Je repousse l'écriture de cette note de lecture depuis presque deux mois maintenant, mais les semaines qui passent ne la rendront pas plus facile à écrire. Non que ce livre soit difficile à lire, au contraire, c'est un charmant roman régionaliste. Agréablement écrit de bout en bout, suivant la vie sans grandes péripéties des quatre soeurs Gwenan, filles de Joseph, qui a fait sa carrière dans la Marine Nationale au début du XXème siècle, et qui toutes, d'une manière ou d'une autre, lieront leur vie à d'autres matelots de la Royale.
Prenant le parti original d'évoquer la Marine Nationale par le biais des femmes de marin, ce livre semblé écrit pour moi. J'ai retrouvé mon Grand-père dans la figure de Joseph Gwenan, même s'ils n'étaient pas de la même génération, même si ce ne sont pas les mêmes guerres qu'ils ont vues du pont de leurs bateaux, de ces bateaux où on salue tout ce qui bouge et on peint tout le reste (ben oui, de la peinture anti-rouille, le sel marin ne pardonne pas sur le gris terne de ces bateaux). Tous deux s'engagent pour les mêmes raisons, pas par souci patriotique, mais parce que Brest n'est pas loin. Rien de glorieux dans ces destins, même si Joseph restera toute sa vie le héros des Dardanelles (où il se retrouve plus par hasard qu'autre chose, il ne s'est pas fait marin pour faire la guerre, aussi paradoxal que cela puisse paraître) juste des hommes qui, un peu consentants, un peu forcés, se sont retrouvés dans des coins de la planète dont ils avaient au mieux entendu parler sur les bancs de l'école et au coeur d'évènements qu'ils n'avaient pas prévus.
J'ai aimé ce livre. Pour ses qualités d'abord, car les romans régionalistes me semblent parfois un peu faiblards, celui-ci se tient de bout en bout, sans avoir recours aux poncifs du genre (les belles histoires d'amour, les clichés touristiques, et j'en passe). Tout ici est évoqué en finesse, sans forcer le trait, et l'histoire colle au plus près des vies rangées qui sont le lot de la plupart d'entre nous, avec ses scandales qui en sont à peine, ses tristesses banales mais pas pour autant plus faciles à surmonter, ses joies simples, ses petites folies qui se remarquent à peine. J'ai aimé ce livre aussi parce que j'y ai vu mon Grand-Père, qui venait tout juste de nous quitter, parce que j'ai acheté ce livre le lendemain de son enterrement, et que j'ai commencé à le lire dans l'avion qui m'emportait encore une fois bien loin de la mer, trop loin de lui. Ecrire cette note de lecture, c'est tourner encore un peu plus la dernière page de ce joli petit livre qui représente toute une part de mon enfance, et c'est pour cela que je ne l'ai pas écrite plus tôt. C'est une page tournée, un autre fil qui se rompt et qui rapproche un peu plus tous ces souvenirs de l'oubli. Alors peut-être lirai-je ce livre à nouveau, et je rêverai à nouveau aux voyages qui ne sont pas dans ce livre mais que le marin de mon enfance à moi me racontait comme çà, en passant, en mangeant une salade de haricots verts.
J'ai aimé ce livre pour des raisons très personnelles donc, et je m'excuse un peu d'avoir parlé plus de moi que de ce livre dans cette note, mais c'est un livre que l'on peut aimer pour lui-même aussi. J'ai l'impression, avec cette première lecture d'
Hervé Jaouen d'avoir trouvé l'auteur régional que je cherchais depuis un petit moment, et je ne manquerai pas de lire d'autres livres de lui. Beaucoup ont des titres qui me donnent envie de les ouvrir sans même lire la quatrième de couverture, des titres simples qui fleurent bon la terre pauvre des Monts d'Arrée ou les algues de la laisse de mer.