionnaires attitrés, l'ingénieur Herzfeld, quadragénaire qui en a encore pour quelque temps à travailler pour un chantier voisin, et aussi Serge Morrow, surnommé "M. Serge" parce qu'il est tout de même là depuis un certain temps et que, en dépit d'une distinction naturelle, il possède un physique et des manières bonhommes et aimables qui incitent à pareille familiarité.

Si tant est qu'on puisse vraiment se montrer familier envers M. Serge. Autant qu'il le veuille bien, seulement. On s'en rend compte, de temps à autre mais c'est assez rare. L'homme est simple, très instruit, polyglotte avec ça, s'entend avec tout le monde, paraît assez fortuné, fait de longues promenades dans le coin, s'est lié d'amitié - ou d'autre chose - avec Mme Meurice, la veuve du coin, qui s'entête à vivre dans un chalet dont elle ne pourra bientôt plus payer les loyers parce que sa fille souffre d'un "point humide" tuberculeux et que l'air des montagnes lui est instamment recommandé. M. Serge ne demande en fait rien à personne : il est, visiblement, partisan du "vivre et laisser vivre". Malheureusement, dans cette petite communauté, il est, à de rares exceptions près, le seul à penser ainsi. Les on-dit et la bien-pensance, le politiquement correct et la médiocrité ont établi leur tanière à La Schlucht avec autant de facilité et de naturel qu'ils l'eussent fait au sein de la plus décrépite société provinciale et l'originalité incontestable de M. Serge fait jaser. Que voulez-vous, il faut bien passer le temps ...

Depuis deux mois, M. Serge laisse traîner sa note. Mme Keller l'entreprend dès le premier chapitre sur cette épineuse question, ce qui ne semble guère le troubler. Il lui dit simplement que l'argent qu'il attendait par mandat n'est pas arrivé comme il le croyait et prend presque aussitôt le car pour Munster afin de régler la question. le lendemain-matin, à son retour, il règle d'ailleurs ses dettes et trouve le moyen de payer deux ou six mois d'avance - ma mémoire me lâche sur ce point, pardonnez-moi. Mais, à sa grande surprise, il constate que les traits figés de Mme Keller ne se défigent en rien, que Nic, son mari, est assez gêné, que les petites servantes n'osent plus le regarder en face et que, comble du comble, un policier veut lui parler. N'ayant, comme il l'affirme, rien à se reprocher, M. Serge invite le jeune inspecteur à sa table et apprend, non sans une certaine contrariété par ailleurs assez visible, que : 1) en son absence et dans la nuit, soixante-mille francs ont disparu au "Grand-Hôtel", dans la suite des van de Laer, tout juste arrivés de la veille et 2) qu'on l'aurait aperçu, lui, le matin même, dans le coin, du côté du chalet de Mme Meurice. Or, si le témoin est de bonne foi, on pourrait penser, n'est-ce pas, que M. Serge a seulement fait mine de s'absenter pour mieux voler les van de Laer ...

M. Serge hausse les épaules et déclare la chose absurde tout en refusant avec fermeté de livrer le nom du bijoutier auquel, à Munster, il a vendu la gourmette de platine qui lui a permis de trouver des fonds en urgence. Il refuse aussi de donner plus de renseignements sur lui-même. La police n'a qu'à faire son travail, puisqu'elle le soupçonne ! Et qu'elle l'arrête donc, si elle est si sûre de ce qu'elle avance ! ...

Mais les jours passent, Mme Keller a beau épier (la patronne du "Grand-Hôtel" aussi ) et le commissaire Labé (avec un seul "b" celui-là), au demeurant un homme plutôt sage et fort sympathique, se déplacer de Strasbourg, aucune arrestation n'a lieu. Labé suspecte bien M. Serge de ne faire qu'un avec un escroc de très haut vol, connu sous le nom du "Commodore" - il le lui annonce franco, dès leur première entrevue - mais il se trouve face à un problème de taille : ledit Commodore aurait eu le nez effleuré par une balle et il lui en serait resté une cicatrice. Infime, soit mais tout de même perceptible à un oeil exercé. Or, sur le nez de M. Serge, point de cicatrice. Ensuite, Labé reçoit un télégramme, bientôt suivi d'un deuxième, lui certifiant que le Commodore - et sa cicatrice - sont descendus dans un palace, à Venise. Alors ? Comment arrêter M. Serge et, plus simplement, comment savoir s'il est vraiment Serge Morrow ? Car il va de soi que tous ses papiers sont en règle.

