Malgré quelques défauts majeurs, ce premier tome de l'Histoire des Croisades de
René Grousset est un excellent livre que vous ne devez pas hésiter à vous procurer si le sujet des croisades vous intéresse.
Le travail de l'auteur est sérieux puisqu'il s'appuie sur de nombreuses sources que vous pourrez remonter en consultant les notes inscrites à la fin du livre pour avoir des compléments d'informations sur tel ou tel événement. Il y-a de nombreuses cartes et un tas de ressources qui sont mises à la disposition du lecteur pour qu'il puisse situer géographiquement chaque événement rapporté dans le livre. Les efforts de transparence apportés par
René Grousset démontrent qu'il a été honnête dans son approche. On ne peut pas lui reprocher d'avoir écrit n'importe quoi. Ici, vous n'avez pas à faire à un
Laurent Deutsch qui vous compile malhabilement 1500 ans d'histoire en moins de 400 pages ! La vulgarisation n'est pas l'apanage de
René Grousset.
Malgré les quelques citations en vieux français (qui ne m'ont pas gêné), le livre ne connaît pas de lourdeurs ni de temps morts. La plume de
René Grousset m'a facilement entraîné sur les traces des croisés en terre sainte. En clair et pour faire simple : vous n'avez rien à craindre, les 800 pages de ce premier tome ne sont pas insurmontables. Si vous êtes un lecteur assidu et tolérant avec le vieux-français alors, vous terminerez de lire ce livre en un clin d'oeil (à quelques centaines de battements de cils près xD). Personnellement, je l'ai dévoré en un peu moins de quatre jours. Et je ne suis pas un rapide puisque je vérifie tout, remonte les sources etc. Donc. Voilà. C'est une lecture accessible.
Bon. J'en ai fini avec les compliments. Hélas... ! J'aurai bien aimé poster un commentaire dithyrambique mais ma conscience ne me le pardonnerait pas alors je vais m'arrêter sur les quelques points qui m'ont le plus dérangé.
Ma première réflexion après la lecture de ce premier tome a été et je me cite : « C'est tout de même très chauvin ! » et oui, ça l'est. Et je pardonne aisément à
René Grousset d'avoir fait de l'excès de zèle patriotique puisque c'est un historien qui a écrit avec les préjugés et les idées de son temps à savoir : l'avant seconde guerre mondiale (de 1934 à 1936 pour sa série sur les croisades). Un historien ne peut pas être totalement impartial même lorsqu'il est profondément honnête MAIS je crois que c'est une démarche très saine intellectuellement pour nous, lecteurs, que de replacer un livre (même historique) dans son contexte de parution pour ne pas tomber dans certains pièges comme le chauvinisme de
Grousset qui l'aveugle quelques fois au point de lui faire écrire noir sur blanc que le modèle occidental a vaincu le modèle oriental parce que ce dernier était... (et il l'écrit à plusieurs reprises) débile ! Cela m'a un peu piqué les yeux de lire ça ;)
Moi qui suis passionné d'Histoire, j'ai été très étonné par son analyse plutôt bancale de la reconquête byzantine des derniers empereurs macédoniens entre la toute fin du Xème et pendant les 3/4 du XIème siècle.
René Grousset prétend que les manoeuvres des grecs ont préfiguré celles des latins sauf que... les reconquêtes byzantines s'inscrivaient dans la continuité d'un conflit qui durait depuis plusieurs siècles. C'est tout de même très long pour une croisade. Les objectifs byzantins étaient pragmatiques puisqu'ils souhaitaient se dégager un espace vitale viable et défendable. Rien à voir avec les considérations et objectifs des croisés occidentaux. Bref. Ce raisonnement appartient à
René Grousset et comme vous l'avez compris : je ne partage pas son analyse.
Ce qu'il y-a de plus grave c'est que
René Grousset a une forte tendance à minimiser certains faits qui lui déplaisent. Par exemple : les pillages perpétrés par les croisés à l'intérieur de l'empire Byzantin. Théophylacte d'Ohrid a envoyé de nombreux rapports à Constantinople pour dresser un état des lieux après le passage des normands qui glacent littéralement le sang. Ce fût effroyable. On se demande comment Alexis Ier Comnène est tout de même parvenu à dialoguer avec des gens aussi peu enclins à composer de manière réfléchie et pragmatique avec le contexte géopolitique oriental.
Autre exemple : lors du siège d'Antioche, les croisés se livrent à des actes de cannibalisme que
René Grousset commente de cette façon : « Certains de ses stratagèmes de guerre ont l'allure de plaisanteries énormes, encore qu'un peu rudes, au demeurant fort efficaces. » (P148). Un peu rudes ? C'est le moins que l'on puisse dire puisque les croisés (de leur propre aveu) ont été jusqu'à faire rôtir des hommes sous les murs d'Antioche devant des musulmans atterrés par autant de cruauté ! de nouveau,
René Grousset choisit de minimiser des actes injustifiables même en temps de guerre ! Bizarre qu'il ne parle pas de l'écoeurement (et c'est un euphémisme) des byzantins face à de telles techniques d'intimidation... !
Plus généralement,
René Grousset traite les romains d'orient avec beaucoup d'indigence en ne s'appuyant que sur les écrits de Chalandron qui est un historien du... 19ème siècle !!! Dans une moindre mesure, il lui arrive de citer les Alexiades d'Anne Comnène (une contemporaine des croisades) mais en remettant SYSTÉMATIQUEMENT en question ses propos comme s'ils n'étaient pas fiables alors qu'ils ne sont pas moins partiaux que ceux de Guillaume de Tyr dont il nous rabat les oreilles. Il oublie de nombreux auteurs et historiens byzantins majeurs (...dont les Mousaï d'Alexis Ier Comnène en personne - bien que je ne sache pas s'il a pu les avoir en sa possession - !) et du coup, ce qu'il écrit sur les byzantins manque cruellement de cohérence. Par exemple, au sujet d'Alexis Ier : il dresse un portrait plutôt flatteur de l'empereur dans les premières pages (ex : P85 - P91) et lorsque ce dernier n'agit plus en faveur de la politique coloniale franque, il lui trouve un nombre incalculable de défauts... ! Pas très logique tout ça... n'est-ce pas ?
Pour finir : ce premier tome des « Histoire des croisades » ne doit pas être votre seule référence en la matière. Il faut impérativement replacer ces trois livres dans leur contexte de parution pour comprendre l'analyse de
René Grousset. Si vous choisissez d'ignorer les inclinations idéologique de l'auteur, vous risquez de vous trouver persuadés qu'il dit LA vérité alors qu'en réalité : il n'en détient qu'une partie et c'est à vous de la reconstituer en accumulant le plus de références possibles sur le sujet des croisades. Bien qu'il cite de nombreux chroniqueurs arabes, il omet beaucoup de choses et va jusqu'à faire des coupes drastiques dans certains témoignages prétextant que ce n'est pas fiable alors que paradoxalement, il ne fait pas la fine bouche avec les approximations assez grossières d'Albert d'Aix qui n'a jamais mis un pied en terre sainte et ça,
René Grousset le savait parfaitement bien à son époque ;)
Ne choisissez pas la facilité. Lisez plusieurs sources. Ne vous arrêtez pas à
Grousset ;)