Pour rajouter à l'ambiance, les soixante-mille francs, froissés et recouverts çà et là d'une substance graisseuse alors que, au moment de leur disparition, ils étaient tout neufs et crissants, sont retrouvés ... dans le tiroir d'une table, chez les van de Laer. Jusque là, le tiroir était passé inaperçu parce que la nappe le dissimulait . Côté sentimental, ça ne s'arrange pas non plus : Mme Meurice, qui prend désormais M. Serge pour un voleur et non plus pour un homme suffisamment riche pour qu'on songe à le voler, lui (saisissez-vous la nuance ? ), ne veut plus le voir et se résigne à épouser son propriétaire, le répugnant mais très fortuné brasseur Kampf.

A se stade et depuis longtemps d'ailleurs, le lecteur sent bien qu'il y a, dans tout cela, beaucoup de choses qui ne tournent pas rond. Et ça le passionne - vous n'auriez pas parié le contraire tout de même, avec Simenon devant le clavier de la machine à écrire ? Et, dès le début, il est "pour" M. Serge. Il se doute bien que celui-ci n'est pas tout à fait "clair" mais n'empêche : M. Serge, il l'aime bien. En toute franchise, le commissaire Labé lui-même ne paraît pas non plus le détester même s'il continue à le suspecter non du vol des soixante-mille francs, on le comprend assez vite, mais de ne pas être qui il paraît.

Le final est un mélange de triomphe et de cynisme et l'on n'est pas loin de penser à Balzac et à son Vautrin, dont le credo voulait que, pour réussir dans la vie, pour y être admiré et respecté, pour y devenir intouchable, il fallait se montrer malhonnête et sans états d'âme. C'est en cela que "Le Relais d'Alsace" éclate de noirceur. Une noirceur franche et qui ne s'embarrasse pas de délicatesse, une noirceur qui sourd tout d'abord des personnages secondaires, tous ces gens qui épient et souhaitent voir arrêter un homme qui ne leur a jamais fait le moindre mal, bien au contraire, puis qui s'élève un peu dans le niveau social avec la lâcheté de Mme Meurice et de sa fille et qui rejoint enfin les suprêmes et glaciales altitudes du cynisme cultivé comme un animal blessé atteindrait un refuge. M. Serge a cru qu'il pouvait revenir en arrière dans le temps, au moins durant quelques mois, M. Serge a même rêvé à un nouveau départ mais M. Serge réalise - et avec quelle brutalité - qu'il est prisonnier à jamais : non de M. Serge et certainement pas de la Justice, simplement de la médiocrité humaine.

Celle-ci est partout, telle est la fatale conclusion à laquelle nous mène, avec une douceur toute relative, un Simenon qui, dans cet épilogue, se sent aussi bien que dans l'un de ses "Maigret". Il ne nous le clame pas, bien sûr, il nous le chuchote avec ironie : Vautrin avait raison hier et aujourd'hui, il a toujours raison. C'est parce qu'elle règne en maîtresse dans notre monde, cette bassesse démesurée de l'être humain, que l'on doit s'élever au-dessus d'elle pour qu'elle ne nous corrompe pas. Etre un escroc de haut vol, qui ne s'attaque qu'aux riches, ça sent encore un peu son Robin des Bois. Mais n'être qu'un sournois, un envieux et un falot sans aucune envergure et doué d'une connerie aussi haineuse que monumentale, cela fait de l'être une simple bouse tout juste bonne à engraisser le fumier - à moins qu'elle ne le pourrisse intégralement et le rende inutilisable. ;o)

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Un début d'histoire du style mystère de chambre close , mais qui s'explique assez rapidement par des informations dévoilées plus tard. Beaucoup de mystères d'ailleurs sont progressivement expliqués au fil du récit, enlevant ainsi beaucoup d'intérêt et de suspense. le mystérieux personnage principal se dédouble d'un sosie de façon tirée par les cheveux. La construction erratique du roman ne permet pas de bien l'apprécier, explicable pour un premier roman. Il reste malgré cela les scènes descriptives d'atmosphère intéressantes, que l'on retrouvera souvent dans les prochains romans.
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Monsieur Serge s'est installé depuis quelques mois dans une petite auberge du col de la Schlucht dans le massif des Vosges. Il passe sont temps à flâner dans la forêt et à rendre visite à une veuve et sa fille qui vivent dans un chalet proche. Si les deux jeunes servantes du Relais d'Alsace l'ont pris en affection, le couple d'aubergistes s'inquiète plutôt de voir l'ardoise de Monsieur Serge prendre de l'importance, car malgré ses bonnes manières et son maintien aristocratique, l'homme a du mal à payer ce qu'il doit.
Aussi quand un vol est commis au Grand Hôtel, luxueux établissement en face du relais d'Alsace, et dont est victime un couple de riches Hollandais en villégiature, au moment même où Monsieur Serge paye enfin sa dette, celui-ci devient rapidement un solide suspect, d'autant qu'un commissaire des Renseignements Généraux de Paris, débarqué pour prêter main forte à l'inspecteur strasbourgeois en charge de l'affaire, semble reconnaitre en Monsieur Serge un escroc international de haut vol qu'il a jadis traqué. Les soupçons se trouvent encore renforcés par les étranges relations qu'entretiennent Monsieur Serge et la femme du banquier néerlandais dépouillé de 60000 francs et qui sont plus qu'ambigües. Cependant l'affaire prend rapidement une tournure nouvelle quand l'escroc dénommé "le Commodore" est repéré par la police vénitienne dans la Cité des Doges et que l'argent volé réapparait. Mais cela disculpe-t-il pour autant Monsieur Serge, qui plutôt que de se réjouir des événements, semble meurtri par le rachat du chalet de ses amies à bas prix par un riche brasseur du coin, qui, de plus a le projet d'épouser la veuve ?

Ecrit durant l'été 1931 à bord de l'Ostrogoth, un cotre de 10 mètres que le père de Maigret a fait construire à Fécamp, le Relais d'Alsace est paru la même année chez Fayard. C'est l'un des 117 "romans durs" comme Simenon se plaisait à les dénommer et sans doute même le premier si l'on s'en fie aux dates de rédaction et de parution. On y trouve déjà sa marque de fabrique : une intrigue assez simple somme toute mais des décors et des personnages qui en imposent avec une humanité profonde. La force des descriptions qui font souvent appel à nos cinq sens, et la psychologie des protagonistes qui sous des aspects respectables, sont bien souvent sombres comme l'atmosphère qui se dégage de l'oeuvre, nous entraîne dans une lecture qui nous emmène loin même si c'est lentement.
En fait quand j'ouvre un Simenon, j'ai toujours l'impression que je sais où je vais, que mon état d'esprit du moment est toujours en accord avec l'histoire que le prolifique écrivain me raconte et ça fait un bien fou.
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Simenon m'a fait découvrir Maigret comme à beaucoup d'entre nous.

Mais, là, cette petite histoire où il n'y a pas de cadavre se déroule en Alsace. Simenon a d'ailleurs écrit plus de deux cents titres dont celui-ci qu'il nommera ses "romans-romans" ou ses "romans durs".

Un homme revient sur les lieux de son enfance, et a dans l'idée de rentrer dans le rang et de s'embourgeoiser ; lui qui est recherché par toutes les polices.

Mais c'est sans compter sur le regard et l'attitude de tous ces gens qui grappillent autour des trois hôtels qui se situent à la Schlucht à 1236 mètres d'altitude à une trentaine de kilomètres de Gérardmer et de Munster, où l'action se situe.

Une petite histoire assez simple en somme, mais qui laissera au "Commodore" un goût amer.
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La scène se passe dans les Vosges au col de la Schlucht entre deux hôtels, l'un, le Grand Hôtel qui reçoit une clientèle de riches et l'autre, plus populaire, le relais d'Alsace où les randonneurs et les routiers viennent casser la croûte ou simplement boire un verre. le Relais D'Alsace et le Grand Hôtel se situent sur l'ancienne frontière entre la France et l'Allemagne, à une altitude de 1238 mètres. C'est là que viennent les amoureux de la montagne ou les tuberculeux, pour le bon air. le Relais d'Alsace est tenu d'une main ferme par Madame Keller et son mari qui est plutôt occupé à boire toute la journée et à tourner autour des jeunes filles dont les deux soeurs, Léna et Gredel des jeunes filles de seize et dix-huit ans qui font office de serveuses. Parmi les pensionnaires, il y a le mystérieux M. Serge qui doit payer sa note. Par ailleurs, un vol est commis au Grand Hôtel dans la chambre d'un touriste hollandais. Et puis il y a cette dame qui vit dans un chalet à proximité avec sa fille qui soigne sa tuberculose.
Tout ce beau monde va s'agiter pendant cent pages entre l'inspecteur et commissaire chargé de l'enquête sur le vol. On parle aussi d'un certain Commodore, sorte d'Arsène Lupin international changeant sans cesse d'identité et ne se faisant jamais prendre faute de preuves. Est-il présent dans les Vosges dans cet Hôtel de la Schlucht ?
Simenon dont c'est le premier « roman dur » comme il se plaisait à les appeler pour les distinguer des « Maigret » qu'il avait abandonné pour les écrire au grand dam de son éditeur, mène la danse et on sent encore l'empreinte du commissaire à pipe dans celui-ci car il s'agit ni plus ni moins que d'une nouvelle enquête policière. Il se trouve que je connais les lieux décrits, étant d'origine vosgienne et l'auteur a le chic pour les décrire, le temps qu'il fait, l'humeur des gens en quelques traits de plume. Il y a toujours un hôtel restaurant au col de la Schlucht (à prononcer « Schlourt » à l'allemande) entre Munster et Gérardmer.
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
[...] ... M. Serge, vêtu d'un caban de montagne, son feutre vert sur la tête, sa canne à la main, descendait du car et poussait la porte, reniflait l'air, lançait gaiement :

- "Jeudi ! Soupe aux choux ! Je l'avais oublié ! ..."

Il s'étonnait un peu. Lena ne venait pas lui prendre son manteau comme d'habitude. Mme Keller regardait ailleurs. Nic mangeait à grand bruit, la tête penchée sur son assiette, et l'ingénieur de la scierie se plongeait dans la lecture d'une revue.

Seul l'inconnu le regardait.

- "Mon déjeuner, Lena ! ... Je n'ai rien pris depuis ce matin !"

Est-ce que, dans l'attitude générale, il n'y avait pas une hostilité voulue ? Le coq de bruyère était à sa place. Et l'aigle des Vosges.

Il y avait eu de l'orage, la nuit. La température avait considérablement baissé. On avait allumé du feu dans le poêle alsacien en majolique. M. Serge s'y chauffa les mains, regarda l'inconnu, sourcilla, redressa les épaules.

Son sourire eut l'air de dire : "Ils ne croient pas que j'apporte l'argent ..."

Alors, haussant le ton pour y mettre quelque désinvolture, il s'approcha de Mme Keller.

- "J'ai quelque chose pour vous ... D'abord ceci ..."

Et il tira de sa poche une broche en or, représentant un aigle dont l'oeil était un tout petit rubis, et qui pouvait valoir deux-cents francs.

L'hôtelière se troubla, ne sut où poser le regard.

- "Puis ceci ..."

Dans un portefeuille, il prit des billets de mille francs.

- "Un ... deux ... trois ... quatre ... cinq ... Je vous paie deux mois d'avance ..."

L'inconnu ne mangeait plus. Il tenait la tête levée, tournée vers M. Serge.

Nic Keller laçait et délaçait sa chaussure en poussant de grands soupirs.

- "Hum ! ... Hum ! ..." faisait l'ingénieur.

Alors Mme Keller, sans toucher à la broche, ni aux billets de banque :

- "Je crois que monsieur voudrait vous parler ..."

Lena tournait obstinément le dos, feignant d'être très occupée à dresser des macarons sur une assiette.

M. Serge regarda l'inconnu.

- "A moi ? ..." s'étonna-t-il.

Et l'autre, debout, embarrassé :

- "Excusez-moi ... Je désirerais vous poser quelques questions ... Inspecteur Mercier, de la Brigade mobile de Strasbourg ... Mais vous avez le temps de déjeuner ..."

On n'entendait aucun bruit, aucun ! Et pourtant chacun mangeait.

- "Ah ! ... " dit M. Serge de sa voix la plus naturelle.

Il se tourna vers Lena.

- "Mettez mon couvert à la table de M. Mercier, mon petit ..." ... [...]
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[...] ... - "Vous devriez nous laisser un moment, votre maman et moi, Hélène ..." dit-il simplement.

Elle hésita. Elle regarda sa mère qui murmura sans montrer son visage :

- "Hélène n'est pas de trop ..."

La voix était lasse, un peu rauque. Il y restait des traces de sanglots.

Il s'écoula peut-être une demi-minute, mais elle fut pénible, à cause du silence, des respirations qu'on percevait.

- "L'acte de vente est signé ?" questionna enfin M. Serge, qui ne trouvait pas de phrase moins brutale.

Il n'avait même pas besoin de réponse. Sur la table, parmi les couverts sales, il y avait un gros portefeuille usé qui devait contenir les papiers de famille, les documents officiels, sans doute aussi la petite fortune des Meurice.

- "J'ai fait ce que j'ai cru devoir faire ..." répliqua la jeune femme qui n'hésita plus à monter ses yeux rougis, ses pommettes fiévreuses.

Alors il s'emporta. Il n'éleva pas la voix. Il ne fit pas un geste. Mais le débit fut rapide, haché. Et il regardait fixement le sol en parlant.

- "A cet homme ! ... Ainsi, pendant des semaines, vous n'avez pas eu assez de confiance en moi pour me mettre franchement au courant de la situation ! ... Tandis que lui, un individu vulgaire, plein d'arrière-pensées ...

- Je vous en prie !

- Je suis arrivé trop tard ... Ce matin, quand j'ai téléphoné au notaire ...

- Démarche que vous n'auriez pas dû vous permettre ... Vous ne comprenez donc pas que c'était le meilleur moyen pour me compromettre ? ... Que croyez-vous qu'ils aient pensé ? ..." ... [...]
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Il y avait cinq mois que M. Serge s’était installé au Relais d’Alsace, cinq mois qu’il vivait là sans rien faire que se promener dans la montagne, lire les journaux, tantôt à une table, tantôt à l’autre.
Au point que, quand il n’y avait plus de bière au comptoir, il allait lui-même en chercher à la cave ! Et que parfois, si un client entrait alors qu’il n’y avait personne, il le servait !
Gredel et Lena le prenaient pour confident, lui racontaient leurs petites histoires de gamines. Et le dimanche, quand les touristes étaient trop entreprenants avec elles, il intervenait, discret mais ferme:
-Vous ne voyez pas que ce sont des petites filles ?
Il faisait partie de la maison. L’ingénieur qui travaillait à la scierie et qui prenait pension à l’hôtel lui demandait des conseils. Le brasseur de Munster ne manquait jamais de lui serrer la main. Le facteur l’appelait M. Serge, comme tout le monde.
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Tout ce monde parlait surtout le patois alsacien. Cela s'arrêtait. Cela mangeait. Cela jouait d'instruments invraisemblables.
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